Il y a 6 heures
Embracer lâche Cryptic Studios, l’un des derniers bastions occidentaux du MMORPG, pour 30 millions de dollars – un sursis ou un adieu ?
h2
Un rachat à 30 millions de dollars pour sauver Cryptic Studios, mais à quel prix ?
Après des années d’incertitude sous l’ère Embracer, Cryptic Studios – le studio derrière des MMORPG cultes comme Star Trek Online et Neverwinter – change de mains pour 30 millions de dollars. Porté par d’anciens dirigeants d’Arc Games, le projet Golden Arc promet un renouveau, mais les défis sont immenses : des licences vieillissantes, une concurrence asiatique écrasante, et des budgets serrés. Avec un dernier MMORPG sorti en 2013, Cryptic peut-il encore innover ? Et que cache le financement chinois de XD ? Une opération de sauvetage… ou un simple sursis ?
A retenir :
- Cryptic Studios et Arc Games rachetés pour 30 millions de dollars par Project Golden Arc, une structure menée par d’anciens cadres d’Arc – un sauvetage après des années de turbulence sous Embracer.
- Un héritage lourd : Star Trek Online (14 ans) et Neverwinter (11 ans) doivent affronter la domination asiatique (Black Desert, Lost Ark) et le déclin des MMORPG occidentaux.
- Sans nouveau jeu depuis 2013, Cryptic devra innover avec des moyens limités – tandis que le financement par le géant chinois XD interroge sur les réelles ambitions du projet.
- Comparaison cruelle : Blizzard (World of Warcraft) et Square Enix (Final Fantasy XIV) investissent des centaines de millions en extensions, là où Cryptic survit en mode maintenance.
- Un tournant symbolique : la fin d’une ère pour Embracer, qui se sépare d’un studio historique, mais aussi un test pour l’avenir des MMORPG "made in USA".
30 millions de dollars pour un studio en sursis : l’accord qui sauve (provisoirement) Cryptic
Le groupe suédois Embracer, en pleine restructuration financière, a officiellement cédé deux de ses entités phares : Cryptic Studios, le vétéran des MMORPG occidentaux, et son éditeur historique Arc Games. L’opération, menée par Project Golden Arc, Inc., une société créée par d’anciens dirigeants d’Arc, s’élève à 30 millions de dollars après déduction des frais. Un montant modeste pour un studio au patrimoine aussi riche – mais qui reflète aussi les difficultés accumulées depuis des années.
Fondé en 1991, Cryptic a marqué l’histoire du genre avec des titres comme City of Heroes (2004), Star Trek Online (2010), ou Neverwinter (2013). Pourtant, sous l’ère Embracer (racheté en 2018 via Perfect World Entertainment), le studio a peiné à se renouveler. Son projet le plus ambitieux, un MMORPG basé sur Magic: The Gathering, a été abandonné en phase bêta en 2021, laissant Cryptic dans un rôle de simple maintenance. "On nous a réduits à des correctifs et des événements saisonniers", confiait en off un ancien employé sous couvert d’anonymat. Pas un nouveau jeu en 11 ans – un record peu glorieux pour un studio autrefois innovant.
Le rachat par Golden Arc arrive donc comme une bouffée d’oxygène… mais aussi comme un pari risqué. Les nouveaux propriétaires, bien que familiers des licences, héritent d’un catalogue vieillissant et d’une équipe réduite. "C’est un peu comme reprendre un restaurant trois étoiles qui n’a plus changé sa carte depuis 2010", résume Julien Kaibeck, analyste chez Nico Partners. La question brûle : s’agit-il d’une relance créative ou d’une opération de "récolte" des dernières recettes des licences existantes ?
"Embracer a vendu Cryptic comme on se débarrasse d’un meuble encombrant. Le prix – 30 millions – est presque symbolique pour un studio qui a généré des centaines de millions sur Star Trek Online seul. Soit Golden Arc a un plan génial, soit c’est un dernier round avant la fermeture." — Marc-Alain Descamps, journaliste spécialisé chez JeuxVideo.com.
Star Trek et Neverwinter : des licences à bout de souffle face aux géants asiatiques
Avec 14 ans pour Star Trek Online et 11 ans pour Neverwinter, Cryptic détient deux des MMORPG occidentaux les plus anciens encore en activité. Problème : leur modèle économique, basé sur des microtransactions et des extensions mineures, montre ses limites. En face, les mastodontes asiatiques comme Black Desert Online (Pearl Abyss) ou Lost Ark (Smilegate) investissent des dizaines de millions en contenu annuel, avec des graphismes et des systèmes de combat bien plus modernes.
Pire, les joueurs se font rares. Selon les données de MMO Population, Star Trek Online tourne autour de 20 000 joueurs actifs quotidiens (contre 50 000 en 2016), tandis que Neverwinter peine à dépasser les 15 000. À titre de comparaison, Final Fantasy XIV (Square Enix) affiche 2,5 millions de joueurs mensuels, et World of Warcraft (Blizzard), malgré son déclin, reste à plus d’un million. "Cryptic survit grâce à une niche de fans ultra-fidèles, mais sans innovation, c’est une lente agonie", estime Thomas "Aelthar" R., streamer spécialisé dans les MMORPG rétro.
Le vrai défi ? L’innovation avec des moyens limités. Depuis 2013, Cryptic n’a sorti aucun nouveau MMORPG, se contentant de mises à jour pour ses titres existants. Or, développer un MMORPG moderne coûte entre 50 et 200 millions de dollars – un budget hors de portée pour Golden Arc. "Ils pourraient tenter un 'spin-off' plus petit, style un Star Trek Online: Legacy en accès anticipé, mais même ça, c’est un pari risqué", analyse Cédric B., ex-producteur chez Ankama.
Le mystère XD : quand la Chine s’invite dans le sauvetage des MMORPG américains
Derrière Project Golden Arc se cache un détail troublant : une partie du financement provient du groupe chinois XD Inc., un géant des jeux mobiles et des MMORPG low-cost (comme Dragon Raja). Une alliance surprenante, quand on sait que les MMORPG occidentaux et asiatiques ont rarement fait bon ménage. "XD a l’habitude des jeux 'free-to-play' très monétisés, avec des mécaniques agressives. Si ils appliquent ça à Star Trek Online, les joueurs historiques vont fuir", s’inquiète Léa M., modératrice d’un forum dédié.
Plusieurs scénarios se dessinent :
- Option 1 : La relance créative – Golden Arc utilise l’expertise de Cryptic pour lancer un nouveau MMORPG "hybride" (mélangeant éléments occidentaux et asiatiques), avec un budget serré mais ciblé. Un pari audacieux, mais peut-être le seul viable.
- Option 2 : L’exploitation des licences – Les nouveaux propriétaires se contentent de maintenir Star Trek Online et Neverwinter en vie avec des mises à jour minimales, tout en explorant des ports mobiles ou des versions "light" pour l’Asie. Moins risqué, mais sans avenir long terme.
- Option 3 : Le démantèlement progressif – Si les résultats ne suivent pas, XD pourrait récupérer les brevets et technologies de Cryptic pour ses propres projets, laissant les licences western mourir doucement.
Interrogé par Game Industry, un porte-parole de Golden Arc a refusé de commenter la stratégie future, se contentant d’évoquer des "projets excitants à venir". De quoi alimenter les spéculations… et les craintes.
2024 : l’année où les MMORPG occidentaux ont (presque) disparu
Le cas de Cryptic est symptomatique d’un déclin plus large : celui des MMORPG "made in USA/Europe". Dans les années 2000, des titres comme Ultima Online, EverQuest, ou World of Warcraft dominaient le marché. Aujourd’hui, seuls WoW (Blizzard), FFXIV (japonais, mais très occidentalisé), et Guild Wars 2 (ArenaNet) résistent – et encore, avec des difficultés croissantes.
Les raisons ? Un mélange de :
- Coûts de développement explosifs – Un MMORPG AAA coûte aujourd’hui 5 à 10 fois plus cher qu’en 2004.
- Concurrence asiatique écrasante – Les jeux comme Blue Protocol (Bandai Namco) ou Tower of Fantasy (Perfect World) offrent des graphismes et un contenu bien supérieurs pour un prix similaire.
- Changement des habitudes – Les joueurs préfèrent désormais les live-service games (Destiny 2, Fortnite) ou les MMO "light" (Genshin Impact) aux univers persistants traditionnels.
Dans ce contexte, Cryptic apparaît comme l’un des derniers dinosaures. "Si même eux ne s’en sortent pas, c’est la fin d’une époque", résume Nicolas "Nylu" L., historien du jeu vidéo. Reste une lueur d’espoir : les MMORPG "indés" comme Pantheon: Rise of the Fallen ou Ashes of Creation prouvent qu’il existe encore une demande pour des expériences profondes et communautaires. Peut-être que Golden Arc misera sur cette niche ?
"Je joue à Neverwinter depuis 2013. J’ai vu le jeu se vider, les mises à jour devenir de plus en plus cheap… Mais je continue, par nostalgie. Si Golden Arc arrive à nous redonner l’impression qu’on compte, je paierai un abonnement sans hésiter. Sinon, ce sera l’heure de dire adieu." — "Dreadnought76", joueur historique sur les forums officiels.
Et maintenant ? Les 3 scénarios possibles pour Cryptic Studios
1. Le miracle (peu probable, mais pas impossible) : Golden Arc parvient à négocier un nouveau MMORPG avec une licence forte (un Marvel ou un Lord of the Rings low-cost), en s’appuyant sur l’expertise de Cryptic et les fonds de XD. Un succès critique et public redorerait le blason du studio.
2. La survie en mode "zombie" (le plus probable) : Star Trek Online et Neverwinter continuent à recevoir des mises à jour minimales, avec peut-être un portage mobile ou une version "remastered" pour attirer de nouveaux joueurs. Assez pour garder les serveurs ouverts, mais sans réel avenir.
3. La fin (scénario noir, mais crédible) : Si les joueurs désertent ou si XD décide de recentrer ses investissements, Cryptic pourrait fermer ses portes d’ici 2026, mettant fin à 33 ans d’histoire. Un sort déjà subi par des studios comme Carbine (WildStar) ou Trion Worlds (Rift).
Une chose est sûre : avec ce rachat, Embracer tourne définitivement la page des MMORPG. Pour Cryptic, c’est soit la dernière chance, soit le début de la fin.
Le rachat de Cryptic Studios pour 30 millions de dollars marque un tournant, mais aussi un aveu : les MMORPG occidentaux ne sont plus ce qu’ils étaient. Entre des licences vieillissantes, une concurrence asiatique impitoyable, et des budgets serrés, Project Golden Arc a peu de marges de manœuvre. Pourtant, pour des milliers de joueurs fidèles, ce sauvetage représente un espoir – mince, mais réel.
Reste une question : et si, contre toute attente, Cryptic parvenait à réinventer le genre ? Après tout, c’est un studio qui a déjà surpris le monde en 2004 avec City of Heroes. Peut-être que, dans quelques années, on se souviendra de 2024 comme de l’année où tout a failli s’effondrer… avant un retour en grâce improbable. En attendant, une chose est sûre : l’ère des MMORPG "faciles" est terminée. Place à la survie des plus malins.

