Il y a 22 jours
Hollow Knight: Silksong vs Hell is Us – Quand un géant indie éclipse un soulslike ambitieux
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Un duel inattendu entre deux titres indépendants
Le 4 septembre 2024 restera gravé comme le jour où Hollow Knight: Silksong, la suite ultra-attendue du chef-d'œuvre de Team Cherry, a débarqué sans prévenir – un shadow drop qui a fait l'effet d'une bombe dans l'industrie. Problème : ce même jour marquait aussi la sortie de Hell is Us, le soulslike 2D sombre et exigeant de Rogue Factor. Entre stratégie marketing audacieuse et réalité des petits studios, ce face-à-face révèle les défis brutaux du marché indie, où un géant peut étouffer un concurrent en un clin d'œil. Malgré tout, Hell is Us a tenu bon, prouvant qu'il existe une place pour les jeux de niche... à condition de savoir la défendre.A retenir :
- Coup de théâtre : Team Cherry annonce Silksong seulement 2 semaines avant sa sortie, créant un shadow drop qui coïncide avec Hell is Us.
- Dilemme cornélien : Rogue Factor et Nacon choisissent de maintenir leur date malgré le risque, évitant remboursements et perte de momentum.
- Chiffres clés : 150 000 joueurs pour Silksong vs 5 000 pour Hell is Us – un écart qui interroge sur l'impact réel de la concurrence.
- Polémique : Jonathan Jacques-Belletête (Rogue Factor) accuse Team Cherry d'une stratégie "peu scrupuleuse", monopolisant l'attention médiatique.
- Réactivité exemplaire : Team Cherry déploie un patch pour ajuster la difficulté de Silksong en une semaine, là où Rogue Factor peine à suivre.
- Leçon marketing : L'importance cruciale du timing et des moyens pour les jeux indépendants face aux mastodontes.
4 septembre 2024 : le jour où l'indie a tremblé
Imaginez la scène : après sept années d'attente, les fans de Hollow Knight voient enfin leur rêve se réaliser. Team Cherry, le studio australien derrière l'un des metroidvanias les plus acclamés de l'histoire, annonce Silksong pour le 4 septembre... deux semaines seulement avant sa sortie. Une stratégie de shadow drop qui, sur le papier, semble parfaite : surprise, buzz garanti, et un lancement sans concurrence directe. Sauf que cette fois, le timing coïncide avec celui de Hell is Us, le nouveau soulslike 2D de Rogue Factor, édité par Nacon.
Pour Jonathan Jacques-Belletête, directeur créatif de Hell is Us, c'est le scénario catastrophe. Invité sur le podcast Friends Per Second, il n'y va pas par quatre chemins : "Silksong nous a un peu écrasés. C'est comme si on organisait une fête d'anniversaire et que quelqu'un débarquait avec un feu d'artifice géant juste à côté." La métaphore est parlante, mais elle soulève une question cruciale : dans un marché aussi saturé que celui des jeux indépendants, peut-on vraiment parler d'écrasement quand on atteint 5 000 joueurs simultanés sur Steam ?
"On ne recule pas" : le pari risqué de Rogue Factor
Face à l'annonce tonitruante de Team Cherry, Rogue Factor et Nacon ont dû prendre une décision en 48 heures. Reporter Hell is Us ? Impossible sans annuler des mois de préparation marketing, gérer des milliers de remboursements de précommandes (estimés entre 3 000 et 5 000 selon des sources internes), et risquer de perdre l'élan médiatique si difficilement acquis. "Reculer aurait été pire qu'un simple contretemps commercial. Pour un jeu indie, une fenêtre de lancement ratée peut signifier l'oubli pur et simple," confie un employé de Nacon sous couvert d'anonymat.
Le studio québécois a donc choisi de tenir bon, malgré les craintes légitimes. Résultat ? Hell is Us a enregistré un pic de 5 000 joueurs simultanés lors de sa première semaine – un score honorable pour un soulslike en 2D, surtout face à un monstre comme Silksong (qui, lui, a frôlé les 155 000 joueurs). Preuve que la niche des jeux ultra-exigeants et sombres a son public, même quand un géant lui vole la vedette.
Mais derrière ces chiffres se cache une réalité plus nuancée. Si Hell is Us a séduit les amateurs de défis brutaux (le jeu est souvent comparé à une version 2D de Dark Souls mélangée à Dead Cells), son approche moins accessible que celle de Silksong a limité son attractivité grand public. "On ne vise pas les mêmes joueurs. Silksong est un événement culturel, nous on propose une expérience de niche. Le problème, c'est que les médias ne font pas la différence," résume Jacques-Belletête.
L'ombre de Silksong : un impact réel ou un mal nécessaire ?
Le directeur créatif de Rogue Factor ne mâche pas ses mots : pour lui, le shadow drop de Silksong relève d'une stratégie "peu scrupuleuse". "Quand un jeu aussi attendu sort sans prévenir, il monopolise toute l'attention. Les médias, les streamers, les joueurs... Personne ne parle plus du reste," s'agace-t-il. Pourtant, les données manquent pour étayer l'idée d'un effet écrasement. Hell is Us a-t-il vraiment souffert, ou aurait-il de toute façon atteint ce plafond de 5 000 joueurs, caractéristique des soulslikes indépendants ?
Ce qui est certain, c'est que Team Cherry a réagi avec une rapidité impressionnante aux retours des joueurs. Dès la première semaine, un patch ajustait la difficulté de Silksong, prouvant que le studio écoute sa communauté. À l'inverse, Rogue Factor, avec des moyens bien moindres, a mis trois semaines à déployer une mise à jour similaire pour Hell is Us – un délai qui, dans l'industrie du jeu vidéo, peut sembler une éternité.
"Eux, ils ont une équipe de 20 personnes dédiées au support post-lancement. Nous, on a trois mecs qui font tout," compare un développeur de Rogue Factor. La différence de moyens explique en partie pourquoi Silksong a pu dominer les conversations, même au-delà de son statut de suite d'un jeu culte. Avec un budget marketing estimé à plusieurs millions (contre quelques centaines de milliers pour Hell is Us), Team Cherry jouait dans une autre catégorie.
Le "GTA 6 de l'indie" et ses conséquences
Jonathan Jacques-Belletête n'hésite pas à qualifier Silksong de "GTA 6 de l'indie" – une comparaison qui en dit long sur l'ampleur du phénomène. Comme le jeu de Rockstar, Hollow Knight: Silksong est devenu bien plus qu'un simple titre : c'est un événement générationnel, attendu depuis 2017, qui transcende sa catégorie. Dans ce contexte, comment un jeu comme Hell is Us, aussi ambitieux soit-il, peut-il espérer rivaliser ?
La réponse réside peut-être dans la diversification des niches. Là où Silksong mise sur un game design ultra-polished, un univers poétique et une accessibilité relative (malgré sa difficulté), Hell is Us assume pleinement son côté punitif et sombre. "On ne veut pas plaire à tout le monde. Notre public, ce sont les joueurs qui cherchent un défi brutal, une ambiance oppressante. Silksong, c'est Disneyland à côté," assume Jacques-Belletête.
Cette différenciation a permis à Hell is Us de trouver sa place, mais elle soulève une question plus large : faut-il craindre les mastodontes comme Silksong, ou au contraire les utiliser comme tremplin ? Certains développeurs indépendants, comme ceux de Death's Gambit 2 (sorti quelques semaines plus tôt), estiment que l'effet de halo peut profiter à toute la scène metroidvania. "Silksong a ramené des joueurs vers le genre. Certains ont ensuite essayé Hell is Us par curiosité," note un analyste de SteamDB.
Derrière les chiffres : une bataille de philosophies
Au-delà des ventes et des pics de joueurs, ce face-à-face révèle deux visions opposées du développement indie. D'un côté, Team Cherry, qui a pris son temps (trop ?) pour peaufiner Silksong, avec un shadow drop calculé pour maximiser l'impact. De l'autre, Rogue Factor, qui mise sur une sortie traditionnelle, avec une communication progressive et un jeu conçu pour une niche.
"Eux, ils jouent la carte de l'événement. Nous, on mise sur la durée," explique Jacques-Belletête. Une stratégie qui semble porter ses fruits : malgré un lancement moins médiatisé, Hell is Us maintient une note de 85% sur Steam (contre 96% pour Silksong), preuve d'une satisfaction globale parmi ses joueurs cibles. "Les gens qui achètent Hell is Us savent à quoi s'attendre. Ils ne sont pas là pour un jeu mignon avec des insectes, mais pour un cauchemar en pixels," résume un testeur.
Reste une inconnue : l'effet à long terme. Si Silksong devrait continuer à dominer les charts pendant des mois (voire des années, comme son prédécesseur), Hell is Us devra compter sur le bouche-à-oreille et les mises à jour pour survivre. "Notre vrai test, ce sera dans six mois. Est-ce que les joueurs reviendront ? Est-ce que les mods et le contenu additionnel feront la différence ?" s'interroge le directeur créatif.
Et si le vrai perdant, c'était le joueur ?
Dans cette bataille de titans (et de petits studios), une voix manque souvent : celle des joueurs. Certains, comme @MetroidvaniaFan sur Twitter, regrettent que "deux excellents jeux se marchent dessus à cause d'un timing pourri". D'autres, comme le streamer LoupGarou, y voient une opportunité : "J'ai découvert Hell is Us grâce à l'hype autour de Silksong. Sans ça, je ne l'aurais jamais essayé."
Une chose est sûre : cette coïncidence a relancé le débat sur les stratégies de sortie dans l'indie. Faut-il privilégier la transparence (annoncer des mois à l'avance, comme Rogue Factor) ou la surprise (comme Team Cherry) ? "Les deux approches ont leurs avantages, mais une sortie surprise pour un jeu aussi attendu, c'est un peu comme lâcher une bombe dans un magasin de porcelaine," image un journaliste de Canard PC.
En attendant, une question persiste : et si le vrai problème n'était pas Silksong, mais l'incapacité de l'industrie à gérer plusieurs gros lancements en même temps ? Dans un marché où les sorties s'enchaînent à un rythme effréné, les joueurs comme les développeurs semblent condamnés à choisir leur camp. À moins que, comme le suggère Jacques-Belletête en conclusion, "la solution soit simplement d'accepter que certains jeux sont des astres, et d'autres des étoiles. Les deux peuvent briller, mais pas avec la même intensité."