Il y a 9 jours
EA privatisée pour 55 milliards : quand l’Arabie saoudite et Jared Kushner redessinent l’avenir du gaming
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En bref : un rachat historique qui secoue l’industrie
Electronic Arts, l’un des piliers du jeu vidéo mondial, vient d’être privatisé pour **55 milliards de dollars** par un consortium mené par le Fonds souverain saoudien (PIF), la société de Jared Kushner (*Affinity Partners*), et le fonds *Silver Lake*. Une opération en cash qui propulse EA dans une nouvelle ère, entre ambitions créatives, enjeux géopolitiques et pression financière. Avec des licences comme *FIFA* (devenu *EA Sports FC*), *Battlefield* ou *The Sims*, le géant californien devient un pion central dans la stratégie d’influence de l’Arabie saoudite, tout en devant concilier innovation et rentabilité. Un virage qui interroge sur l’avenir du gaming, entre expansion au Moyen-Orient et défis éthiques.A retenir :
- 55 milliards de dollars en cash : le consortium mené par le PIF saoudien, Jared Kushner (*Affinity Partners*) et *Silver Lake* privatise Electronic Arts, avec une prime de **210 $ par action** pour les actionnaires.
- Un portefeuille de licences stratégiques : *FIFA (EA Sports FC)*, *Battlefield*, *The Sims*, *Star Wars Jedi*… des franchises clés pour le PIF, qui mise sur le gaming pour diversifier l’économie saoudite (*Vision 2030*).
- Géopolitique et soft power : entre expansion au Moyen-Orient (+25 % de croissance annuelle) et controverses (droits humains, conflits d’intérêts), ce rachat place EA au cœur d’une guerre d’influence culturelle.
- Créativité vs. rentabilité : avec **72 % de ses revenus issus des jeux live-service**, EA devra-t-elle sacrifier l’innovation pour satisfaire ses nouveaux actionnaires, connus pour leurs exigences financières ?
- Andrew Wilson reste aux commandes, mais sous pression : entre "liberté artistique" promise et restructurations potentielles (Silver Lake a un passé agressif chez *Dell* ou *Twitter*).
Un coup de théâtre à 55 milliards : EA passe sous pavillon privé
Imaginez la scène : un géant du jeu vidéo, coté en Bourse depuis des décennies, quitte soudainement les marchés pour rejoindre les mains d’un consortium aussi puissant qu’hétéroclite. C’est ce qui vient de se produire pour Electronic Arts, racheté pour la somme astronomique de **55 milliards de dollars** – une transaction entièrement financée en cash, sans dette. Parmi les nouveaux propriétaires ? Le Fonds d’investissement public (PIF) de l’Arabie saoudite, déjà actionnaire à 9,9 %, la société Affinity Partners de Jared Kushner (gendre et ancien conseiller de Donald Trump), et le fonds Silver Lake, spécialiste des restructurations tech.
Pour les actionnaires, l’opération est une aubaine : la valeur proposée de **210 dollars par action** représente une prime de près de 20 % par rapport au cours boursier d’il y a une semaine. Quant à Andrew Wilson, le PDG d’EA, il conserve son poste, avec pour mission de "réinventer l’expérience gaming" sous l’égide de ces nouveaux partenaires. Un pari audacieux, alors que le marché mondial du jeu vidéo, évalué à **184 milliards de dollars en 2023** (source : Newzoo), montre des signes de ralentissement après l’explosion pandémique.
Mais derrière les chiffres mirobolants se cache une question cruciale : ce rachat est-il une opportunité historique pour EA, ou le début d’une ère de compromissions créatives ? Les joueurs, eux, observent avec méfiance, surtout après les déboires récents de franchises comme *Mass Effect* ou *Dead Space*, dont les rebirths ont divisé la communauté.
Le PIF saoudien et Kushner : un duo explosif pour conquérir le gaming
Le PIF n’en est pas à son coup d’essai. Depuis 2021, le fonds souverain saoudien investit massivement dans le jeu vidéo, avec des acquisitions comme Scopely (4,9 milliards de dollars en 2023) ou des participations dans Embracer Group (propriétaire de *Borderlands* et *Tomb Raider*). Avec EA, le royaume met la main sur un catalogue de licences parmi les plus rentables au monde : *FIFA* (rebaptisé *EA Sports FC* après la rupture avec la FIFA), *Battlefield*, *The Sims*, ou encore *Star Wars Jedi*. Une aubaine pour Riyad, qui voit dans le gaming un levier clé de sa stratégie Vision 2030 – un plan ambitieux pour réduire la dépendance aux hydrocarbures en misant sur les industries culturelles.
Côté américain, l’implication de Jared Kushner via *Affinity Partners* ajoute une dimension géopolitique troublante. Son fonds, qui a levé **2,5 milliards de dollars en 2022** grâce à des investisseurs du Golfe, défend une vision du gaming comme "outil d’influence culturelle et technologique". Une rhétorique qui contraste avec les critiques passées sur les liens entre la Silicon Valley et les capitaux étrangers – surtout quand on sait que *Affinity Partners* a été en partie financé par… l’Arabie saoudite. "On marche sur une ligne fine entre partenariat stratégique et conflit d’intérêts", résume un analyste de *Bloomberg*.
Quant à Silver Lake, son rôle est clair : optimiser la rentabilité. Le fonds, connu pour ses restructurations musclées (chez *Dell* ou *Twitter* avant l’ère Musk), pourrait bien pousser EA à serrer encore davantage la vis sur les coûts – au risque d’étouffer la créativité. "L’innovation a un prix, et nos actionnaires s’attendent à un retour sur investissement", déclarait un porte-parole de Silver Lake en marge de l’annonce. Un avertissement à peine voilé pour les studios d’EA.
"L’ère des compromis" : EA entre pression financière et attentes des joueurs
Avec **72 % de ses revenus issus des jeux live-service** (rapport annuel 2023), EA a déjà largement basculé vers un modèle économique axé sur les microtransactions et les mises à jour régulières. Mais sous la pression de ses nouveaux actionnaires, le géant californien devra-t-il franchir une étape supplémentaire ? Les joueurs craignent le pire, surtout après des scandales comme les looter boxes dans *FIFA* ou les microtransactions controversées de *Star Wars Battlefront II* (2017), qui avaient valu à EA le titre peu enviable de "pire entreprise d’Amérique" selon un sondage *Consumerist*.
Andrew Wilson, dans un memo interne obtenu par *The Verge*, a tenté de rassurer : "Notre indépendance créative reste intacte. Ce partenariat nous donne les moyens d’innover sans contraintes." Pourtant, les exemples de *Silver Lake* (qui a licencié massivement chez *Dell*) ou du PIF (critiqué pour son ingérence dans le sport via *Newcastle United* ou la *LIV Golf*) laissent planer un doute. "EA va devoir choisir entre plaire à ses actionnaires ou à ses joueurs. Et l’histoire montre que les actionnaires gagnent souvent", commente un développeur anonyme ayant travaillé sur *Battlefield 2042*.
Un cas d’école illustre ce dilemme : la franchise *Mass Effect*. Le reboot *Mass Effect: Andromeda* (2017) avait été un échec critique et commercial, poussant EA à revoir sa copie. Résultat ? *Mass Effect Legendary Edition* (2021), un remaster acclamé, mais aussi un recentrage sur des formules éprouvées. Le risque ? Que cette alliance accélère la standardisation des jeux EA, au détriment de la prise de risque.
Gamers8, Newcastle, et maintenant EA : le soft power saoudien à l’assaut du divertissement
Ce rachat s’inscrit dans une stratégie bien plus large : faire de l’Arabie saoudite un acteur incontournable du divertissement mondial. Après le football (*Newcastle United*), le golf (*LIV Golf*), ou la Formule 1, le royaume mise désormais sur le gaming. Preuve en est : l’événement Gamers8, organisé à Riyad en 2023 avec une dotation record de **45 millions de dollars**, ou les incitations fiscales offertes aux studios pour s’installer sur place. "Le gaming est la nouvelle frontière du soft power. Et l’Arabie saoudite compte bien en être le leader", explique un expert de *Niko Partners*.
Pour EA, cette alliance ouvre des perspectives immenses au Moyen-Orient, un marché en croissance de **25 % par an** (source : Niko Partners). Mais elle expose aussi le studio à des critiques. Le PIF, déjà épinglé pour son bilan en matière de droits humains, utilise le gaming pour redorer son blason – une stratégie que certains qualifient de "sportwashing 2.0". "Acheter des licences populaires comme FIFA ou The Sims, c’est une façon de normaliser l’image du régime saoudien aux yeux des jeunes générations", dénonce un membre de l’ONG *Human Rights Watch*.
Sans compter les tensions géopolitiques. Aux États-Unis, des sénateurs ont déjà exprimé leur inquiétude face à l’influence croissante des capitaux saoudiens dans la tech. "Nous ne pouvons pas laisser des régimes autoritaires contrôler les narrations culturelles via des jeux vidéo", a déclaré un élu démocrate sous couvert d’anonymat. Un débat qui rappelle les polémiques autour de *Tencent* (propriétaire de *Riot Games* et *Epic*) ou de *Netease* (partenaire de *Blizzard*).
Et maintenant ? Trois scénarios pour l’avenir d’EA
Alors, que peut-on attendre de cette nouvelle ère pour EA ? Trois hypothèses se dessinent :
1. L’accélération des live-service : Avec des actionnaires assoiffés de profits, EA pourrait doubler sur les jeux "as-a-service", comme *FIFA* ou *Apex Legends*, en multipliant les événements saisonniers et les monétisations. "Attendez-vous à des passes de combat encore plus chers et des contenus exclusifs pour les joueurs saoudiens", prédit un analyste de *Wedbush Securities*.
2. Une expansion agressive au Moyen-Orient : Le PIF pourrait pousser EA à développer des jeux spécifiques pour le marché arabe, ou à organiser des tournois locaux (comme la *Saudi Esports League*). *Battlefield*, avec ses cartes inspirées de conflits réels, pourrait même devenir un outil de propagande subtile.
3. Le pire des deux mondes : Une créativité étouffée par les impératifs financiers, couplée à des scandales géopolitiques. Imaginez un *Star Wars* censuré pour plaire à Riyad, ou un *The Sims* avec des DLC "mode de vie saoudien"… "EA a toujours su naviguer entre audace et opportunisme. Mais là, la marge de manœuvre se réduit", résume un ancien employé du studio.
Une chose est sûre : ce rachat marque la fin d’une époque pour EA. Celle d’un géant coté en Bourse, libre (en théorie) de ses choix. Place désormais à une ère où chaque décision – du design d’un personnage à la tarification d’un skin – sera scrutée à la loupe par des actionnaires aux agendas bien précis. Les joueurs, eux, n’ont plus qu’à croiser les doigts… ou à se tourner vers des studios indépendants.
Dans les coulisses : comment le deal s’est monté (et pourquoi personne ne l’a vu venir)
Retour en arrière : début 2023. Alors que les rumeurs de rachat d’EA par Microsoft ou Sony s’intensifient, une équipe discrète du PIF commence à approcher les dirigeants du studio. Leur argument ? "Nous ne voulons pas démanteler EA, mais lui donner les moyens de dominer le marché." Un discours qui séduit Andrew Wilson, en poste depuis 2013 et sous pression après les échecs commerciaux de *Battlefield 2042* et *Skate*.
Le déclic a lieu en septembre 2023, lors d’un dîner à New York entre Kushner, des représentants du PIF, et des cadres de *Silver Lake*. "Ils nous ont montré une carte du marché du gaming en 2030, avec l’Arabie saoudite en épicentre. EA en était le morceau manquant", confie une source proche des négociations. En trois mois, l’accord est bouclé dans le plus grand secret – si bien que même des cadres d’EA ont été surpris par l’annonce.
Le montant ? **55 milliards**, soit près de deux fois la valorisation boursière d’EA avant l’offre. "Ils ont payé le prix fort pour éviter une guerre d’enchères avec Microsoft", analyse un banquier d’affaires. Résultat : une OPA (offre publique d’achat) en cash, sans dette, et une sortie en Bourse qui a laissé les actionnaires sur un nuage.
Mais le plus surprenant reste le rôle de Jared Kushner. Son fonds, *Affinity Partners*, n’a que deux ans d’existence et peu d’expérience dans le gaming. Alors pourquoi lui ? "Kushner est un pont entre Washington et Riyad. Son nom rassure les Américains, tout en ouvrant des portes en Arabie saoudite", explique un diplomate. Une position qui lui vaut déjà des critiques, certains y voyant un nouveau conflit d’intérêts après ses fonctions à la Maison Blanche.