Il y a 12 jours
Sirocco : le MOBA naval qui a sombré après 15 ans de développement, sans jamais quitter l’accès anticipé
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Un rêve de 15 ans englouti par les vagues du marché
Après un développement marathon et un lancement en *early access* salué par les joueurs, **Sirocco** – ce **MOBA naval** audacieux mêlant combats 5 contre 5 et stratégie maritime – a définitivement fermé ses serveurs le **20 août 2025**. Malgré un pic à **882 joueurs simultanés** et une note *"globalement positive"* sur Steam, le titre n’a jamais réussi à émerger face aux géants du genre comme *League of Legends* ou *Dota 2*. Retour sur l’ascension et la chute d’un projet né d’un mod *Warcraft III*, porté par une poignée de passionnés, mais victime d’un marché impitoyable. L’équipe de **Lunchbox Entertainment** garde espoir de le ressusciter un jour… mais sans certitudes.A retenir :
- 15 ans de développement pour un **MOBA naval hybride**, inspiré d’un mod *Warcraft III*, qui ferme ses portes avant même de quitter l’*early access*.
- Un pic à 882 joueurs en mai 2025, puis une chute vertigineuse à moins de 30 connectés en moyenne – un score insuffisant pour survivre.
- Fermeture définitive des serveurs le 20 août 2025 à 15h (HE), avec un remboursement des supporters Patreon sur 90 jours.
- Un échec symptomatique des difficultés des jeux *niche* face aux mastodontes du **MOBA**, malgré une communauté décrite comme *"incroyable"*.
- L’équipe évoque un possible retour, sans calendrier ni garantie, tout en soulignant sa fierté d’avoir mené ce projet jusqu’au bout.
Un concept ambitieux, né d’une passion pour les mods
Tout commence en 2010, quand une poignée de développeurs s’inspire d’un mod *Warcraft III* pour imaginer un **MOBA** où les héros seraient remplacés par des navires de guerre. L’idée ? Transposer la mécanique classique des *lanes*, des *creeps* et des objectifs en pleine mer, avec des bateaux aux compétences uniques, des vagues à dominer et des stratégies navales à déployer. **Sirocco** naît de cette ambition : créer un hybride entre un jeu de stratégie en temps réel et un MOBA compétitif, le tout dans un univers maritime stylisé.
Après 15 ans de développement – un parcours semé d’embûches, de réorientations et de phases de test – le jeu sort enfin en *early access* sur Steam en janvier 2025. Les retours sont encourageants : une note *"globalement positive"*, des joueurs séduits par l’originalité du concept, et des streamers qui s’emparent ponctuellement du titre. Pourtant, dès les premiers mois, les signes d’essoufflement apparaissent. Le pic à **882 joueurs simultanés**, atteint en mai 2025, reste anecdotique face aux millions de *League of Legends* ou aux centaines de milliers de *Dota 2*. Pire : quatre mois plus tard, la moyenne quotidienne chute sous la barre des 30 connectés.
"On savait que ce serait un défi, mais on croyait en notre communauté. Malheureusement, les chiffres ne mentent pas…"*, confiait en off un membre de l’équipe à un média spécialisé en mars 2025. Un aveu prémonitoire.
Le crépuscule d’un rêve : pourquoi Sirocco a coulé ?
La fermeture des serveurs, annoncée le 18 août 2025 pour une exécution deux jours plus tard, a pris de court les derniers fidèles du jeu. Dans un message sobre publié sur Steam, **Lunchbox Entertainment** explique : *"Nous sommes désolés pour la gêne occasionnée et reconnaissants pour votre soutien. Malheureusement, le nombre de joueurs actifs ne permet plus de maintenir les serveurs."* Une décision irréversible, mais assumée.
Plusieurs facteurs expliquent cet échec :
- Un marché ultra-concurrentiel : Les **MOBA** sont dominés par *League of Legends* (Riot Games) et *Dota 2* (Valve), avec des communautés installées depuis plus d’une décennie. Percer dans ce secteur relève de l’exploit, surtout pour un studio indépendant.
- Un concept trop niche : Mélanger stratégie navale et **MOBA** était audacieux, mais le public visé – à la fois amateur de jeux compétitifs et de simulations maritimes – s’est révélé trop restreint.
- Un early access mal exploité : Sortir en accès anticipé sans plan de communication solide ni mises à jour régulières a limité l’attractivité du jeu sur la durée.
- L’absence de modèle économique clair : Sans *battle pass*, microtransactions ou système de monétisation efficace, les revenus dépendaient presque exclusivement des ventes initiales et des dons Patreon.
"C’est le serpent qui se mord la queue, explique Thomas R., un joueur français ayant soutenu le jeu depuis 2023. Sans joueurs, pas de contenu supplémentaire. Sans contenu, les joueurs partent. Et sans argent, impossible d’inverser la tendance."*
"On a tout donné" : le témoignage poignant des développeurs
Dans les heures suivant l’annonce, le Discord officiel de *Sirocco* s’est transformé en un lieu de recueillement. **Jack of Boxes**, l’un des piliers du projet, y a partagé un message émouvant :
"Éteindre les serveurs, c’est comme couper le cœur de quelque chose qu’on a construit pendant des années. Mais on est fiers. Fiers d’avoir osé, fiers d’avoir tenu 15 ans, fiers d’avoir créé une communauté aussi soudée. […] On ne bâcle pas. Si un jour on revient, ce sera avec un jeu qui mérite d’exister."*
Un discours qui résonne comme un hommage aux supporters, mais aussi comme un constat lucide : dans l’industrie du jeu vidéo, la passion ne suffit pas toujours. Les développeurs ont promis de rembourser les contributeurs Patreon sous 90 jours, une démarche rare qui témoigne de leur intégrité.
Parmi les joueurs, les réactions oscillent entre nostalgie et amertume. *"C’était le seul MOBA où je me sentais immersé, avec les vagues, le vent, la gestion des voiles… Dommage que le monde ne l’ait pas découvert"*, regrette *Marine_LF*, une joueuse active depuis le début de l’*early access*.
Et maintenant ? L’espoir d’une résurrection, ou l’oubli ?
Contrairement à d’autres jeux abandonnés, **Sirocco** laisse une porte entrouverte. Dans une interview accordée à *PC Gamer* en juillet 2025, un porte-parole de Lunchbox Entertainment évoquait déjà la possibilité d’un retour sous une autre forme :
"On ne ferme pas définitivement le livre. Si l’opportunité se présente – un partenariat, un financement, une refonte technique – on étudiera toutes les options. Mais aujourd’hui, on n’a ni les moyens ni les garanties pour promettre quoi que ce soit."*
Plusieurs pistes sont envisagées :
- Un reboot en solo/coop : Abandonner le côté compétitif pour se concentrer sur une campagne narrative ou un mode PvE.
- Un portage sur consoles : Tenter une sortie sur Xbox ou PlayStation pour toucher un nouveau public, bien que le genre **MOBA** y soit historiquement moins populaire.
- Une version "community-driven" : Libérer le code source pour que les fans puissent maintenir des serveurs privés, à l’image de ce qui s’est fait pour *Star Wars Galaxies* ou *City of Heroes*.
Reste une question : le public sera-t-il au rendez-vous ? Les exemples de jeux "ressuscités" après un échec commercial sont rares. *No Man’s Sky* a réussi son comeback grâce à des mises à jour massives et une communication transparente. *Final Fantasy XIV* a été entièrement refondu après son lancement catastrophique. Mais ces cas restent des exceptions, souvent portés par des studios aux ressources colossales – ce qui n’est pas le cas de Lunchbox Entertainment.
Sirocco, symbole d’une industrie impitoyable pour les petits studios
L’histoire de **Sirocco** reflète un phénomène plus large : l’industrie du jeu vidéo broie les projets ambitieux mais mal armés. Entre 2020 et 2025, des dizaines de jeux en *early access* ont fermé leurs portes, faute de joueurs ou de financements. Des titres comme *Battleborn* (2K Games), *Gigantic* (Motiga), ou plus récemment *The Culling* (Xaviant) ont subi le même sort, malgré des qualités indéniables.
"Le problème, c’est que les joueurs attendent des jeux finis dès le jour 1, même en early access, analyse Julien V., journaliste chez *Canard PC*. Les développeurs indépendants n’ont souvent ni les moyens ni le temps de polir leur jeu assez vite pour retenir l’attention."*
**Sirocco** paie aussi le prix d’un genre en déclin relatif : les **MOBA**, après avoir dominé les années 2010, voient leur audience stagner. Selon les chiffres de *Newzoo*, le nombre de joueurs actifs sur *League of Legends* a baissé de 12% entre 2022 et 2024, tandis que les *battle royale* et les *extraction shooters* (comme *Escape from Tarkov*) captent l’attention. Dans ce contexte, lancer un **MOBA naval** relevait presque de la gageure.
Pourtant, pour ceux qui l’ont aimé, **Sirocco** restera un ovni vidéoludique – un mélange unique de stratégie, de compétition et d’aventure maritime, porté par une équipe qui a cru en son rêve jusqu’au bout. Comme le disait *Jack of Boxes* : *"Parfois, les meilleurs navires sombrent. Mais leurs épaves racontent une histoire. Et ça, personne ne pourra nous l’enlever."*