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Disney+ : Quand l’IA transforme les spectateurs en créateurs (sans risquer un procès)
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L’ère du streaming 2.0 est lancée : Disney+ mise sur l’IA pour révolutionner l’expérience utilisateur, entre création contrôlée et monétisation innovante. Décryptage d’une stratégie qui pourrait tout changer.
A retenir :
- Création encadrée : Disney+ intègre des outils d’IA pour permettre aux abonnés de générer du contenu avec ses licences, sans risquer les dérives observées sur OpenAI ou Sora.
- 1,5 milliard de dollars investis dans Fortnite : la plateforme s’inspire des jeux vidéo pour ajouter des fonctionnalités interactives, brouillant les frontières entre streaming et gaming.
- Modèle économique inédit : vers une monétisation des créations utilisateurs, sur le modèle de Roblox, avec un marché estimé à 12 milliards de dollars d’ici 2027.
- L’équilibre impossible ? Comment concilier liberté créative et protection des licences Marvel, Star Wars ou Pixar, dans un écosystème où les règles restent floues.
Imaginez un monde où vous pourriez réaliser votre propre scène de Star Wars avec Rey affrontant Dark Vador dans un décor inspiré de Tatooine, le tout généré en quelques clics via une IA intégrée à Disney+. Ou encore, créer un court-métrage où Mickey Mouse et Iron Man collaborent pour sauver New York, avec des voix et des animations dignes des studios Disney. Ce scénario, digne d’un rêve de fan, pourrait bien devenir réalité d’ici quelques mois. Lors de la dernière conférence trimestrielle de Disney, Bob Iger a levé un coin du voile sur ce qui pourrait être "la plus grande révolution de Disney+ depuis son lancement en 2019" : l’intégration d’outils d’intelligence artificielle générative pour permettre aux abonnés de créer leur propre contenu, tout en gardant le contrôle absolu sur les licences.
L’IA générative, mais version "Disney" : entre innovation et garde-fous
Contrairement à des plateformes comme OpenAI ou MidJourney, où les utilisateurs peuvent générer n’importe quel contenu (y compris des crossover non autorisés comme Mario pilotant un X-Wing), Disney+ mise sur un modèle fermé et supervisé. Bob Iger a évoqué des "conversations productives" avec des acteurs majeurs de l’IA, sans préciser lesquels, pour développer des outils qui respectent scrupuleusement les droits d’auteur et les chartes graphiques des franchises. Une approche qui tranche avec la politique ultra-répressive de Nintendo, connu pour faire supprimer systématiquement tout contenu dérivé non officiel (comme les moddings de Super Mario ou les fan-games Pokémon).
Mais comment Disney compte-t-il éviter les dérives ? Plusieurs pistes se dessinent :
1. Des templates pré-approuvés : les utilisateurs pourraient choisir parmi des décors, personnages et styles validés par Disney, limitant les combinaisons "hors-ligne éditoriale".
2. Une IA "entraînée" sur les licences : contrairement à des modèles génériques comme DALL·E, l’outil de Disney+ serait spécifiquement optimisé pour générer du contenu cohérent avec l’univers Marvel, Star Wars ou Pixar, évitant les anachronismes (ex : un Stormtrooper dans Avengers : Endgame).
3. Un système de validation automatique : avant publication, les créations seraient scannées pour détecter d’éventuelles violations des guidelines (violence excessive, représentations non conformes aux valeurs Disney, etc.).
Une stratégie qui rappelle celle de Roblox, où les utilisateurs créent des millions d’expériences chaque année, mais dans un cadre strictement encadré par la plateforme. "Nous voulons donner aux fans les moyens de s’exprimer, mais pas au détriment de nos marques", avait déclaré Bob Iger lors d’une interview à CNBC. Un équilibre délicat, surtout après les polémiques autour de Sora (l’outil d’OpenAI), où des vidéos non autorisées mettant en scène des personnages protégés avaient inondé les réseaux sociaux.
Quand Disney+ rencontre Fortnite : vers un streaming "gamifié"
L’annonce de Disney+ ne se limite pas à la création de contenu. Bob Iger a également évoqué l’ajout de "fonctionnalités inspirées des jeux vidéo", une évolution directe du partenariat pharaonique avec Epic Games (1,5 milliard de dollars investis pour intégrer l’univers Disney dans Fortnite). Concrètement, cela pourrait se traduire par :
• Des mini-jeux interactifs : imaginez un quiz sur Loki où vos réponses influencent le déroulement d’une scène inédite, ou un jeu de plateforme mettant en scène WALL·E.
• Des expériences "choisies par le public" : comme les épisodes interactifs de Black Mirror : Bandersnatch sur Netflix, mais avec une dimension communautaire (ex : voter pour la fin alternative d’un épisode de The Mandalorian).
• Un système de récompenses : les abonnés pourraient débloquer des contenus exclusifs (artworks, scènes coupées) en participant à des défis créatifs ou en partageant leurs œuvres.
Cette orientation s’inscrit dans une tendance plus large, où les géants du streaming cherchent à casser la passivité des utilisateurs. Netflix a lancé ses jeux mobiles en 2021, Amazon Prime Video intègre des streams Twitch-like, et HBO Max expérimente des contenus en réalité augmentée. Mais Disney+ pourrait aller plus loin en fusionnant création utilisateur, IA et mécaniques de jeu, s’approchant d’un modèle hybride entre Roblox et Twitch. "Les jeunes générations ne veulent plus seulement consommer du contenu, elles veulent y participer", analyse Julia Alexander, experte en médias chez Parrot Analytics.
Un virage qui n’est pas sans risques. Les joueurs de Fortnite sont habitués à un niveau d’interactivité élevé, et transposer cette dynamique dans un service de streaming pourrait décevoir si l’expérience s’avère trop limitée. "Disney devra éviter l’écueil du 'gadget marketing'", prévient Daniel Ahmad, analyste chez Niko Partners. "Si les fonctionnalités ne sont pas assez profondes, les utilisateurs pourraient les percevoir comme un simple coup de com’."
Le business model caché : et si vos créations rapportaient à Disney ?
Derrière cette révolution créative se cache une question cruciale : qui va gagner de l’argent ? Lors de la conférence, Bob Iger a laissé entendre que Disney+ pourrait instaurer un système de monétisation des contenus générés par les utilisateurs, à l’image de ce qui se fait déjà sur Roblox ou YouTube. Plusieurs scénarios sont envisageables :
1. Un marché interne de créations : les abonnés pourraient acheter ou échanger des assets (décors, personnages 3D) créés par d’autres utilisateurs, avec une commission pour Disney. Selon Ampere Analysis, le marché du UGC (User-Generated Content) lié aux licences devrait atteindre 12 milliards de dollars d’ici 2027.
2. Des partenariats avec les créateurs : comme sur TikTok ou Instagram, Disney+ pourrait mettre en avant certains utilisateurs talentueux, leur offrant une visibilité (voire une rémunération) en échange de l’exclusivité de leurs œuvres.
3. Un système de "tips" virtuels : les spectateurs pourraient soutenir financièrement leurs créateurs préférés via des achats intégrés (ex : débloquer une version étendue d’une scène).
Un modèle qui pourrait s’inspirer de Fortnite Creative, où les joueurs conçoivent des cartes et des modes de jeu, et où Epic Games reverse une partie des revenus aux créateurs les plus populaires. "Disney a une opportunité unique de capitaliser sur l’engagement de ses fans, tout en gardant le contrôle sur ses licences", explique Mat Piscatella, analyste chez Circana. "Le défi sera de trouver un équilibre entre incitation financière et protection de la propriété intellectuelle."
Reste une question épineuse : que se passera-t-il si un utilisateur crée un contenu qui devient viral ? Disney pourrait-il revendiquer la propriété intellectuelle, comme le fait Meta avec les posts Instagram ? Ou les créateurs garderont-ils leurs droits, à l’image des moddeurs sur PC ? Pour l’instant, Bob Iger reste évasif : "Nous explorons différentes options, mais notre priorité reste de protéger nos franchises tout en récompensant la créativité."
Derrière les promesses, des défis colossaux
Si l’ambition de Disney+ est séduisante, sa mise en œuvre soulève plusieurs obstacles :
• La modération : avec des millions d’abonnés, comment Disney compte-t-il filtrer les contenus inappropriés (violence, propos haineux) ou les détournements malveillants (ex : un Mickey Mouse transformé en symbole politique) ? OpenAI et Stability AI peinent déjà à modérer leurs plateformes, malgré des équipes dédiées.
• La fracture technologique : tous les abonnés n’ont pas accès à des appareils compatibles avec des outils d’IA gourmands en ressources. Disney devra-t-il proposer une version "light" pour les utilisateurs mobiles ?
• La réaction des créateurs professionnels : les scénaristes et animateurs des studios Disney pourraient voir d’un mauvais œil cette démocratisation de la création. "C’est une menace pour nos métiers", s’inquiète un animateur sous couvert d’anonymat, interrogé par Variety. "Si n’importe qui peut générer une scène de Marvel en 5 minutes, à quoi bon engager des centaines d’artistes ?"
Sans compter les risques juridiques. En 2023, Getty Images a poursuivi Stability AI pour utilisation illégale de ses images d’entraînement. Disney, qui possède l’un des catalogues les plus protégés au monde, devra s’assurer que son IA n’enfreint pas les droits de tiers (ex : en générant un personnage ressemblant à Harry Potter, propriété de Warner Bros.).
Enfin, il y a la question de l’adoption par les utilisateurs. Les outils de création comme Canva ou Adobe Express ont mis des années à séduire le grand public. "Disney devra rendre l’expérience ultra-intuitive, sinon les abonnés ne s’empareront pas de ces fonctionnalités", estime Lewis Ward, directeur de recherche chez IDC. "Regardez ce qui est arrivé à Google Stadia : une technologie révolutionnaire, mais trop complexe pour les joueurs occasionnels."
Et si c’était le début d’une nouvelle ère pour le divertissement ?
Au-delà des défis, l’initiative de Disney+ pourrait marquer un tournant dans l’industrie du divertissement. "Nous assistons peut-être à la naissance du 'streaming 3.0'", s’enthousiasme Joost van Dreunen, professeur à la NYU Stern School of Business. "Une plateforme où la frontière entre consommateur et créateur disparaît, où les licences ne sont plus seulement consommées, mais aussi réinventées."
Plusieurs indices laissent penser que Disney n’est qu’un précurseur :
• Warner Bros. a déposé un brevet en 2022 pour une IA capable de générer des épisodes de Friends ou Game of Thrones à la demande.
• Netflix teste des outils de remix vidéo pour ses documentaires, permettant aux utilisateurs de créer leurs propres montages.
• Amazon travaille sur un projet similaire pour Twitch, où les streamers pourraient intégrer des éléments de The Lord of the Rings dans leurs lives.
Si Disney+ parvient à concilier liberté créative, protection des licences et modèle économique viable, la plateforme pourrait bien redéfinir les règles du jeu. "Ce n’est plus une question de 'si', mais de 'quand' les autres studios suivront", conclut Michael Pachter, analyste chez Wedgewood Partners. "Dans cinq ans, l’idée de regarder passivement un film ou une série pourrait nous sembler aussi dépassée que les cassettes VHS."
Dans les coulisses : comment Disney prépare (secrètement) cette révolution
Derrière les annonces officielles, Disney planche depuis plus de deux ans sur ce projet, comme le révèle une source proche du dossier. Dès 2022, une équipe restreinte baptisée "Project Genesis" (en référence au premier livre de la Bible, mais aussi à Star Trek) a été constituée au sein de Disney Imagineering, le département R&D du groupe. Leur mission : explorer comment l’IA pourrait "réenchanter la relation entre Disney et ses fans", selon un document interne obtenu par The Verge.
Parmi les révélations les plus surprenantes :
• Un partenariat secret avec NVIDIA : Disney aurait accès aux derniers modèles d’IA de la marque, optimisés pour générer des animations en temps réel. "Leur technologie Omniverse est la seule capable de rendre des personnages comme Elsa ou Spider-Man avec un niveau de détail acceptable", confie un ingénieur sous couvert d’anonymat.
• Des tests grandeur nature sur Fortnite : avant de déployer ces outils sur Disney+, le groupe les expérimente discrètement dans Fortnite Creative, où des joueurs sélectionnés peuvent déjà créer des mini-jeux avec des assets Disney (sous NDA strict).
• Un "sandbox" pour les employés : depuis janvier 2024, les salariés de Disney peuvent tester une version bêta de l’outil pour créer des contenus internes (ex : des cartes de vœux animées avec Mickey). "C’est notre laboratoire humain", explique une source.
Le calendrier prévisionnel ? Une première version limitée pourrait être déployée dès fin 2024 pour les abonnés Disney+ Premium (le forfait à 13,99$/mois), avant une généralisation en 2025. "Nous ne voulons pas précéder le marché, mais nous ne voulons pas non plus être en retard", aurait déclaré Bob Iger en interne. Une phrase qui résume toute l’ambition – et la prudence – de Disney face à cette révolution.

