Il y a 15 jours
Kojima et Niantic : Quand la Fiction Déborde dans la Rue – Le Projet Qui Veut Réinventer le Divertissement
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Hideo Kojima et Niantic unissent leurs forces pour effacer la frontière entre écran et réalité. Leur projet secret, dévoilé lors de *Beyond the Strand*, promet des aventures narratives uniques, façonnées par votre environnement physique grâce à une IA géospatiale révolutionnaire. Entre les ambitions technologiques de Niantic (ex-Pokémon GO) et le génie storytelling de Kojima (Death Stranding), cette collaboration pourrait bien redéfinir notre rapport aux récits interactifs – à condition de surmonter des défis colossaux, de la persistance des données à l’immersion en monde ouvert.
A retenir :
- Une alliance inédite : Kojima Productions et Niantic fusionnent narration auteuriste et technologie géospatiale pour créer des expériences jouables dans le monde réel, bien au-delà de la réalité augmentée classique.
- Précision extrême : Le Lightship VPS de Niantic permet une localisation centimétrique, ouvrant la voie à des quêtes éphémères adaptées à des lieux précis (ex : le Marais à Paris ou les temples de Kyoto).
- Un teasing mystérieux : Le court-métrage A New Dawn, aux accents de Death Stranding, laisse planer le doute sur la forme finale du projet – jeu, expérience transmédia, ou quelque chose d’entièrement nouveau ?
- Défis titanesques : Comment concilier la profondeur narrative de Kojima avec les contraintes du réel (météo, foules, réglementations locales) ? Un casse-tête qui rappelle les limites rencontrées par Pokémon GO.
- Rvolution transmédia : Le projet envisage un écosystème où les actions d’un joueur à Tokyo pourraient impacter l’expérience d’un autre à New York, via une cartographie dynamique alimentée par l’IA.
Quand Kojima transformait déjà nos écrans en mondes vivants
Il y a dix ans, Hideo Kojima fondait son studio indépendant après son départ de Konami, marquant le début d’une ère où ses obsessions – l’isolement, les connexions humaines, et les frontières floues entre réel et virtuel – allaient prendre une nouvelle dimension. Avec Death Stranding (2019), il poussait les joueurs à repenser leur rapport aux autres via un réseau social in-game, où chaque pont construit ou colis livré avait un impact tangible sur l’expérience collective. Aujourd’hui, lors de l’événement Beyond the Strand célébrant ce décennie, Kojima a esquissé les contours d’un projet bien plus ambitieux : et si ces mécaniques sociales déborient de l’écran pour investir nos rues ?
Pour y parvenir, le créateur s’est associé à un partenaire inattendu : Niantic, le studio derrière Pokémon GO, qui a récemment pivoté vers l’IA géospatiale avec sa division Niantic Spatial. Leur objectif commun ? Créer un "modèle vivant du monde", où la narration interactive s’adapterait en temps réel à l’environnement physique du joueur – relief, météo, densité urbaine, voire événements locaux. Une promesse qui dépasse largement le cadre du gaming pour s’aventurer vers une reconfiguration des expériences collectives, où chaque participant deviendrait co-auteur d’une histoire en perpétuelle évolution.
Niantic Spatial : quand l’IA donne une mémoire aux lieux
Derrière cette vision se cache une technologie déjà éprouvée, mais jamais poussée à ce niveau d’ambition. Niantic a développé le Lightship VPS (Visual Positioning System), un système capable de reconnaître des lieux avec une précision centimétrique – là où le GPS traditionnel se limite à 5 mètres près. Concrètement, cela signifie qu’une quête pourrait se déclencher uniquement si vous vous tenez devant la fontaine Saint-Michel à Paris, ou à l’angle précis de deux ruelles de Kyoto. Une avancée qui rappelle les portails de Ingress (2012), mais avec une couche narrative bien plus riche.
John Hanke, PDG de Niantic, évoque un "dialogue entre le monde et ses habitants". Leur IA géospatiale analyse en continu les données environnementales pour générer des interactions contextuelles. Par exemple :
- Une tempête soudaine pourrait déclencher une quête de survie collaborative.
- La densité de la foule dans un parc influencerait le comportement des PNJ virtuels.
- Un événement historique local (comme un festival) serait intégré au récit en temps réel.
Pourtant, les défis sont immenses. Pokémon GO, malgré son milliard de téléchargements, a souvent été critiqué pour son manque de profondeur narrative et ses problèmes techniques (bugs de localisation, événements mal calibrés). Comment ce nouveau projet évitera-t-il ces écueils, tout en gérant la persistance des données dans un monde en constante mutation ?
A New Dawn : quand le cinéma devient la porte d’entrée du jeu
Pour entretenir le mystère, Kojima a commandé A New Dawn, un court-métrage live-action réalisé par Ei Uehara et Corey Finn, avec l’acteur Zane Haney dans le rôle principal. Diffusé lors de Beyond the Strand, ce film aux allures de prologue mise sur une esthétique contemplative et inquiétante, proche des bandes-annonces de Death Stranding : des plans larges sur des paysages désolés, des silhouettes mystérieuses, et une tension narrative palpable... mais aucune explication concrète.
Pourquoi un court-métrage avant même d’annoncer le jeu ? La réponse tient en une stratégie que Kojima maîtrise à la perfection : le teasing par l’ellipse. Depuis Metal Gear Solid 2 (2001) et son fameuse bande-annonce trompeuse, le créateur japonais cultive l’art de susciter l’engouement en révélant le moins possible. Ici, A New Dawn semble poser les bases d’un univers où la frontière entre fiction et réalité est poreuse – un thème cher à Kojima, déjà exploré dans P.T. (2014) ou Ludens (2019), son projet de film avorté.
Mais cette fois, la dimension transmédiatique prend une nouvelle tournure. Contrairement à un jeu traditionnel, ce partenariat avec Niantic suggère une expérience hybride, où le joueur serait à la fois :
- Acteur : Ses choix dans le monde réel influencent la narration.
- Spectateur : Il observe les conséquences de ses actions (et celles des autres) se matérialiser dans son environnement.
- Créateur : Ses interactions alimentent une base de données collective, façonnant l’expérience pour les futurs participants.
Le casse-tête de l’interactivité physique : quand la réalité résiste au scénario
Si Death Stranding jouait sur la connexion entre joueurs via un réseau virtuel (le Chiral Network), ce nouveau projet promet une interaction tangible – où les choix des participants pourraient modifier durablement un environnement partagé. Imaginez :
- Un joueur à Tokyo active un mécanisme qui déclenche une quête pour un autre joueur à New York, via une cartographie dynamique alimentée par l’IA.
- Une décision collective (comme "sauver un lieu historique") aurait des répercussions visibles dans le jeu et dans la réalité (ex : un événement organisé en partenariat avec une ville).
- Des objets virtuels laissés par les joueurs (comme les ladders dans Death Stranding) persisteraient et évolueraient en fonction des interactions ultérieures.
Les obstacles sont nombreux :
- La météo : Une quête prévue en extérieur peut être rendue impossible par la pluie ou le vent.
- Les foules : Un événement dans un lieu touristique pourrait être perturbé par l’affluence.
- Les réglementations locales : Certaines villes interdisent les rassemblements ou l’utilisation d’espaces publics à des fins commerciales.
- La persistance des données : Comment maintenir une narration cohérente quand un lieu change (chantier, destruction d’un bâtiment) ?
Un pari risqué, mais potentiellement révolutionnaire. Si le projet aboutit, il pourrait redéfinir les frontières du transmedia storytelling, en créant un pont entre :
- Le jeu vidéo (mécaniques interactives).
- Le cinéma (narration immersive, comme dans A New Dawn).
- La réalité augmentée (intégration du monde physique).
- Les réseaux sociaux (partage d’expériences collectives).
Entre utopie et dystopie : les questions éthiques en suspens
Au-delà des défis techniques, ce projet soulève des questions éthiques cruciales. En transformant l’espace public en terrain de jeu narratif, Kojima et Niantic risquent de :
- Banaliser la surveillance : Le Lightship VPS repose sur une collecte massive de données géolocalisées. Qui y aura accès, et à quelles fins ?
- Créer des inégalités : Les joueurs en zone urbaine dense bénéficieront d’expériences bien plus riches que ceux en milieu rural.
- Dénaturer les lieux : Une quête dans un cimetière ou un site sacré pourrait heurter les sensibilités locales.
- Rendre les joueurs dépendants : Comme avec Pokémon GO, certains pourraient négliger leur sécurité (ex : traverser une route les yeux rivés sur leur écran).
Du côté de Kojima, l’enjeu sera de concilier immersion et respect du réel. Dans Death Stranding, le joueur évoluait dans un monde post-apocalyptique fictif ; ici, il interagira avec des lieux chargés d’histoire et de sens. Une erreur de ton (comme une quête trop légère dans un lieu de mémoire) pourrait avoir des conséquences désastreuses.
Un projet à double tranchant, donc, qui pourrait soit :
- Donner naissance à une nouvelle forme d’art participatif, où chacun devient co-créateur d’un récit global.
- Ou renforcer les dérives de la gamification du monde, où tout espace public devient un support marketing.
Ce que les autres studios peuvent en apprendre (ou craindre)
Si ce projet voit le jour, il pourrait bouleverser plusieurs industries :
- Le jeu vidéo : Les développeurs devront repenser la narration pour intégrer des éléments non contrôlables (météo, actions des joueurs en temps réel).
- Le cinéma : Les films pourraient servir de prologues à des expériences interactives, comme A New Dawn pour ce projet.
- Le tourisme : Les villes pourraient collaborer avec des studios pour créer des parcours narratifs attractifs (ex : une quête historique à Rome).
- Les réseaux sociaux : Les plateformes comme TikTok ou Instagram pourraient intégrer des mécaniques de storytelling géolocalisé.
- Une course à l’IA géospatiale, coûteuse et réservée aux géants comme Niantic ou Google.
- Une standardisation des récits, où la technologie primerait sur l’originalité narrative.
- Des problèmes juridiques liés à l’utilisation des données personnelles et des espaces publics.
Un tournant pour l’industrie ? Peut-être. Mais comme le rappelle un développeur anonyme interrogé par Game Developer : "Kojima a toujours été un visionnaire, mais ses projets les plus ambitieux (comme Silent Hills) ont souvent été avortés. La question n’est pas de savoir si ce projet verra le jour, mais sous quelle forme."