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Andrzej Sapkowski et CD Projekt Red : une collaboration en mutation, entre liberté créative et défis techniques pour
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Une relation transformée et un futur incertain
Andrzej Sapkowski, créateur de The Witcher, révèle une distance grandissante avec CD Projekt Red, où les échanges – autrefois fréquents – se font désormais "très rarement". Pourtant, cette autonomie croissante des développeurs coïncide avec l’annonce de The Witcher 4, un projet ambitieux qui mise sur l’Unreal Engine 5 et une liberté artistique inédite. Entre promesses techniques (démo impressionnante mais non représentative) et leçons tirées de Cyberpunk 2077, le studio navigue entre audace et prudence, tandis que l’ombre de Sapkowski plane toujours sur un univers qu’il a façonné... mais qu’il ne guide plus.
A retenir :
- Sapkowski et CD Projekt Red : des échanges "très rares" aujourd’hui, contre des consultations quasi quotidiennes aux débuts de la saga. Une distance assumée, mais des contrats "excellents" selon l’auteur.
 - The Witcher 4 se développe sans l’apport régulier de Sapkowski, avec une équipe désormais autonome – un pari risqué après les erreurs de Cyberpunk 2077.
 - Le tech demo en Unreal Engine 5 (Nanite, textures 8K, MetaHuman) a ébloui, mais CD Projekt Red insiste : "Ce n’est pas le jeu final". Une communication mesurée pour éviter les déceptions.
 - Aucun détail sur l’intrigue ou le gameplay n’a fuité. Le mystère reste entier sur cette nouvelle aventure, première sans l’implication directe de son créateur.
 - Succès ou échec ? Tout dépendra de la cohérence du monde, un défi de taille pour une équipe désormais livrée à elle-même, mais forte de 15 ans d’expérience dans l’univers.
 
Des débuts fusionnels à une distance assumée : l’évolution Sapkowski/CD Projekt Red
Il fut un temps où Andrzej Sapkowski était sollicité presque quotidiennement par CD Projekt Red. Chaque détail du lore, chaque nuance d’un personnage comme Geralt ou Yennefer, chaque choix narratif passait par son filtre. "Au début, ils me posaient énormément de questions", se souvient l’auteur polonais dans une récente interview. Ces échanges nourrissaient une collaboration étroite, presque symbiotique, qui avait permis à The Witcher (2007) puis à sa suite de devenir des références du RPG. Pourtant, les temps ont changé.
Aujourd’hui, Sapkowski avoue que les développeurs "ne lui demandent plus souvent conseil". Une distance qui pourrait surprendre, mais que l’écrivain semble accepter avec sérénité : "Les contrats entre moi et les gens du jeu sont excellents aujourd’hui. J’espère que cette harmonie durera". Derrière cette déclaration se cache une réalité plus complexe : après 15 ans de collaboration, CD Projekt Red maîtrise désormais l’univers de The Witcher comme peu de studios connaissent leur propre création. Les questions techniques ou narratives se règlent en interne, sans recourir systématiquement au "père fondateur".
Pourtant, cette autonomie n’est pas sans risque. Comme le souligne Marcin Iwiński, co-fondateur du studio, dans une interview à Game Informer : "Andrzej reste une source d’inspiration, mais nous avons maintenant notre propre vision. Le défi est de rester fidèles à l’esprit de ses livres tout en innovant". Un équilibre délicat, surtout quand on sait que les fans de la première heure sont particulièrement attachés à la version "canon" de Sapkowski.
"Ce n’est pas le jeu final" : les leçons (douleur) de Cyberpunk 2077
Si The Witcher 4 – officiellement intitulé Polaris en interne – suscite autant d’attentes, c’est aussi parce qu’il arrive après le fiasco initial de Cyberpunk 2077. Le RPG futuriste, lancé en 2020 dans un état inachevé, avait valu au studio une pluie de critiques et un retrait temporaire du PlayStation Store. Une expérience traumatisante qui a profondément marqué la stratégie de communication de CD Projekt Red.
Lors du State of Unreal 2023, le studio a présenté un tech demo bluffant pour The Witcher 4, mettant en avant les capacités de l’Unreal Engine 5 :
- Nanite pour un éclairage dynamique et des environnements ultra-détaillés,
 - Des textures en 8K pour les personnages et les décors,
 - La technologie MetaHuman pour des animations faciales d’un réalisme inédit.
 
Cette prudence se retrouve aussi dans le silence autour du gameplay et de l’intrigue. Alors que les rumeurs évoquent un retour de Geralt (ou de son héritier) dans un nouveau continent, aucune information officielle n’a été confirmée. "Nous voulons éviter les spéculations inutiles", explique un porte-parole du studio. Une stratégie à double tranchant : elle limite les attentes démesurées, mais alimente aussi la frustration des fans, habitués à une communication plus ouverte par le passé.
Sans Sapkowski, mais avec 15 ans d’expérience : le pari risqué de CD Projekt Red
L’absence de consultations régulières avec Sapkowski pose une question cruciale : CD Projekt Red peut-il réussir The Witcher 4 sans l’apport direct de son créateur ? La réponse n’est pas simple. D’un côté, le studio a prouvé avec The Witcher 3: Wild Hunt (2015) qu’il pouvait sublimer l’univers des livres, en y ajoutant des couches narratives et des personnages mémorables (comme Ciri ou Gaunter O’Dimm). De l’autre, les erreurs de Cyberpunk 2077 rappellent que même les équipes les plus talentueuses peuvent se fourvoyer.
Pour Mateusz Tomaszkiewicz, directeur narratif du studio, la clé réside dans "l’équilibre entre respect du matériel original et liberté créative". Un défi d’autant plus grand que The Witcher 4 devrait introduire un nouveau continent, des factions inédites, et peut-être même un nouveau protagoniste (les rumeurs mentionnent un sorceleur "plus jeune" que Geralt). Sans Sapkowski pour valider chaque choix, le risque est de s’éloigner trop de l’esprit des livres – ou au contraire, de manquer d’audace.
Certains fans s’inquiètent déjà. Sur Reddit, un utilisateur résume : "Sans Sapkowski, The Witcher 4 pourrait devenir ‘juste un autre open-world’, sans cette magie qui faisait la différence". À l’inverse, d’autres estiment que le studio a désormais les épaules assez larges pour porter la licence. Comme le note Jason Schreier (Bloomberg) : "CD Projekt Red a appris à ses dépens. Si ils appliquent ces leçons, Polaris pourrait être leur rédemption".
Derrière l’écran : quand la technologie rencontre la pression des fans
Ce que peu de joueurs savent, c’est que le développement de The Witcher 4 a commencé bien avant la sortie de Cyberpunk 2077. En 2018, une petite équipe planchait déjà sur des prototypes, tandis que le gros des ressources était consacré au RPG futuriste. Après le désastre de 2020, le studio a dû réorganiser ses priorités : une partie des développeurs de Cyberpunk a été redirigée vers Polaris, et le projet a bénéficié d’un budget revu à la hausse (selon des sources internes, citées par Kotaku).
Autre détail révélateur : CD Projekt Red a recruté des experts en world-building et en narration non-linéaire, des profils habituellement réservés aux licences originales. "Nous ne voulons pas juste faire un Witcher de plus. Nous voulons réinventer ce que signifie être un sorceleur", confie une source proche du projet. Une ambition qui passe par des choix techniques audacieux, comme l’abandon du REDengine (utilisé pour The Witcher 3 et Cyberpunk) au profit de l’Unreal Engine 5 – une décision rare pour un studio connu pour ses moteurs maison.
Enfin, la pression des fans pèse plus que jamais. Après les reports à répétition de Cyberpunk et les polémiques autour des conditions de travail ("crunch"), CD Projekt Red sait qu’il n’a pas droit à l’erreur. D’où une stratégie en deux temps :
- Communiquer moins, mais mieux : éviter les promesses irréalistes, comme pour Cyberpunk.
 - Impliquer les joueurs tôt : des tests fermés sont prévus dès 2024, une première pour la licence.
 
Et Sapkowski dans tout ça ? Entre détachement et héritage
Alors que The Witcher 4 se construit sans lui, que pense vraiment Andrzej Sapkowski de cette évolution ? Dans une interview accordée au magazine polonais Polityka, il avoue un mélange de fierté et de détachement : "J’ai créé ce monde, mais il appartient désormais à d’autres. C’est comme voir son enfant grandir et partir vivre sa vie". Une métaphore qui en dit long sur son état d’esprit.
Pourtant, l’auteur n’a pas totalement tourné la page. Il travaille actuellement sur un nouveau livre dans l’univers de The Witcher (prévu pour 2025), et suit de loin l’aventure vidéoludique. "Je leur fais confiance, mais je garde un œil", glisse-t-il avec malice. Une confiance tempérée par l’expérience : Sapkowski sait que les jeux vidéo et les livres ne racontent pas les mêmes histoires. "Un jeu doit divertir avant tout. Moi, j’écris pour faire réfléchir. Ce sont deux approches différentes".
Reste une question : et si The Witcher 4 s’éloignait trop de sa vision ? L’auteur botterait-il en touche ? "Les contrats sont clairs, et ils respectent mon travail. Après, ils ont le droit de créer. Moi aussi, j’ai pris des libertés avec les légendes slaves qui m’ont inspiré !" Une réponse qui résume toute l’ambiguïté de cette relation : un mélange de respect mutuel et de liberté revendiquée.
Entre l’Unreal Engine 5 et ses promesses techniques, une équipe déterminée à effacer les erreurs du passé, et l’ombre tutélaire (mais lointaine) de Sapkowski, The Witcher 4 se prépare dans un climat à la fois excitant et incertain. Le studio a les moyens de ses ambitions : un budget colossal, une technologie de pointe, et quinze ans d’expérience dans l’univers. Mais le vrai défi ne sera pas graphique – il sera narratif. Sans Sapkowski pour guider chaque pas, CD Projekt Red devra prouver qu’il peut faire vivre The Witcher sans trahir son âme.
Les fans, eux, attendent une seule chose : retrouver cette magie qui a fait du sorceleur aux cheveux blancs une icône mondiale. Entre les mains des développeurs, l’avenir de la licence se joue désormais. Et comme le dirait probablement Geralt : "Le plus dur, ce n’est pas de tuer des monstres... c’est de choisir le bon chemin".

