Il y a 3 heures
Krafton et l'IA : un mariage forcé qui fait trembler Subnautica et PUBG
h2
L'éditeur de PUBG et Subnautica mise tout sur l’IA générative, au prix de tensions internes et de départs massifs. Entre promesses technologiques et craintes d’une perte d’âme créative, Krafton joue un pari risqué qui pourrait redéfinir – ou détruire – l’avenir de ses licences phares. Les joueurs, déjà méfiants après les déboires d’ARK: Survival Ascended, observent avec inquiétude cette révolution forcée.
A retenir :
- 70 millions de dollars investis dans l’IA générative : Krafton accélère sa transition, quitte à sacrifier une partie de ses équipes.
- Subnautica 2 et Subnautica 3 en première ligne : après le départ des créateurs originaux, les joueurs craignent une perte d’authenticité pour la licence culte.
- 62 % des joueurs voient l’IA comme une menace pour la créativité (source : Game Developer), un chiffre qui pèse sur la stratégie de Krafton.
- Une approche radicale : primes de départ pour les employés réticents, une méthode qui rappelle les restructurations musclées d’Activision Blizzard.
- L’ombre d’ARK: Survival Ascended plane : après ses textures et animations critiquées, l’IA générative peut-elle vraiment préserver la qualité artistique ?
70 millions de dollars et un ultimatum : l’IA ou la porte
Imaginez un instant : votre employeur vous propose soit d’embrasser une révolution technologique dont vous doutez, soit de partir avec une prime. C’est le choix radical – et sans précédent – que Krafton, l’éditeur sud-coréen derrière PUBG et Subnautica, impose à ses développeurs. Avec un investissement dépassant les 70 millions de dollars dans l’IA générative, la direction ne tergiverse pas : ceux qui refusent de monter dans le train en marche se voient offrir une prime de départ volontaire, calculée en fonction de leur ancienneté. Une manière élégante de dire : "Adaptez-vous, ou disparaissez."
Cette stratégie, aussi brutale qu’audacieuse, interroge. D’un côté, Krafton justifie son virage par la nécessité de réduire les coûts et d’accélérer la production, dans une industrie où les délais et les budgets explosent (le développement d’un AAA peut désormais coûter jusqu’à 300 millions de dollars, comme pour Star Citizen). De l’autre, elle révèle une fracture générationnelle : les vétérans, attachés à un processus créatif artisanal, contre une nouvelle garde prête à embrasser les outils automatisés. "C’est comme si on remplaçait des peintres par des robots en leur disant que c’est pour leur bien", résume un ancien employé sous couvert d’anonymat.
Pourtant, Krafton n’est pas le premier à explorer cette voie. Ubisoft et Electronic Arts testent déjà des outils d’IA pour générer des dialogues secondaires ou des assets 3D. Mais aucune de ces entreprises n’a osé une transition aussi abrupte. "Chez EA, on utilise l’IA comme un assistant, pas comme un remplaçant", confie une source interne. La différence ? Krafton semble prêt à sacrifier une partie de son ADN créatif sur l’autel de l’innovation. Un pari dangereux, quand on sait que des licences comme Subnautica doivent leur succès à leur unicité manuelle – des mondes sous-marins méticuleusement conçus, une narration immersive, et une direction artistique inimitables.
Subnautica 2 : quand l’IA s’invite dans les abysses (et divise les équipes)
Si la stratégie de Krafton fait grincer des dents, c’est surtout parce qu’elle touche à un joyau : la franchise Subnautica. Après le départ des créateurs originaux du studio Unknown Worlds – une scission déjà mal vécue par les fans –, le développement de Subnautica 2 a été repris en main par la maison mère. Résultat ? Un climat de méfiance généralisée, alimenté par des rumeurs de tensions entre les "anciens" et les "nouveaux", ces derniers étant souvent perçus comme des "soldats de l’IA".
Les joueurs, eux, ont déjà eu un avant-goût de ce que l’IA générative pouvait produire… et le moins que l’on puisse dire, c’est que la démonstration n’a pas convaincu. En 2023, le trailer d’ARK: Survival Ascended (un autre jeu utilisant ces technologies) avait provoqué un tollé : textures floues, animations rigides, et un manque de cohérence visuelle qui avait valu au studio des moqueries sur les réseaux. "On dirait un jeu mobile des années 2010", avait résumé un streamer influent. De quoi donner des sueurs froides aux fans de Subnautica, habitués à des environnements d’une richesse organique rare dans le jeu vidéo.
Pourtant, Krafton maintient le cap. Subnautica 3 est toujours annoncé pour 2025, mais les observateurs notent un ralentissement des communications et des retards potentiels. "Ils ont annoncé le jeu trop tôt, avant de réaliser l’ampleur des changements internes", analyse un journaliste spécialisé. Pire : certaines sources évoquent une refonte partielle du projet, avec des segments entiers regénérés par IA pour "gagner du temps". Une décision qui, si elle se confirme, pourrait bien briser la magie de la licence. Car Subnautica, c’est avant tout une expérience sensorielle – le bruit des vagues contre la coque de votre submersible, la lueur bleutée des abysses, la tension palpable lors d’une rencontre avec un Léviathan. Autant d’éléments qui reposent sur un travail humain minutieux. L’IA peut-elle vraiment reproduire cette émotion brute ?
L’IA générative : une révolution ou une menace pour le jeu vidéo ?
Le cas Krafton soulève une question plus large : l’IA générative est-elle l’avenir du jeu vidéo… ou son pire cauchemar ? Les défenseurs de la technologie, comme le PDG de Nvidia, Jensen Huang, y voient une "démocratisation de la créativité", permettant aux petits studios de rivaliser avec les géants. "L’IA peut libérer les développeurs des tâches répétitives pour qu’ils se concentrent sur l’innovation", argue-t-il.
Mais les détracteurs sont légion. Une enquête menée par Game Developer en 2024 révèle que 62 % des joueurs considèrent l’IA comme une menace pour la qualité artistique des jeux. "Un jeu généré par IA, c’est comme un livre écrit par un algorithme : ça peut être techniquement correct, mais ça manque de cœur", résume un critique du site Kotaku. Les exemples ne manquent pas : outre ARK: Survival Ascended, des titres comme The Day Before (annulé après des accusations de tromperie sur ses visuels IA) ont renforcé la méfiance.
Krafton se retrouve donc face à un dilemme existentiel :
- Option 1 : Poursuivre sa transition vers l’IA, au risque de perdre l’âme de ses licences et de décevoir une base de fans exigeante.
- Option 2 : Faire machine arrière, mais alors, que devenir des 70 millions de dollars déjà investis ? Sans compter le retard accumulé sur des projets comme Subnautica 3.
Derrière les algorithmes, des hommes et des femmes en souffrance
Au-delà des débats technologiques, c’est une crise humaine qui se joue chez Krafton. Les témoignages d’employés, recueillis sous anonymat, peignent le portrait d’une entreprise déchirée. "On nous demande de former nos remplaçants algorithmiques", confie un développeur. "Certains collègues ont accepté la prime par désespérance, d’autres par peur de se retrouver à la traîne." Une situation qui rappelle les restructurations massives chez Activision Blizzard après son rachat par Microsoft – sauf qu’ici, ce n’est pas un géant extérieur qui impose sa loi, mais la direction elle-même.
Pire : certains craignent que ce modèle ne fasse tache d’huile. "Si Krafton s’en sort, d’autres éditeurs vont suivre. Et puis après ? Des jeux entièrement générés par IA, avec juste quelques humains pour valider ?" s’interroge un artiste 3D. Une perspective qui glace le sang des puristes, mais qui en enthousiasme d’autres, y voyant une opportunité de réduire les coûts et d’augmenter la productivité.
Dans ce contexte, une question persiste : qui paiera le prix de cette révolution ? Les actionnaires, ravis des économies réalisées ? Les joueurs, peut-être déçus mais habitués à avaler les pilules amères de l’industrie ? Ou les développeurs, premiers sacrifiés sur l’autel du progrès ? Une chose est sûre : avec Krafton, le jeu vidéo vient d’entrer dans une nouvelle ère – et personne ne sait encore si elle sera glorieuse… ou désastreuse.
Et si l’IA était juste un outil… mal utilisé ?
Parmi le concert de critiques, quelques voix dissonantes osent une autre lecture : et si le problème n’était pas l’IA en elle-même, mais la manière dont Krafton l’utilise ? "L’IA peut être un formidable outil de prototypage, pour générer des idées ou des ébauches. Mais chez Krafton, on a l’impression qu’elle devient une fin en soi", explique un ancien de Unknown Worlds.
Des exemples réussis existent. Le studio Inworld AI, partenaire de Krafton, a travaillé sur des PNJ dynamiques pour des jeux indés, avec des résultats bluffants. "L’IA peut enrichir l’expérience, à condition de rester un complément, pas un remplaçant", insiste un de ses fondateurs. Mais chez Krafton, la frontière semble floue. Les rumeurs évoquent des niveaux entiers de Subnautica 3 générés automatiquement, avec seulement quelques retouches humaines. Une approche qui, si elle se confirme, pourrait bien tuer la magie de la licence.
Alors, faut-il condamner Krafton sans appel ? Pas si sûr. Comme le rappelle un vétéran de l’industrie : "Chaque révolution technologique a ses excès. Le motion capture a été critiqué à ses débuts, avant de devenir indispensable. Peut-être que l’IA suivra le même chemin… à condition de ne pas brûler les étapes." En attendant, une chose est certaine : les prochains mois seront décisifs pour l’avenir de Subnautica, de PUBG, et peut-être de tout le jeu vidéo.

