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Les jeux live-service sont-ils encore des jeux ? L’avertissement cinglant de l’ex-patron de PlayStation
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Il y a 1 jour

Les jeux live-service sont-ils encore des jeux ? L’avertissement cinglant de l’ex-patron de PlayStation

Shawn Layden, ancien PDG de PlayStation, remet radicalement en cause la légitimité des jeux live-service, les qualifiant de "produits d’engagement" plutôt que de véritables expériences ludiques. Pendant ce temps, Sony continue d’investir des milliards dans ce modèle controversé, malgré une série d’échecs cuisants (Concord, The Last of Us Online) et des tensions internes croissantes. Une stratégie à haut risque qui interroge : et si le géant japonais s’éloignait de ce qui a fait son succès ?

A retenir :

  • Shawn Layden assène un jugement sans appel : les live-service ne sont pas des "jeux", mais des "machines à engagement" dépourvues de narration et d’univers immersif
  • 1,45 milliard de dollars investis par Sony dans Epic Games, plus des projets internes comme Marathon (Bungie) ou Fairgame$ – pour des résultats mitigés : seul Helldivers 2 (12M joueurs) émerge du lot
  • Des départs symboliques : Connie Booth (30 ans chez PlayStation) et des critiques acerbes de David Scott Jaffe (créateur de God of War) contre la priorité donnée aux live-service
  • Le paradoxe Sony : 20,8 millions de PS5 vendues en 2023 grâce à des exclusivités narratives (Horizon, God of War), tandis que les live-service peinent à convaincre
  • L’échec retentissant de Concord (annulé après 6 ans de développement) et l’abandon de The Last of Us Online révèlent les limites du modèle
  • Un modèle économique instable : Layden rappelle que les "sacs d’argent promis" par les live-service sont souvent illusoires

« Ce ne sont pas des jeux » : la charge explosive de Shawn Layden

Quand un ancien dirigeant de PlayStation qualifie publiquement les jeux live-service de... non-jeux, l’industrie a de quoi trembler. Shawn Layden, PDG de Sony Interactive Entertainment de 2018 à 2019, n’y est pas allé par quatre chemins lors d’une récente intervention. Pour lui, ces titres qui dominent aujourd’hui le paysage vidéoludique ne répondent tout simplement pas à la définition fondamentale d’un jeu vidéo : « Un jeu, c’est une histoire, des personnages, un univers dans lequel on s’immerge. Les live-service, ce sont des produits conçus pour l’engagement, pas pour l’expérience. »

La comparaison avec les fleuries exclusivités PlayStation est implacable. Horizon, avec ses paysages à couper le souffle et son récit post-apocalyptique, God of War (2018) et son voyage initiatique père-fils, ou encore Uncharted, véritable blockbuster interactif – ces titres incarnent selon Layden l’ADN même du jeu vidéo. À l’inverse, des live-service comme Fortnite ou Destiny 2 reposeraient sur un principe unique : « faire revenir le joueur le plus souvent possible, par tous les moyens ». Une mécanique que l’ex-dirigeant qualifie de « cynique », car elle place la monétisation avant la création.

Pourtant, le succès commercial de certains titres (Fortnite dépasse les 230 millions de joueurs mensuels) semble lui donner tort. Mais Layden pointe un détail crucial : « Le joueur moyen passe 30 minutes par session sur un live-service, contre 3 à 4 heures sur un jeu narratif. » La différence ? « Dans un cas, on vous distrait. Dans l’autre, on vous transporte. »

Sony : 1,45 milliard de dollars et une stratégie en équilibre instable

Malgré ces critiques, Sony persiste. Et même accélère. En 2022, le géant japonais injecte 1,45 milliard de dollars dans Epic Games, le studio derrière Fortnite. Un pari colossal, complété par des projets internes comme Marathon (développé par Bungie, les créateurs de Destiny), ou Fairgame$, un live-service expérimental. Résultat ? Un bilan en demi-teinte.

D’un côté, Helldivers 2 fait figure d’exception. Sorti en février 2024, le titre coopératif de Arrowhead Game Studios explose les compteurs avec 12 millions de joueurs en trois mois – un record pour un live-service PlayStation. De l’autre, les échecs s’accumulent :
Concord (Firewalk Studios) : annulé après 6 ans de développement et un investissement estimé à plusieurs centaines de millions. Un fiasco retentissant qui a marqué les esprits.
The Last of Us Online : présenté comme « le projet le plus ambitieux de Naughty Dog » par Neil Druckmann, le jeu est purement et simplement abandonné en 2023, faute de « vision claire ».
Un God of War live-service : évoqué en interne, le projet a été enterre avant même d’être officialisé, selon les révélations de David Scott Jaffe.

« Sony mise sur un modèle qu’elle ne maîtrise pas », résume un analyste sous couvert d’anonymat. Pire : ces échecs à répétition coûtent cher. Trop cher ? En 2023, malgré des ventes records de PS5 (20,8 millions d’unités), les bénéfices de la division jeu de Sony chutent de 36% par rapport à 2022. Un signal d’alerte que certains, comme Layden, interprètent comme une crise de modèle.

« On nous demande de trahir notre ADN » : la révolte des studios PlayStation

Derrière les chiffres, c’est une crise culturelle qui se dessine. En 2023, le départ de Connie Booth, une vétérane de 30 ans chez PlayStation, fait l’effet d’une bombe. Selon David Scott Jaffe (créateur de la série God of War), son licenciement serait directement lié à sa résistance face à la stratégie live-service imposée par l’ex-PDG Jim Ryan : « Connie représentait l’âme des jeux PlayStation. Elle a été punie pour avoir défendu ce en quoi elle croyait. »

Les témoignages se multiplient. Un développeur anonyme de Naughty Dog confie : « On nous a demandé de travailler sur The Last of Us Online alors qu’une partie de l’équipe voulait se concentrer sur Part III. C’était comme si on nous demandait de trahir notre ADN. » Même son de cloche chez Fairgame$, où le fondateur a quitté le studio en 2023, laissant derrière lui une équipe réduite à peau de chagrin. « Les objectifs étaient irréalistes. On nous parlait de "milliards de revenus", mais sans nous donner les moyens », révèle une source proche du projet.

Le comble ? Certains projets live-service ont été imposés aux studios. « Un God of War en live-service ? Personne chez Santa Monica n’en voulait », assure Jaffe. Résultat : le projet a été abandonné en phase de pré-production, après des mois de tensions. Une méthode de management qui, selon Layden, « tue la créativité » : « Quand vous forcez des équipes à faire ce qu’elles ne maîtrisent pas, vous obtenez des produits médiocres. Et les joueurs le sentent. »

Le paradoxe Sony : 20,8 millions de PS5 vendues grâce aux jeux... narratifs

Ici réside toute l’ironie de la situation. En 2023, Sony écoule 20,8 millions de PS5, un record. Pourtant, les titres qui tirent ces ventes sont exclusivement des jeux narratifs :
God of War Ragnarök (11M d’exemplaires en 2022)
Horizon Forbidden West (8,4M)
The Last of Us Part I (remake, 5M)
Spider-Man 2 (10M en 2023)

« Les joueurs achètent une PS5 pour vivre des aventures, pas pour farmer des skins », résume un revendeur. Pire : les live-service PlayStation peinent à fidéliser. Helldivers 2, malgré son succès initial, voit son nombre de joueurs chuter de 70% en trois mois. Destiny 2, pourtant considéré comme une référence, ne représente que 3% des revenus de la division jeu de Sony.

Face à ce constat, certains observateurs appellent à un retour aux sources. « Sony a bâti son empire sur des jeux comme Shadow of the Colossus ou Bloodborne, pas sur des battle passes », rappelle Layden. D’autres, comme le PDG actuel Hiroki Totoki, défendent une approche « équilibrée ». Mais les faits sont têtus : en 2024, 70% des jeux annoncés par Sony pour la PS5 sont des... live-service. Un choix risqué, alors que même Microsoft (avec des échecs comme Halo Infinite) commence à revoir sa copie.

Derrière les chiffres, une question existentielle : et si les live-service mouraient avant même d’avoir vécu ?

Le modèle du live-service n’est pas nouveau. World of Warcraft (2004) ou League of Legends (2009) ont prouvé sa viabilité... sur le très long terme. Mais aujourd’hui, la donne a changé. « Le marché est saturé », explique un économiste du jeu vidéo. Avec plus de 200 live-service actifs en 2024, la concurrence est féroce. Résultat : 90% des nouveaux titres échouent à rentabiliser leur développement.

Shawn Layden va plus loin : pour lui, le live-service est un « mirage économique ». « On vous vend l’idée que les revenus récurrents sont infinis. Mais en réalité, 95% des joueurs quittent un live-service après 3 mois. Les 5% restants ? Ils ne suffisent pas à couvrir les coûts. » Un constat partagé par Ubisoft, qui a annoncé en 2023 l’annulation de quatre live-service en développement, dont Skull & Bones (après 10 ans de production !).

Alors, pourquoi Sony s’entête ? Plusieurs pistes :
La peur de rater le coche : avec des géants comme Tencent ou NetEase qui dominent le marché asiatique, PlayStation ne peut se permettre de rester à l’écart.
La pression des actionnaires : les revenus récurrents (abonnements, microtransactions) sont 30% plus rentables que les ventes de jeux traditionnels.
L’illusion du "jeu comme service" : une idée séduisante sur le papier, mais rarement viable (seuls Fortnite, Genshin Impact et League of Legends génèrent des milliards).

« Sony joue avec le feu », résume un ancien de Naughty Dog. « Ils sacrifient ce qui a fait leur succès pour courir après un eldorado qui n’existe peut-être pas. » Et si Layden avait raison ? Si, demain, les joueurs se lasisaient définitivement des battle passes, des saisons et des monétisations agressives pour revenir à l’essentiel : des histoires, des émotions, des univers ?

Une chose est sûre : avec Marathon (prévu pour 2025) et d’autres projets en développement, Sony n’a pas fini de miser sur les live-service. Mais à quel prix ?

La charge de Shawn Layden résonne comme un avertissement solennel : en misant massivement sur les live-service, Sony risque de s’éloigner de ce qui a fait sa légende. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 20,8 millions de PS5 vendues en 2023, portées par des jeux narratifs comme God of War ou Spider-Man 2, contre des échecs cuisants (Concord, The Last of Us Online) et des tensions internes sans précédent. Le géant japonais se trouve à la croisée des chemins : persister dans une stratégie risquée, ou revenir à ses fondamentaux avant qu’il ne soit trop tard. Une question persiste : et si les joueurs, finalement, n’en avaient tout simplement pas envie ?
L'Avis de la rédaction
Par Nakmen
Shawn Layden a raison : les jeux live-service, c'est comme un fast-food pour les jeux vidéo. On y va pour un shoot de dopamine rapide, mais on ne s'y attarde pas. Les jeux narratifs, eux, c'est un bon repas, on en redemande. Sony doit choisir : soit ils continuent à servir des burgers, soit ils cuisinent des plats maison.
Article rédigé par SkimAI
Révisé et complété par Nakmen

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