Il y a 1 jour
Electronic Arts : le pari risqué à 55 milliards du PIF saoudien
h2
Un rachat record qui divise : l’Arabie Saoudite mise 55 milliards sur Electronic Arts, mais à quel prix ?
A retenir :
- Le PIF saoudien tente un coup de maître avec le rachat d’Electronic Arts pour 55 milliards de dollars – une opération sans précédent dans le jeu vidéo.
- Cette acquisition, si validée, surpasserait les participations du fonds chez Nintendo et Take-Two, consolidant son influence dans l’industrie.
- Stratégie de diversification économique ou folie des grandeurs ? Le PIF accumule les projets pharaoniques (Neom, station de ski robotisée) tout en subissant des tensions de trésorerie.
- L’opération reste suspendue à une approbation réglementaire – et à la capacité du royaume à financer ses ambitions sans épuiser ses réserves pétrolières.
- Entre scepticisme des analystes et optimisme officiel, un pari qui pourrait redéfinir… ou fragiliser l’avenir économique saoudien.
55 milliards de dollars : le choc dans l’industrie du jeu vidéo
Imaginez : un seul chèque de 55 milliards de dollars pour s’offrir Electronic Arts, le géant derrière FIFA, The Sims ou Battlefield. C’est le pari fou que tente actuellement le Fonds d’investissement public saoudien (PIF), via un consortium d’investisseurs. Si l’opération aboutit – et c’est un gros "si" –, elle pulvérisera tous les records du secteur. Même les rachats récents de Microsoft (Activision Blizzard pour 69 milliards) ou de Sony (Bungie pour 3,6 milliards) paraîtront timides en comparaison.
Pour le PIF, cette acquisition serait un nouveau jalon dans sa stratégie agressive de diversification. Le fonds détient déjà des parts dans Nintendo (via un investissement de 300 millions en 2022), Take-Two Interactive (éditeur de GTA et NBA 2K), et vient de mettre la main sur la division jeux de Niantic – yes, celle de Pokémon GO. Une collection impressionnante, mais qui interroge : l’Arabie Saoudite, historiquement dépendante du pétrole à 90%, peut-elle vraiment devenir un acteur majeur du divertissement mondial ?
"C’est une manœuvre audacieuse, mais risquée", estime Amir Anvarzadeh, analyste chez Asymmetric Advisors. "Le PIF mise sur des actifs culturels pour réduire sa dépendance au pétrole, mais à ce rythme, il brûle ses réserves plus vite qu’il ne les reconstitue." Un avis partagé par plusieurs observateurs, qui voient dans cette frénésie d’acquisitions une course contre la montre – avant que les recettes pétrolières, limitées par les accords de l’OPEP+, ne s’assèchent.
Derrière les chiffres mirobolants, une trésorerie sous tension
Le problème ? Ces 55 milliards ne tombent pas du ciel. Selon une enquête du New York Times publiée en avril 2024, le PIF serait en difficulté financière, avec plusieurs investissements déjà "sous l’eau". Parmi les gouffres financiers :
- Neom, la mégapole futuriste promise pour 2030, qui engloutit des milliards sans retour visible.
- Une station de ski avec des robots en plein désert, projet critiqué pour son absence de rentabilité.
- Des participations dans des clubs sportifs (comme Newcastle United) ou des ligues (le LIV Golf), coûteuses en image mais peu lucratives.
Face à ces accusations, le PIF contre-attaque. Marwan Bakrali, son porte-parole, assure que le fonds dispose encore de 60 milliards de dollars en liquidités. "Nos investissements sont sains et diversifiés", déclare-t-il. Pourtant, les chiffres officiels révèlent une autre réalité : entre 2020 et 2023, les dépenses du PIF ont dépassé ses revenus de près de 20%, selon des sources proches du dossier.
Le pétrole, nerf de la guerre… et talon d’Achille. L’Arabie Saoudite, contrainte par les quotas de production de l’OPEP+, ne peut plus compter sur des recettes illimitées. Résultat : le PIF puise dans ses réserves pour financer ses rêves de grandeur. "C’est comme si un joueur de poker misait son dernier jeton sur une main incertaine", compare un économiste sous couvert d’anonymat.
Electronic Arts : un trophée… ou un boulet ?
Alors, pourquoi EA ? La réponse tient en trois mots : franchises, technologie, audience. Avec des licences comme FIFA (devenu EA Sports FC), Star Wars Jedi ou Apex Legends, l’éditeur génère des milliards en revenus récurrents (abonnements, microtransactions). Une manne idéale pour le PIF, qui cherche des actifs stables.
Mais l’opération n’est pas sans risques :
- Dette colossale : EA affiche une dette de 1,5 milliard de dollars. Le PIF devra-t-il éponger ?
- Concurrence féroce : Microsoft, Sony et Tencent ne resteront pas les bras croisés.
- Image controversée : L’Arabie Saoudite, critiquée pour ses droits de l’homme, pourrait nuire à la marque EA.
"Les joueurs ne veulent pas que leur jeu préféré soit associé à un régime autoritaire", prévient Jason Schreier, journaliste chez Bloomberg. Un argument que le PIF semble minimiser, misant sur l’attrait des gros chèques pour faire taire les critiques.
L’approbation réglementaire : l’épreuve de vérité
Avant même de parler finance, il faut convaincre les régulateurs. Aux États-Unis, la FTC (Federal Trade Commission) scrute déjà les concentrations dans le jeu vidéo. En Europe, la Commission de Bruxelles pourrait s’inquiéter d’un monopole saoudien. Sans oublier la Chine, où EA génère une part importante de ses revenus.
"Le PIF va devoir démontrer que cette acquisition ne nuira pas à la concurrence", explique Lina Khan, présidente de la FTC. Un défi de taille, alors que le fonds contrôle déjà des parts chez Nintendo, Take-Two et Scopely (racheté en 2023 pour 4,9 milliards).
Et si le rachat échouait ? "Ce serait un camouflet pour le prince héritier Mohammed ben Salmane", analyse Karen Young, du Middle East Institute. "Son projet de modernisation repose sur des succès symboliques comme celui-ci." Une pression supplémentaire pour le PIF, qui ne peut se permettre un échec après des années de communication triomphaliste.
Derrière les chiffres, une bataille d’influence
Au-delà de l’aspect financier, ce rachat s’inscrit dans une guerre culturelle. L’Arabie Saoudite, longtemps perçue comme un pays conservateur, veut devenir un hub du divertissement. Preuve en est : l’organisation de concerts géants (Riyadh Season), l’arrivée de la Formule 1, ou les investissements dans l’e-sport (avec des tournois dotés de millions de dollars).
Mais cette stratégie a un coût – et pas seulement économique. "Le royaume achète une respectabilité qu’il n’a pas gagnée", critique Sarah Leah Whitson, de Democracy for the Arab World Now. Entre sportwashing et soft power, la frontière est ténue.
Pour Andrew Wilson, PDG d’EA, l’opération serait "une opportunité unique de croissance". Reste à savoir si les employés du studio, habitués à une culture d’entreprise occidentale, accepteront une tutelle saoudienne. "On nous parle de synergies, mais personne ne sait ce que ça veut dire concrètement", confie un développeur sous anonymat.
Une chose est sûre : les prochains mois seront décisifs. Les joueurs, les régulateurs et les marchés observent… et le PIF n’a plus droit à l’erreur.

