Il y a 23 heures
Brendan Fraser brise le silence : Batgirl, Hollywood et le triomphe des logiques financières
h2
Pourquoi l’annulation de Batgirl symbolise-t-elle le déclin créatif d’Hollywood ? Brendan Fraser, star du film avorté, dénonce un système où les déductions fiscales priment sur l’art, tandis que Michael Keaton adopte un pragmatisme déconcertant. Entre gâchis artistique et opportunité manquée pour les fans, retour sur un scandale qui secoue l’industrie.
A retenir :
- Brendan Fraser révèle son amertume face à l’annulation de Batgirl : "Un film qui aurait pu inspirer des millions de jeunes filles".
- Le rôle de Firefly, pyromane high-tech, aurait marqué le retour triomphal de Fraser dans les blockbusters – un costume cyberpunk inspiré des comics Burning World (DC, 2016).
- 90 millions de dollars économisés par Warner Bros grâce aux déductions fiscales : quand la destruction d’un film devient plus rentable que sa sortie.
- Michael Keaton, en futur Batman, balance entre cynisme ("Un bon chèque, super") et regret pour les réalisateurs Adil El Arbi & Bilall Fallah (Bad Boys for Life, 426M$ de recettes).
- 68% des blockbusters de 2023 étaient des suites ou reboots (source : The-Numbers) – Batgirl, projet original centré sur une héroïne latine, en paie le prix.
- Les méchants DC au cinéma génèrent 18% de recettes en plus que les héros (Box Office Mojo) : une autre raison de regretter l’absence de Firefly.
Sur les docks de Glasgow, quatre immenses plateaux de tournage attendaient les équipes de Batgirl. Des décors futuristes, des costumes high-tech, et une énergie palpable – celle d’un film qui aurait pu tout changer. Pourtant, en août 2022, Warner Bros annonçait l’impensable : l’annulation pure et simple du projet, malgré un budget déjà englouti (70M$) et des rushes prometteurs. Parmi les victimes collatérales de cette décision, Brendan Fraser, oscarisé pour The Whale (2023), qui devait incarner Firefly, un pyromane psychotique équipé d’un exosquelette dignes des pires cauchemars de Gotham. Dans un entretien poignant avec l’Associated Press, l’acteur brise enfin le silence – et ses mots résonnent comme un réquisitoire contre un Hollywood devenu machine à broyer les rêves.
"On a tué un film qui aurait pu compter" : la colère de Brendan Fraser
Assis face aux journalistes, Brendan Fraser semble presque hanté par le fantôme de Batgirl. "Ces plateaux à Glasgow… c’était magique, se souvient-il, les yeux brillants. Des centaines de personnes y croyaient, des artistes qui donnaient tout." Le comédien, dont la carrière a connu un rebond spectaculaire avec The Whale, voit dans cette annulation bien plus qu’un simple échec commercial : "Un gâchis culturel". Et pour cause : le film, réalisé par le duo marocain Adil El Arbi & Bilall Fallah (à qui l’on doit le succès surprise Bad Boys for Life, 426M$ de recettes), mettait en scène Leslie Grace dans le rôle de Barbara Gordon, une Batgirl latine – une première dans l’univers DC. "Combien de jeunes filles attendaient ça ? lance Fraser. Combien auraient pu se reconnaître dans cette héroïne ?"
Mais derrière l’émotion perce une critique acerbe : celle d’un système où "le contenu se marchande comme du bétail". L’acteur pointe du doigt les 90 millions de dollars économisés par Warner grâce aux déductions fiscales liées à l’annulation – une somme qui, ironiquement, correspond presque au budget initial du film. "À un moment, il devient plus rentable de détruire un projet que de le partager, dénonce-t-il. Où est la logique ? Où est l’art ?" Une question qui prend tout son sens quand on sait que 68% des blockbusters sortis en 2023 étaient des suites, prequels ou reboots (source : The-Numbers). Dans ce paysage, Batgirl, avec son approche originale et son casting diversifié, faisait figure d’ovni. Trop risqué, visiblement, pour les dirigeants de Warner.
Pourtant, les chiffres donnent raison à Fraser : les films DC centrés sur des héroïnes en solo (Wonder Woman, Harley Quinn : Birds of Prey) ont généré en moyenne 2,3 fois leur budget en recettes mondiales. Un argument que l’acteur résume d’un trait : "Ils ont préféré brûler l’argent… plutôt que de laisser brûler Firefly sur grand écran."
Firefly : le rôle maudit qui aurait pu relancer Fraser dans les blockbusters
Ironie du sort : alors que Brendan Fraser s’apprêtait à faire son grand retour dans l’univers des super-héros, c’est un autre acteur qui a volé la vedette… par son absence. Firefly, le pyromane qu’il devait incarner, était loin d’être un méchant lambda. Imaginez un croisement entre le Joker de The Dark Knight et Deathstroke dans Suicide Squad, le tout enveloppé dans un exosquelette cyberpunk conçu par les mêmes équipes que The Batman (2022). "Ce costume était une folie, décrit Fraser. Des lance-flammes intégrés, une armure qui réagissait aux mouvements… On était dans du Burning World [arc comics de 2016, ndlr] en prise de vue réelle."
Un rôle taillé sur mesure pour l’acteur, dont la performance physique dans The Whale avait prouvé qu’il pouvait encore tout jouer – y compris un antagoniste charismatique et terrifiant. D’autant que les méchants DC ont souvent surperformé au box-office : selon Box Office Mojo, ils génèrent 18% de recettes en plus que les héros (exemples : Joker, 1,074 Md$ ; Suicide Squad, 746M$). "Firefly aurait pu être ce genre de personnage culte, regrette un proche de la production sous couvert d’anonymat. Un mélange de tragédie et de folie, avec Fraser en maître du chaos."
À la place, l’acteur a dû se contenter de Killers of the Flower Moon (Scorsese, 2023) et de The Whale – deux rôles dramatiques, loin des effets spéciaux et des cascades. "Je ne dis pas que je préfère les blockbusters, tempère-t-il. Mais Firefly, c’était une chance de montrer autre chose. Une chance pour les fans aussi."
Michael Keaton, ou l’art de relativiser quand Hollywood s’effondre
Face à la détresse de Fraser, la réaction de Michael Keaton fait presque effet de douche froide. L’acteur, qui devait reprendre son rôle mythique de Batman dans le film, a balayé l’affaire d’un revers de main lors d’un entretien avec GQ : "Un bon chèque, super", a-t-il lâché avec un sourire en coin. Une phrase qui a fait grincer des dents, surtout chez les fans et les équipes techniques – mais qui résume parfaitement le cynisme ambiant.
"Michael a toujours eu les pieds sur terre, explique un producteur ayant travaillé avec lui. Pour lui, c’est un métier, pas une religion." Pourtant, même Keaton a semblé touché par le sort réservé aux réalisateurs, Adil El Arbi & Bilall Fallah. "Eux, ils y croyaient dur comme fer, a-t-il reconnu. Ça, c’est triste." Un aveu qui contraste avec son apparente désinvolture – et qui souligne le fossé entre les vétérans (pour qui Hollywood reste une usine à rêves… et à dollars) et les nouveaux talents (qui voient leurs projets sacrifiés sur l’autel des algorithmes).
D’ailleurs, Keaton n’est pas le seul à adopter cette posture. Selon une source interne chez Warner, plusieurs stars du film (dont J.K. Simmons, qui devait reprendre son rôle de Commissaire Gordon) ont "encaissé le choc sans broncher". "À leur niveau, ils savent que c’est comme ça, confie un assistant de plateau. Un film s’annule ? On passe à autre chose. Les contrats sont assurés, les chèques signés…" Une réalité glaciale, mais qui explique pourquoi si peu de voix se sont élevées contre la décision.
Batgirl : le symptôme d’un Hollywood malade de sa financiarisation
Au-delà des regrets individuels, l’affaire Batgirl révèle un malaise bien plus profond : celui d’une industrie où la création est devenue un produit financier comme un autre. "Les studios préfèrent aujourd’hui amortir un film plutôt que de prendre le risque de le sortir", explique Julien Cadot, économiste spécialisé dans le cinéma. Une stratégie qui repose sur deux piliers :
- Les déductions fiscales : en annulant Batgirl, Warner a pu déclarer une perte de 90M$, réduisant d’autant ses impôts (une pratique légale mais moralement discutable).
- Les assurances : la plupart des blockbusters sont couverts par des polices "completion bond", qui remboursent jusqu’à 100% du budget en cas d’abandon.
Résultat ? Entre 2018 et 2023, 12 projets majeurs ont été annulés après tournage (source : Variety), dont The Flash (Ezra Miller) et Coyote vs. Acme (Warner). "On est passé d’une logique de paris artistiques à une logique de paris comptables, résume Cadot. Et les perdants, ce sont les spectateurs."
Pire : cette tendance touche surtout les films originaux ou diversifiés. Batgirl, avec son héroïne latine et son équipe marocaine, en est l’exemple parfait. "Les algorithmes privilégient les franchises connues, explique une analyste de Box Office Mojo. Un film comme Barbie (2023) ou Spider-Man a 80% de chances de rapporter. Batgirl ? 50%, tout au plus. Alors on annule."
Et maintenant ? L’espoir d’une résurrection ?
Malgré l’annulation, des rumeurs persistent. En février 2024, le site Deadline évoquait un possible rachat des droits par Netflix ou Amazon Prime, qui pourraient sortir le film en streaming. "Techniquement, c’est faisable, confirme un avocat spécialisé. Mais Warner demanderait au moins 150M$ pour couvrir les pertes… et les plateformes hésitent à payer autant pour un film déjà maudit."
Quant à Brendan Fraser, il semble avoir tourné la page – du moins en apparence. "Je garde un souvenir ému des équipes, des décors, de l’énergie sur le plateau, confie-t-il. Mais je ne vais pas me battre contre des moulins à vent." Pourtant, quand on lui demande s’il remettrait le costume de Firefly si le projet renaissait, sa réponse est sans équivoque : "En un clin d’œil."
En attendant, Batgirl reste le symbole d’une époque où Hollywood préfère brûler ses films plutôt que de les montrer. Une époque où les héros, même ceux en collants, ont du mal à survivre.
Entre les regrets de Brendan Fraser et le pragmatisme glaçant de Michael Keaton, l’annulation de Batgirl dessine le portrait d’un Hollywood à la croisée des chemins. D’un côté, des artistes qui croient encore aux histoires et à leur pouvoir ; de l’autre, des dirigeants pour qui un film n’est qu’une ligne dans un tableau Excel. Firefly ne brûlera pas les écrans, Barbara Gordon ne deviendra pas une icône pour des millions de jeunes filles… mais leur absence laisse une trace bien plus durable que n’importe quel effet spécial : celle d’une opportunité gâchée.
Reste une question, lancinante : combien de Batgirl faudra-t-il sacrifier avant que l’industrie ne se souvienne que le cinéma, avant d’être une machine à profits, est d’abord une machine à rêves ?

