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Concord, l’échec qui secoue Westminster : quand le gouvernement britannique s’attaque aux droits des joueurs
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Il y a 16 heures

Concord, l’échec qui secoue Westminster : quand le gouvernement britannique s’attaque aux droits des joueurs

Pourquoi le fiasco de Concord, le FPS de Sony fermé 19 jours après sa sortie, a-t-il déclenché un débat politique au Royaume-Uni ? Décryptage d’un cas emblématique qui expose les failles juridiques protégeant les joueurs, malgré des lois parmi les plus avancées d’Europe. Entre indignation parlementaire et mobilisation citoyenne, l’industrie du jeu vidéo est sommée de repenser sa relation avec ses consommateurs.

A retenir :

  • Concord, le FPS de Sony fermé après 19 jours, devient un étendard politique : cité en exemple à la Chambre des Lords pour dénoncer l’absence de protection des joueurs face aux fermetures abruptes.
  • "On protège mieux un grille-pain qu’un jeu en ligne" : le constat cinglant du parlementaire Ben Goldsborough, révélateur d’un système juridique à la traîne malgré le Consumer Rights Act 2015.
  • 30 000 signataires pour Stop Killing Games : un mouvement citoyen né après la disparition de The Crew (Ubisoft), qui exige une réforme contre l’obsolescence programmée dans le jeu vidéo.
  • 100 millions de dollars investis, 25 000 joueurs max sur Steam : les chiffres accablants de Concord, symbole d’un modèle économique à bout de souffle.
  • Digital Markets Act 2024 : une loi nouvelle, mais impotente face aux fermetures de serveurs, faute d’obligation de transparence avant l’achat.
  • Le paradoxe britannique : des lois parmi les plus protectrices d’Europe, mais un vide juridique sur la durée de vie des jeux, laissant les joueurs désarmés.

Un jeu, un scandale, un débat parlementaire : comment Concord a réveillé Westminster

Le 26 septembre 2024, la Chambre des Lords britannique a vécu un moment rare : un débat sur les droits des joueurs, déclenché par l’échec retentissant de Concord, le FPS multijoueur de Sony. Fermé après seulement 19 jours d’exploitation – un record d’éphémère pour un titre AAA –, le jeu est devenu malgré lui un symbole : celui d’une industrie où les consommateurs paient plein tarif pour des produits dont la durée de vie dépend du bon vouloir des éditeurs. Avec un budget estimé à 100 millions de dollars et une équipe issue de studios renommés (dont des vétérans de Naughty Dog et Respawn), Concord avait tout pour réussir… sauf l’essentiel : des joueurs. Son pic à 25 000 connexions simultanées sur Steam, ridicule pour un blockbuster, a scellé son sort. Mais c’est sa fermeture sans préavis clair qui a mis le feu aux poudres.

Pour les Lords, ce cas illustre un problème bien plus large : l’absence totale de transparence sur la pérennité des jeux en ligne. Comme l’a souligné Ben Goldsborough, membre de la Chambre des Lords, lors des échanges : "Un consommateur qui achète une voiture ou un électroménager sait ce qu’il en est de la garantie et de la durée de vie moyenne du produit. Pourquoi un joueur qui investit 70£ dans un jeu en ligne n’aurait-il pas droit à la même information ? Aujourd’hui, on protège mieux un acheteur de grille-pain que celui d’un jeu multijoueur." Une comparaison choc, mais qui résume l’injustice flagrante d’un système où les éditeurs peuvent supprimer un jeu du jour au lendemain, sans obligation légale de prévenir… ni de compenser.

"Stop Killing Games" : quand les joueurs passent à l’action

L’indignation n’est pas restée confinée aux couloirs de Westminster. Depuis 2023, le mouvement Stop Killing Games, lancé après la fermeture surprise de The Crew (Ubisoft), a recueilli plus de 30 000 signatures pour exiger une réforme. Son crédo ? "Un jeu acheté doit rester accessible, ou son éditeur doit rembourser ou proposer une alternative." Une revendication qui fait écho à des cas emblématiques, comme Marvel’s Avengers (Square Enix), Anthem (BioWare), ou encore Knack (Sony), tous abandonnés malgré des promesses de support long terme.

Pourtant, le gouvernement britannique, via un research briefing publié en amont du débat, a rejeté l’idée d’une nouvelle législation. Le texte estime que les outils existants – notamment le Consumer Rights Act 2015 – suffisent, à condition d’être mieux appliqués. Une position qui a ulcéré les défenseurs des joueurs. "C’est comme dire qu’on n’a pas besoin de lois contre la pollution parce qu’on a déjà des poubelles", ironise Alex Darby, porte-parole de Stop Killing Games. Le problème ? Le Consumer Rights Act impose bien aux éditeurs de fournir des "informations claires et précises" sur les produits numériques… mais rien n’oblige à préciser la durée de vie d’un jeu en ligne. Une faille juridique exploitée sans scrupule par les studios.

Digital Markets Act 2024 : une loi nouvelle, mais déjà dépassée ?

Adopté en mai 2024, le Digital Markets, Competition and Consumers Act était censé moderniser la protection des consommateurs à l’ère numérique. Pourtant, sur la question cruciale des fermetures de jeux, il reste muet. Certes, le texte renforce les sanctions en cas de pratiques trompeuses (comme annoncer un support long terme sans intention de le respecter), mais il ne crée aucune obligation de transparence ex ante. Autrement dit : un éditeur peut toujours lancer un jeu sans jamais mentionner sa durée de vie prévue… puis le fermer du jour au lendemain, comme l’a fait Sony avec Concord.

L’ironie de la situation ? Le Royaume-Uni possède pourtant l’un des cadres juridiques les plus protecteurs d’Europe pour les consommateurs. Mais ces lois, conçues pour l’économie physique, peinent à s’adapter à l’ère du tout-numérique. "Le problème n’est pas l’absence de règles, mais leur inadéquation", explique Dr. Gaëlle Le Gars, spécialiste du droit du numérique à l’Université de Bristol. "Un jeu en ligne n’est pas un bien tangible : c’est un service, une expérience collective qui dépend des serveurs de l’éditeur. Or, nos lois traitent encore ces produits comme des CDs qu’on achète en magasin."

Concord, ou l’histoire d’un gâchis annoncé

Pour comprendre pourquoi Concord a déclenché une telle tempête, il faut remonter à son développement. Dès 2021, des rumeurs circulaient sur un FPS héroïque en préparation chez Firewalk Studios, un studio fondé par d’anciens de Bungie (créateurs de Destiny) et racheté par Sony. Le projet, initialement nommé "Project Loki", promettait de révolutionner le genre avec un mélange de tir tactique et de narration cinématographique. Mais dès les premières bandes-annonces, les critiques ont fusé : un gameplay trop générique, des graphismes en retrait par rapport à la concurrence, et surtout, un manque flagrant d’originalité dans un marché déjà saturé (avec des géants comme Call of Duty, Overwatch 2, ou Valorant).

Malgré les avertissements, Sony a maintenu le cap, investissant massivement dans le marketing. Résultat ? Un lancement catastrophique : seulement 25 000 joueurs en pic sur Steam (contre 500 000 pour un Valorant ou 1 million pour un Fortnite), et des critiques dévastatrices (moyenne de 58/100 sur Metacritic). Pire : les joueurs qui avaient précommandé le jeu à 70£ se sont retrouvés avec un produit injouable en quelques semaines, sans possibilité de remboursement. "J’ai dépensé l’équivalent d’un billet d’avion pour un jeu qui a disparu avant même que j’aie fini le tutoriel", témoigne Mark T., un joueur londonien.

La cerise sur le gâteau ? La communication de Sony. Le 24 août 2024, soit 19 jours après le lancement, Firewalk Studios annonce la fermeture des serveurs… par un simple tweet. Pas de compensation, pas de migration vers un autre jeu, pas même un mot d’excuse clair. Une insulte pour les joueurs, qui a immédiatement rebondi sur les réseaux sociaux avec le hashtag #SonyKilledConcord.

Et maintenant ? Trois pistes pour éviter un nouveau Concord

Face à l’inaction du gouvernement, joueurs et experts proposent des solutions concrètes pour éviter que l’histoire ne se répète :

1. Une "étiquette durée de vie" : À l’image des étiquettes énergie sur les appareils électroménagers, les jeux en ligne devraient afficher une estimation de durée de support (ex : "Serveurs garantis 5 ans minimum"). Une mesure simple, mais révolutionnaire, défendue par Stop Killing Games.

2. Un fonds de compensation : Inspiré du modèle des assurances voyage, ce système obligerait les éditeurs à contribuer à un fonds commun, utilisé pour rembourser les joueurs en cas de fermeture prématurée. Une idée déjà testée avec succès dans… la Corée du Sud, où une loi similaire existe depuis 2021.

3. Le "droit à la portabilité" : Pourquoi ne pas permettre aux joueurs de télécharger une version offline de leur jeu avant la fermeture des serveurs ? Une solution technique réalisable, comme l’a prouvé Ubisoft avec The Crew (malgré des limitations).

Reste une question : ces mesures suffiront-elles à faire plier des géants comme Sony, Microsoft, ou EA, pour qui les jeux en ligne sont avant tout des services rentables… jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus ? "Le jour où les joueurs réaliseront leur pouvoir collectif, les choses changeront", prédit Alex Darby. En attendant, Concord aura au moins eu un mérite : réveiller les consciences.

Le cas Concord est un électrochoc. Non pas parce que son échec était imprévisible – les signes avant-coureurs étaient légion –, mais parce qu’il a révélé au grand jour une vérité gênante : dans l’industrie du jeu vidéo, les joueurs sont des consommateurs de seconde zone. Le débat à la Chambre des Lords a marqué un tournant, prouvant que la question dépasse désormais le cadre des forums spécialisés pour devenir un enjeu de société. Deux scenarios s’offrent maintenant au Royaume-Uni. Soit Westminster enterre le sujet, et les joueurs continueront à subir des fermetures arbitraires, avec pour seule réponse des hashtags indignés. Soit le gouvernement saisira cette opportunité pour innover, en créant un modèle législatif pionnier – comme il l’a fait par le passé avec le RGPD pour la protection des données. Une chose est sûre : après Concord, plus personne ne pourra prétendre ignorer le problème. Quant à Sony, le géant japonais sort de cette affaire avec une image écornée. Après des années à vanter son engagement envers les joueurs, la fermeture expéditive de Concord a laissé un goût amer. Une leçon, peut-être, pour les autres éditeurs : à l’ère des réseaux sociaux, une mauvaise décision peut coûter bien plus cher qu’un jeu raté.
L'Avis de la rédaction
Par Celtic
"Concord, c'est comme un gâteau au chocolat qui se révèle être une croquignole. Sony a dépensé 100 millions de dollars pour un FPS qui a fait un flop monumental. 25 000 joueurs en pic, c'est ridicule pour un AAA. La fermeture sans préavis, c'est la cerise sur le gâteau. Les joueurs sont en colère, et à juste titre. Il est temps que les éditeurs arrêtent de jouer avec nos émotions et nos portefeuilles."
Article rédigé par SkimAI
Révisé et complété par Celtic

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