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Ubisoft abandonne un
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Un Assassin’s Creed révolutionnaire avorté : quand l’Histoire dépasse la fiction
En 2023, Ubisoft a discrètement enterré un projet ambitieux : un Assassin’s Creed plongeant dans les heures sombres de la guerre de Sécession et de la Reconstruction américaine, avec un protagoniste noir, ancien esclave, affrontant le Ku Klux Klan. Malgré son potentiel narratif inédit, le jeu a été jugé trop explosif politiquement, révélant les tensions internes du studio face aux polémiques raciales. Une décision qui interroge : jusqu’où le jeu vidéo peut-il pousser les frontières de l’Histoire sans risquer l’embrasement ?A retenir :
- Un héros inédit : Un Assassin noir, ancien esclave, combattant le KKK pendant la Reconstruction – un angle jamais exploré dans la franchise.
- Annulation en 2023 : Le projet, en pré-production avancée, stoppé net par crainte des réactions hostiles aux États-Unis, déjà exacerbées après Assassin’s Creed Shadows (2024).
- Un contexte historique brûlant : Le jeu devait aborder l’esclavage, le racisme systémique et la violence post-guerre civile, des thèmes encore ultra-sensibles aujourd’hui.
- Un précédent dans la saga : Assassin’s Creed III (2012) avait effleuré la question raciale, mais ce projet allait bien plus loin – trop loin pour Ubisoft ?
- Des développeurs motivés, une direction frileuse : Les équipes croyaient en ce récit, mais la hiérarchie a préféré éviter un nouveau bad buzz après les polémiques autour de Yasuke.
Un projet qui aurait pu réécrire l’Histoire… du jeu vidéo
Imaginez : 1865, les États-Unis sortent meurtris de quatre années de guerre civile. Les cicatrices de l’esclavage saignent encore, et dans ce chaos, un homme – anciennement enchaîné – se bat pour sa liberté, mais aussi pour celle de son peuple. Armé de la lame cachée des Assassins, il traque les membres du Ku Klux Klan, cette organisation terroriste en pleine expansion. Ce n’est pas le synopsis d’un roman ou d’un film engagé, mais bien celui d’un Assassin’s Creed qui aurait pu voir le jour… si Ubisoft n’avait pas reculé au dernier moment.
Selon les révélations de Game File, confirmées par plusieurs sources internes, ce projet – encore sans titre officiel – était en développement depuis 2021, avec une équipe convaincue de son potentiel. Pour la première fois, la franchise osait placer un héros noir au cœur d’un récit historique ultra-documenté, explorant des thèmes rarement abordés dans les blockbusters vidéoludiques : la Reconstruction, les lois Jim Crow, ou encore la résistance des communautés afro-américaines face à la terreur blanche. Un terrain miné, mais ô combien fertile pour une narration mature.
Pourtant, malgré des mois de recherches et des prototypes prometteurs, Ubisoft a choisi d’abandonner le projet en milieu d’année 2023. Officieusement, on évoque des "risques éditoriaux trop élevés", une formule pudique pour désigner la crainte d’un backlash monumental. Aux États-Unis, où les débats sur l’enseignement de l’esclavage ou la Critical Race Theory enflamment régulièrement l’espace public, un jeu vidant les plaies de l’histoire américaine aurait immanquablement déclenché des polémiques. Et Ubisoft, déjà échaudé par les réactions autour de Yasuke dans Assassin’s Creed Shadows, n’avait pas envie de jouer les pyromanes.
"On ne veut pas d’un nouveau GamerGate" : la peur comme ligne éditoriale
Pour comprendre cette annulation, il faut remonter à février 2024, quand Ubisoft dévoile Assassin’s Creed Shadows, mettant en scène Yasuke, un samouraï noir ayant réellement existé. Malgré un accueil critique globalement positif, une frange de joueurs s’embrase : accusations de "réécriture woke de l’Histoire", moqueries sur les réseaux sociaux, et même des campagnes de review bombing avant la sortie. Rien de nouveau sous le soleil des polémiques gaming, mais suffisamment pour faire trembler les dirigeants du studio.
"Après Shadows, la direction a clairement dit : ‘On ne prend plus de risques inutiles’", confie une source proche du dossier. Pourtant, le projet Guerre de Sécession avait tout pour plaire : un cadre historique solide (les archives de la Library of Congress étaient consultées), un gameplay innovant (infiltration dans des plantations reconverties en repaire du KKK), et une opportunité unique de diversifier une franchise souvent critiquée pour son manque de représentation. Mais dans l’industrie du jeu vidéo en 2023, la peur du scandale prime sur l’audace créative.
Ironie de l’histoire : ce même Assassin’s Creed Shadows, qui a effrayé Ubisoft, a finalement été un succès commercial (plus de 10 millions d’exemplaires vendus en six mois). Preuve que les joueurs sont peut-être plus prêts que les éditeurs ne le pensent à accepter des récits complexes. Alors, pourquoi ce revirement ? "Parce qu’aux États-Unis, aborder l’esclavage dans un jeu grand public, c’est comme marcher sur des œufs… avec des semelles de plomb", résume un développeur sous couvert d’anonymat.
Assassin’s Creed III avait ouvert la voie… mais timidement
Ce projet annulé n’aurait pas été une première tentative pour la franchise d’aborder les tensions raciales. Dès 2012, Assassin’s Creed III introduisait Aveline de Grandpré, une Assassin métisse évoluant dans la Louisiane du XVIIIe siècle, où l’esclavage était encore une réalité quotidienne. Une première, mais traitée avec une prudence de sioux : le jeu évitait soigneusement de montrer la violence directe du système, préférant des allusions voilées.
"Avec le projet Guerre de Sécession, on voulait aller au bout de la logique", explique un ancien membre de l’équipe. "Montrer les lynchages, les lois ségrégationnistes, la résistance des Black Codes… Pas pour choquer, mais pour éduquer. Parce que oui, un jeu vidéo peut être un média historique." Une vision qui a séduit les historiens consultés, comme Dr. Eric Foner (spécialiste de la Reconstruction à Columbia University), mais qui a terrifié les responsables marketing.
Le paradoxe ? La franchise Assassin’s Creed a toujours joué avec l’Histoire, parfois en prenant des libertés (voir la représentation fantaisiste de la Rvolution française dans Unity). Mais toucher à l’esclavage américain, c’est toucher à un nerf à vif. "Aux États-Unis, ce sujet divise encore les familles. Un jeu qui met en scène un héros noir tuant des membres du KKK, même fictifs… vous imaginez les réactions ?", s’interroge un cadre d’Ubisoft Montréal.
Ce que ce projet révèle sur l’industrie du jeu vidéo en 2024
L’annulation de ce Assassin’s Creed pose une question fondamentale : le jeu vidéo grand public peut-il aborder des sujets politiques sans édulcorer son propos ? Les exemples récents montrent une industrie tiraillée entre deux feux :
- D’un côté, des jeux indépendants comme The Underground Railroad (2023) ou Freedom! The Underground Railroad (2013) osent plonger dans les heures noires de l’histoire américaine, avec un succès critique.
- De l’autre, les AAA (jeux à gros budget) préfèrent souvent l’esquive. Même Red Dead Redemption 2 (2018), pourtant acclamé pour son réalisme, a été critiqué pour sa représentation aseptisée de l’esclavage.
Ubisoft n’est pas le seul à reculer. EA a annulé un projet sur la guerre du Vietnam, Activision a censuré des références à Tiananmen dans Call of Duty… La liste est longue. "Les éditeurs ont peur des boycotts, des pertes de partenariats, des attaques en justice. Résultat : on se retrouve avec des jeux qui évitent soigneusement tout ce qui fâche", déplore Julien Chièze, journaliste spécialisé chez Gamekult.
Pourtant, les joueurs semblent prêts. Une étude Newzoo de 2023 révèle que 68% des gamers souhaitent voir plus de jeux abordant des thèmes sociaux ou historiques sans filtre. Alors, qui osera sauter le pas ? "Peut-être qu’il faudra attendre une nouvelle génération de développeurs, moins formatés par la peur du scandale", conclut notre source chez Ubisoft.
Et si le projet ressuscitait… ailleurs ?
Officiellement, Ubisoft n’a jamais confirmé l’existence de ce Assassin’s Creed avorté. Mais dans les coulisses, on murmure que certaines idées pourraient être recyclées… ailleurs. "Plusieurs scénaristes ont été approchés par des studios indépendants pour travailler sur des projets similaires", révèle un recruteur du secteur.
Parmi les pistes évoquées :
- Un spin-off en partenariat avec un musée comme le National Museum of African American History, pour un jeu à vocation éducative.
- Une adaptation en série animée (à l’instar de Assassin’s Creed: Valhalla – Blood Brothers sur Netflix), où les contraintes seraient moindres.
- Un retour du projet sous forme de DLC dans un futur Assassin’s Creed, une fois les tensions retombées.
"Ce qui est sûr, c’est que cette histoire mérite d’être racontée. Si Ubisoft ne le fait pas, quelqu’un d’autre le fera", assure un ancien membre de l’équipe. En attendant, les fans de la franchise peuvent toujours rêver… ou se replonger dans Assassin’s Creed III: Liberation (2012), où Aveline offrait déjà un avant-goût de ce que ce projet aurait pu être.