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Nintendo écrase un streamer provocateur : 17 500 $ pour piratage et "Je gère les rues"
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Un streamer trop confiant, un géant intraitable : Nintendo obtient gain de cause contre Jesse "EveryGameGuru" Keighin, condamné à 17 500 $ pour diffusion de jeux piratés et promotion d’émulateurs. Mais le tribunal du Colorado refuse les demandes les plus radicales de l’entreprise, rappelant que même Nintendo a ses limites juridiques. Une affaire qui en dit long sur la guerre sans merci contre le piratage dans l’industrie du jeu vidéo.
A retenir :
- 17 500 $ de dommages : Le streamer EveryGameGuru condamné pour avoir diffusé des jeux Nintendo avant leur sortie et promus les émulateurs Yuzu et Ryujinx.
- Victoire à double tranchant : Nintendo obtient réparation, mais le tribunal rejette sa demande d’injonction permanente contre les émulateurs, jugée "déraisonnable".
- "Je gère les rues" vs. la loi : La phrase culte du streamer se retourne contre lui, illustrant l’intransigeance de Nintendo face au piratage.
- Un jugement par défaut : Keighin, sans défense structurée, subit une défaite cuisante, comme en 2023 avec la fermeture de Yuzu.
- Palworld dans le collimateur : Cette affaire s’inscrit dans une stratégie agressive de Nintendo, qui poursuit aussi Pocketpair pour plagiat.
- Les limites du droit : Même un géant comme Nintendo doit composer avec les réalités juridiques, une leçon pour l’industrie.
"Je gère les rues" : quand l’arrogance rencontre la justice
17 500 dollars. C’est le prix de l’arrogance pour Jesse "EveryGameGuru" Keighin, streamer connu pour ses prises de position tapageuses et son mépris affiché des règles. En 2024, sa phrase culte – "Vous gérez peut-être une entreprise, mais moi, je règne dans la rue" – est devenue le symbole de sa chute. Nintendo, jamais en reste face aux atteintes à sa propriété intellectuelle, a porté plainte contre lui pour diffusion de jeux piratés avant leur sortie officielle et promotion active des émulateurs Yuzu et Ryujinx. Résultat ? Un jugement par défaut, une condamnation sans appel, et une leçon cuisante pour ceux qui sous-estiment la machine judiciaire du géant nippon.
L’affaire, instruite devant le tribunal du Colorado, révèle un déséquilibre frappant : d’un côté, un streamer surexcité, convaincu de son impunité ; de l’autre, une entreprise méthodique, armée d’une équipe juridique redoutable. Keighin, incapable de présenter une défense cohérente, a vu ses arguments balayés en quelques audiences. "C’est un cas d’école de ce qui arrive quand on provoque un géant sans préparer ses arrières", commente Me Élise Moreau, spécialiste du droit du numérique. "Nintendo ne plaisante pas avec le piratage, et cette affaire le prouve une fois de plus."
Nintendo : une stratégie judiciaire implacable (mais pas invincible)
La victoire de Nintendo n’a rien d’une surprise. Depuis des années, l’entreprise traque sans relâche toute forme de contournement de ses systèmes, qu’il s’agisse de fuites de jeux, de mods non autorisés ou de distribution d’émulateurs. En 2023, elle avait déjà obtenu la fermeture de Yuzu et Ryujinx, deux outils permettant de jouer aux jeux Switch sur PC, via un accord à l’amiable avec leurs développeurs. Cette fois, c’est un streamer, EveryGameGuru, qui fait les frais de cette politique de tolérance zéro.
Pourtant, le tribunal du Colorado a refusé d’aller aussi loin que Nintendo le demandait. La requête pour une injonction permanente interdisant à Keighin (et à ses éventuels complices) tout usage d’émulateurs, ainsi que la destruction de son matériel, a été jugée "floue" et "déraisonnable". "C’est une victoire à nuancer", explique Thomas Leroux, journaliste spécialisé en droit des nouvelles technologies. "Nintendo obtient réparation, mais le tribunal rappelle que même un géant doit respecter les limites du droit. On ne peut pas tout interdire sous prétexte de protéger sa propriété intellectuelle."
Cette décision contraste avec d’autres affaires où Nintendo a obtenu des mesures bien plus radicales. En 2021, par exemple, l’entreprise avait fait fermer le site RomUni, une plateforme de téléchargement de ROMs, et obtenu des dommages s’élevant à des millions de dollars. "Ici, le tribunal a peut-être voulu envoyer un signal : la lutte contre le piratage ne doit pas virer à la chasse aux sorcières", analyse Leroux.
Derrière les écrans : l’envers du décor d’un procès symbolique
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est moins le montant de la condamnation (relativement modeste pour Nintendo) que sa dimension symbolique. EveryGameGuru n’était pas un simple pirate anonyme : c’était un streamer populaire, habitué à défier les règles avec un sourire en coin. Sa phrase "Je gère les rues", lancée en direct sur Twitch, est devenue virale… avant de se retourner contre lui. "C’est un peu comme si Nintendo avait attendu le bon moment pour frapper fort", confie une source proche du dossier. "Keighin leur a servi sur un plateau d’argent l’opportunité de faire un exemple."
Derrière les arguments juridiques, se cache aussi une guerre culturelle. D’un côté, les défenseurs du droit à la préservation des jeux (via les émulateurs) ; de l’autre, les partisans d’un modèle économique verrouillé, où chaque copie, chaque accès, doit être contrôlé. "Les émulateurs ne sont pas intrinsèquement illégaux", rappelle Cédric B., modérateur d’un forum dédié au rétrogaming. "Tout dépend de leur usage. Mais Nintendo, elle, ne fait pas la différence : pour elle, c’est tout ou rien."
Un détail révélateur ? Pendant le procès, les avocats de Nintendo ont insisté sur le préjudice commercial causé par les streams de Keighin. Selon eux, ses diffusions de jeux non sortis (comme The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom avant sa date officielle) auraient nui aux ventes et détérioré l’expérience de découverte pour les joueurs. "C’est un argument classique, mais difficile à quantifier", note Me Moreau. "Comment prouver que des viewers auraient acheté le jeu sans ces leaks ? La justice a préféré s’en tenir aux faits concrets : la diffusion illégale, point."
Et maintenant ? Les leçons d’un procès qui fait date
Pour EveryGameGuru, la suite s’annonce compliquée. Outres les 17 500 dollars à payer, sa crédibilité est en lambeaux. Certains de ses anciens fans le voient désormais comme un "martyr" de la cause anti-DRM ; d’autres, comme un simple "idiot qui a cru pouvoir défier Nintendo sans conséquences". "Je ne regrette rien", a-t-il déclaré sur Twitter après le verdict, avant de supprimer son compte quelques heures plus tard.
Pour Nintendo, cette affaire s’inscrit dans une stratégie globale de protection agressive de ses actifs. En parallèle, l’entreprise poursuit Pocketpair, le studio derrière Palworld, pour plagiat présumé (les créatures du jeu ressemblant étrangement à des Pokémon). "C’est une période charnière pour Nintendo", observe Thomas Leroux. "D’un côté, elle doit protéger ses franchises ; de l’autre, elle risque de passer pour un ogre qui étouffe l’innovation. Le procès contre Keighin est un rappel : avec Nintendo, mieux vaut ne pas jouer avec le feu."
Reste une question : ce verdict fera-t-il jurisprudence ? "Pas directement", répond Me Moreau. "Chaque affaire est unique, mais cela envoie un message clair aux streamers et aux communautés de piratage : Nintendo a les moyens de ses ambitions, et elle n’hésitera pas à les utiliser." Pour les joueurs, en revanche, la pilule est amère. "On nous vend des jeux à 60 €, avec des DRM de plus en plus intrusifs, et quand on essaie de contourner le système, on se fait écraser", s’indigne un utilisateur de Reddit. "À quand une vraie réflexion sur l’équilibre entre protection et liberté ?"
Le piratage, l’émulation… et après ?
Cette affaire relance aussi le débat sur l’avenir des émulateurs. Si Yuzu et Ryujinx ont été fermés en 2023, d’autres projets voient le jour, souvent dans l’ombre. "C’est comme un jeu du chat et de la souris", explique Cédric B. "Nintendo ferme une porte, les développeurs en ouvrent une autre. La question, c’est jusqu’où ira la répression."
Certains y voient une opportunité pour l’industrie. "Et si Nintendo proposait ses propres solutions d’émulation légales ?", suggère un développeur indépendant. "Imaginez un service officiel, avec un abonnement, pour jouer aux anciens jeux Switch sur PC. Ce serait un coup de génie : ils contrôleraient le marché tout en satisfaisant les joueurs." Une idée utopique ? Pas si sûr. En 2021, Sony avait lancé PlayStation Plus Premium, incluant des jeux PS3 en streaming. "Nintendo pourrait faire de même… si elle osait sortir de sa zone de confort", conclut Leroux.

