Il y a 56 jours
Game Pass : Shawn Layden (ex-Sony) dénonce un modèle "dangereux" pour l'industrie du jeu vidéo
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L’ex-PDG de PlayStation sonne l’alarme : le Game Pass menace-t-il l’équilibre du secteur ?
Shawn Layden, figure historique de Sony Interactive Entertainment, s’attaque sans détour au Xbox Game Pass, qu’il qualifie de *« bombe à retardement »* pour l’industrie. Selon lui, ce modèle d’abonnement déséquilibre la chaîne de valeur en réduisant les jeux à de simples « contenus » interchangeables, au détriment des revenus pérennes (DLC, merchandising, ventes physiques) et des studios indépendants. Pourtant plébiscité par 34 millions de joueurs, le service est accusé de créer une fracture économique : 80% de son budget profiterait à 20% des titres (les blockbusters Microsoft comme Starfield ou Forza Horizon 5), tandis que 68% des jeux indés voient leurs ventes s’effondrer de 40 à 70% après leur retrait du catalogue (source : Ampere Analysis). Un paradoxe qui interroge : le Game Pass est-il un levier de démocratisation ou un piège pour les développeurs ?
A retenir :
- Shawn Layden (ex-Sony) fustige le Game Pass : un modèle qui *« dénature la création de valeur »* en transformant les jeux en « prestations de service » sans retombées durables (merchandising, DLC).
- Chiffres choc : 80% du budget du Game Pass concentré sur 20% des titres (exclusivités Microsoft), tandis que 68% des jeux indés subissent un effondrement de 40 à 70% de leurs ventes post-retrait (étude Ampere Analysis).
- Visibilité illusoire : seuls 15% des abonnés explorent des jeux hors des franchises phares (Halo, Gears), selon NPD Group – un « mirage » pour les petits studios.
- Contrats hybrides : Microsoft tente de corriger le tir avec des accords mêlant paiement forfaitaire et partage des microtransactions (programme ID@Xbox), mais Layden reste sceptique.
- Débat industriel : le Game Pass, « destructeur » pour Jim Ryan (ex-PlayStation) ou « révolutionnaire » pour les joueurs ? Les prochains bilans de Microsoft (avril 2024) pourraient trancher.
Un ancien de Sony passe à l’offensive : « Le Game Pass tue la valeur des jeux »
Shawn Layden n’a pas sa langue dans sa poche. Dans une interview explosive accordée à GamesIndustry.biz, l’ex-PDG de Sony Interactive Entertainment (2018–2019) compare le Xbox Game Pass à une « menace systémique » pour l’industrie. Son argument ? Le modèle d’abonnement de Microsoft réduit les jeux à des commodités, effaçant leur potentiel économique à long terme. *« Avec le Game Pass, un jeu devient un simple élément d’un buffet à volonté. On ne parle plus de partenariat, mais de transaction pure et dure : un chèque contre une place dans le catalogue »*, lance-t-il, amer.
À l’opposé des lancements traditionnels – où un titre comme The Last of Us Part II peut générer des ventes physiques, des DLC, et un merchandising sur plusieurs années –, le Game Pass propose une rémunération unique. *« C’est comme si Netflix payait un réalisateur une seule fois pour son film, puis le diffusait à l’infini sans lui reverser un centime de plus. Où est la logique économique ? »*, s’interroge Layden. Une comparaison qui fait mouche, surtout quand on sait que 72% des joueurs Xbox (sondage Newzoo, 2024) considèrent le Game Pass comme un « must-have ».
Pourtant, les chiffres révèlent un déséquilibre criant. Selon les documents internes de Microsoft, dévoilés lors du procès FTC c. Microsoft (2023), seuls 20 à 30% des abonnés découvrent des jeux indépendants via le service. Le reste se concentre sur les blockbusters première partie (Starfield, Forza Horizon 5), créant une « économie de l’attention » où seuls les titres capables de retenir les joueurs sur le long terme survivent. *« On assistait à une illusion : les petits studios croyaient toucher le jackpot en intégrant le Game Pass. En réalité, ils obtenaient une visibilité éphémère et des revenus dérisoires »*, confie un développeur ayant collaboré avec Xbox sous couvert d’anonymat.
« Le Game Pass est un cancer pour les éditeurs tiers. » La formule, signée Jim Ryan (ex-PDG de PlayStation), résume l’inquiétude grandissante dans l’industrie. En 2023, ce dernier qualifiait déjà le modèle de *« destructeur »*, un avis partagé par des analystes comme Piers Harding-Rolls (Ampere), qui souligne une « précarisation des studios indépendants ». *« Sans revenus récurrents, comment financer l’innovation ? »*, questionne-t-il.
Le piège de la visibilité : quand le Game Pass devient un miroir aux alouettes
Sur le papier, le Game Pass est une aubaine pour les studios indépendants : une vitrine mondiale, une chance de se faire remarquer parmi les 34 millions d’abonnés. Mais la réalité est bien plus sombre. Une étude d’Ampere Analysis (2023) révèle que 68% des jeux indés présents sur la plateforme voient leurs ventes chuter de 40 à 70% après leur retrait du catalogue. *« L’effet Game Pass est comme un feu de paille : intense, mais bref »*, résume un éditeur.
Pire : selon NPD Group, seulement 15% des abonnés osent s’aventurer hors des sentiers battus (Halo Infinite, Gears 6). *« On nous vend une diversité, mais en pratique, le Game Pass fonctionne comme un supermarché où 80% des clients ne prennent que les marques connues »*, déplique un développeur. Les données internes de Microsoft confirment cette tendance : 80% du budget alloué aux acquisitions de jeux serait concentré sur 20% des titres – majoritairement des productions maison.
Un exemple frappant ? Pentiment, le RPG narratif d’Obsidian (studio propriété de Microsoft), a bénéficié d’une campagne marketing agressive et d’une place de choix dans le Game Pass. Résultat : 1,3 million de joueurs en trois mois. À l’inverse, Tunic, le chef-d’œuvre indépendant de Finji, a mis deux ans à atteindre le même score… malgré des critiques dithyrambiques. *« Le Game Pass ne crée pas d’égalité : il amplifie les inégalités »*, assène un observateur.
Derrière les chiffres records, une industrie à deux vitesses
Avec 34 millions d’abonnés et une croissance annuelle de 15% (rapport Microsoft, 2023), le Game Pass semble invincible. Pourtant, son succès cache une fracture profonde :
- Les gagnants : les exclusivités Microsoft (Starfield, Forza Horizon 5) bénéficient d’une exposition permanente, dopant leurs ventes de DLC et de contenus additionnels.
- Les perdants : les jeux indépendants et tiers, dont les revenus dépendent d’une fenêtre de visibilité courte et d’un paiement unique (souvent entre 1 et 5 millions de dollars, selon les contrats).
*« On passe d’une économie de la rareté à une économie de l’abondance »*, analyse Shawn Layden. *« Dans le premier cas, un jeu a de la valeur parce qu’il est unique. Dans le second, il devient un produit jetable, noyer dans un océan de contenus. »* Un constat partagé par Phil Spencer, patron d’Xbox, qui reconnaît lui-même que *« le modèle doit évoluer »* pour mieux rémunérer les créateurs.
Depuis 2023, Microsoft expérimente des contrats hybrides via le programme ID@Xbox : les studios touchent un paiement initial pour leur intégration au Game Pass, auquel s’ajoute un pourcentage sur les microtransactions (cosmétiques, extensions). Une avancée, mais insuffisante pour Layden : *« Tant que la logique sera au volume plutôt qu’à la valeur, le déséquilibre persistera. »* D’autant que certains éditeurs dénoncent des clauses opaques et des objectifs de rétention irréalistes.
Et si le Game Pass était (aussi) une victoire pour les joueurs ?
Malgré les critiques, une question persiste : le Game Pass n’est-il pas, avant tout, un service conçu pour les joueurs ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- 72% des possesseurs d’Xbox le considèrent comme « indispensable » (Newzoo, 2024).
- 60% des abonnés ont découvert au moins un jeu qu’ils n’auraient pas acheté autrement (Microsoft, 2023).
- Le service a permis à des titres comme Psychonauts 2 ou Hi-Fi Rush d’atteindre un public 10 fois plus large que prévu.
*« Le Game Pass a sauvé des studios »*, affirme Tim Schafer (Double Fine), dont Psychonauts 2 a été un succès critique et commercial grâce au service. *« Sans lui, on aurait peut-être dû fermer boutique. »* Un avis nuancé par Rami Ismail (développeur indépendant) : *« Oui, le Game Pass offre une bouffée d’oxygène, mais il ne remplace pas un modèle durable. On ne peut pas bâtir une industrie sur des miettes. »*
Le débat est donc loin d’être tranché. D’un côté, une expérience joueur inégalée : accès à des centaines de jeux pour 10 à 15€ par mois, découverte de pépites méconnues, suppression des barrières financières. De l’autre, une précarisation des créateurs, une concentration des revenus sur quelques franchises, et une remise en cause de la valeur même du jeu vidéo.
« L’abonnement qui divise » : et maintenant, on fait quoi ?
Face aux critiques, Microsoft semble déterminé à ajuster son modèle. Plusieurs pistes sont évoquées :
- Des contrats plus équitables : une rémunération basée sur le temps de jeu plutôt que sur un forfait unique (comme le fait déjà Apple Arcade).
- Un meilleur équilibre budgétaire : réduire la part des blockbusters pour financer davantage de jeux indés.
- Une transparence accrue : publier des données sur la répartition des revenus et l’impact réel sur les studios.
*« Le Game Pass n’est pas mauvais en soi »*, tempère Shawn Layden. *« C’est son application actuelle qui pose problème. Si Microsoft veut vraiment soutenir l’industrie, il doit repenser la façon dont il crée et partage la valeur. »* Une réflexion qui prend tout son sens à l’heure où Sony (avec son PlayStation Plus Premium) et Nintendo (via son Expansion Pack) tentent eux aussi de conquérir le marché des abonnements… sans tomber dans les mêmes écueils.
Les prochains mois seront cruciaux. Avec la sortie imminente de Fable (Playground Games) et d’Avowed (Obsidian), deux exclusivités majeures, Microsoft a l’occasion de prouver que son modèle peut bénéficier à tous – joueurs et développeurs. *« Le Game Pass peut être une force »*, conclut un analyste. *« À condition de ne pas devenir un monstre. »*