Les frères Russo s’attaquent à

Un prêtre qui frappe d’abord, prie ensuite : l’audace narrative d’Ordained

Imaginez un homme en soutane, les jointures ensanglantées, récitant un Notre Père entre deux coups de poing. Voici Roy Craig, le protagoniste d’Ordained, une série de comics qui ose mélanger foi inébranlable et violence méthodique. Créée par Robert Venditti – connu pour ses runs acclamés sur Green Lantern et X-O Manowar – cette œuvre publie son premier tome le 10 décembre 2025 chez Bad Idea, un éditeur indépendant qui mise sur des récits hors des sentiers battus. Ici, pas de super-héros en collants, mais un prêtre aux cicatrices physiques et morales, traqué par Cormac Byrne, un parrain de la mafia irlandaise aussi charismatique que impitoyable.

Le pitch ? Roy Craig a beau porter la soutane, son passé de combattant (soldat ? mercenaire ? le comics garde encore ses mystères) resurgit quand Byrne s’en prend à sa paroisse. Entre protection des innocents et soif de vengeance, le prêtre doit choisir : rester un homme de Dieu ou redevenir une machine à tuer. Venditti décrit son œuvre comme « un thriller psychologique où chaque coup de feu est une question de salut ». Une approche qui rappelle Preacher (Garth Ennis) en plus sombre, ou The Punisher si Frank Castle avait étudié la théologie.

Ce qui frappe dans Ordained, c’est son réalisme cru. Pas de pouvoirs surnaturels, mais des dilemmes humains : jusqu’où peut-on aller pour protéger ce en quoi on croit ? Le comics explore aussi la corruption de l’Église et les liens troubles entre religion et crime organisé, un thème cher à Venditti, qui avait déjà abordé la moralité ambiguë dans The Homeland Directive. Avec des planches où les églises gothiques côtoient les arrière-salles de pubs enfumés, l’ambiance visuelle promet d’être à couper le souffle.

Colin Farrell, entre Banshees et Batman : le casting parfait pour un rôle maudit

Quand The Hollywood Reporter a annoncé que Colin Farrell incarnerait Roy Craig, les fans ont immédiatement fait le lien avec ses rôles précédents : Pinguin dans The Batman (2022), un gangster aussi théâtral que dangereux, ou Bullseye dans Daredevil (2003), un tueur au sourire psychopathe. Mais c’est surtout sa performance dans The Banshees of Inisherin (2022) qui a convaincu les frères Russo. Dans ce film de Martin McDonagh, Farrell jouait un homme ordinaire basculant dans la folie, un équilibre parfait pour Roy Craig, tiraillé entre humilité et fureur.

Selon des sources proches du projet, l’acteur aurait déjà plongé dans les scripts avec le scénariste (dont le nom reste secret) pour affiner la psychologie du personnage. « Colin veut que chaque scène reflète le conflit intérieur de Roy, explique un proche de la production. Un jour, il improvise un monologue sur la grâce divine ; le lendemain, il travaille ses mouvements de combat avec un coach spécialisé dans le Krav Maga. » Un défi physique et mental, d’autant que Farrell devra porter la soutane… sans jamais perdre en crédibilité.

Les frères Russo, eux, misent sur cette dualité. Dans une interview accordée à Variety, Joe Russo a déclaré : « Ordained n’est pas un film de super-héros. C’est l’histoire d’un homme brisé qui tente de se racheter, mais le monde ne lui en laisse pas la chance. Colin a cette capacité à montrer la vulnérabilité et la brutalité en même temps – c’est exactement ce dont on a besoin. » Un choix qui rappelle leur travail sur Captain America: The Winter Soldier (2014), où ils avaient insufflé une dimension psychologique à un blockbuster.

"The Town" rencontre "Calvaire" : l’ambition visuelle d’un thriller sans compromis

Avec un budget estimé entre 40 et 50 millions de dollars, Ordained n’est pas une méga-production, mais les frères Russo promettent une immersion totale. Leurs références ? The Town (Ben Affleck, 2010) pour son réalisme urbain et ses scènes de braquage haletantes, et Calvaire (Fabrice Du Welz, 2004) pour son atmosphère oppressante et son héros en déroute. « On veut que le spectateur sente l’odeur de la tourbe irlandaise et le poids du silence dans une église vide », confie Anthony Russo.

Le tournage, prévu pour 2026, devrait se dérouler en Irlande, entre les falaises de Moher et les ruelles de Dublin. Un choix logique : l’île émeraude offre des décors naturellement cinématographiques, entre ciel plombé et pubs aux murs jaunis par la nicotine. Les frères Russo ont d’ailleurs déjà repéré des lieux clés, comme une ancienne église désaffectée près de Galway, qui servirait de QG à Roy Craig. Pour les scènes d’action, ils collaborent avec Sam Hargrave (Extraction), spécialiste des chorégraphies de combat ultra-réalistes.

Côté musique, Jóhann Jóhannsson (à titre posthume, via ses archives) ou Hildur Guðnadóttir (Joker, Chernobyl) seraient en lice pour composer une BO où les chœurs grégoriens se mêleraient à des basses électroniques. Une touche supplémentaire pour ancrer le film dans un réalisme onirique, entre mysticisme et horreur moderne.

Netflix vs Amazon : la bataille des géants pour un film pas comme les autres

Voici le paradoxe : Ordained n’est même pas encore sorti en comics que les plateformes se l’arrachent déjà. Selon Deadline, Netflix et Amazon Prime Video sont en négociations avancées pour décrocher les droits de diffusion, avec des offres dépassant les 100 millions de dollars pour une trilogie potentielle. Pourquoi un tel engouement ? Parce que le projet coche toutes les cases :

• Un acteur bankable : Colin Farrell, auréolé de son Oscar pour The Banshees of Inisherin.
• Un duo de réalisateurs expérimentés : les frères Russo, maîtres des blockbusters intelligents.
• Un genre porteur : le thriller psychologique adulte, entre True Detective et The Night Of.
• Un angle original : la religion comme terrain de guerre, un thème rare au cinéma.

Netflix, qui a déjà séduit avec The Irishman et The Power of the Dog, voit en Ordained un moyen de renforcer son catalogue "prestige". Amazon, de son côté, mise sur le potentiel international du film, avec des paysages irlandais à couper le souffle et un sujet universel : la lutte entre bien et mal. « C’est le genre de projet qui peut déclencher des débats, explique un cadre d’Amazon sous couvert d’anonymat. Entre la violence et la foi, les spectateurs auront de quoi discuter pendant des heures. »

Reste une question : et si Ordained sortait d’abord en salles ? Les frères Russo n’excluent pas une sortie limitée en cinéma avant une diffusion en streaming, à l’image de Roma (Alfonso Cuarón) ou The Irishman. Une stratégie risquée, mais qui pourrait renforcer le côté "événement" du film.

Derrière les projecteurs : les secrets inavouables d’une adaptation express

Ce que peu de gens savent, c’est que les frères Russo ont découvert Ordained par hasard. « On cherchait un projet loin de Marvel, quelque chose de viscéral et personnel, raconte Anthony Russo. Un ami nous a filé les premières planches du comics, et on a tout de suite accroché. Le fait que Roy soit un prêtre qui tue sans remords, mais avec une raison morale, c’était trop puissant pour qu’on passe à côté. »

Autre détail croustillant : Robert Venditti aurait écrit une scène secrète pour le film, absente du comics. Une séquence où Roy Craig confesse ses péchés… à un prêtre qui n’est autre que Cormac Byrne déguisé. « Une idée de dernière minute, avoue Venditti. Mais ça résume toute l’ambiguïté du récit : qui est vraiment le monstre ici ? » Les frères Russo adorent le concept et pourraient l’intégrer au script final.

Enfin, saviez-vous que Liam Neeson était initialement pressenti pour le rôle de Cormac Byrne ? L’acteur nord-irlandais, spécialiste des rôles de durs à cuire (Taken, The Grey), aurait décliné par manque de disponibilité. Le nom de son remplaçant reste un mystère bien gardé, mais les rumeurs évoquent Brendan Gleeson (The Banshees of Inisherin) ou Jonathan Rhys Meyers (The Tudors).

2026, année charnière : entre foi, balles et Oscars ?

Avec un tournage prévu en 2026, Ordained pourrait bien devenir le film surprise de l’année. Entre un scénario audacieux, un casting cinq étoiles et une réalisation soignée, tous les ingrédients sont réunis pour un succès critique. Mais attention : le défi est de taille. Les frères Russo devront éviter deux écueils :

• Trop en faire : transformer Ordained en un film d’action générique, perdant ainsi sa profondeur philosophique.
• Ne pas assez oser : édulcorer la violence ou les questions religieuses pour plaire au plus grand nombre.

Heureusement, avec Colin Farrell en tête de pont et un comics source déjà acclamé par la critique (les extraits publiés ont reçu des éloges pour leur rythme haletant et leurs dialogues ciselés), les chances de réussite sont élevées. Et si Ordained parvient à capturer l’essence de son héros – un homme déchiré entre ciel et enfer – il pourrait bien marquer les esprits bien au-delà de 2026.