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Nintendo passe à l’offensive : acquisitions ciblées et expansion historique pour dominer l’avenir du jeu vidéo
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Pourquoi Nintendo change-t-il de cap après des décennies de prudence ?
Avec 10,3 milliards de dollars en trésorerie (chiffres 2023), Nintendo rompt avec sa tradition de discrétion financière pour adopter une stratégie audacieuse : des acquisitions ciblées de studios partenaires, couplées à une expansion infrastructurelle sans précédent à Kyoto. Loins des méga-rachats à l’occidentale (comme Microsoft-Activision), l’entreprise mise sur des synergies organiques, renforçant ses licences exclusives — des jeux aux films. Une révolution silencieuse qui pourrait redéfinir son leadership dans l’industrie.
A retenir :
- 10,3 milliards de dollars de trésorerie : Nintendo a les moyens d’une guerre des talents discrète mais implacable.
- Next Level Games (Luigi’s Mansion 3) et SRD (Zelda: Tears of the Kingdom) : des rachats stratégiques qui paient déjà.
- 2027 : date clé pour le nouveau siège social de Kyoto, symbole d’une croissance interne ambitieuse.
- Contrairement à Bandai Namco (franchises transversales) ou Microsoft (gigantisme), Nintendo joue la carte de l’écosystème fermé et ultra-maîtrisé.
- Une stratégie à double tranchant : moins de risques, mais une dépendance accrue à ses licences historiques.
- Dynamo Pictures (cinématiques de Metroid Dread) : l’exemple parfait d’une acquisition "invisible" qui change tout.
- Objectif ultime : contrôler 100% de la chaîne créative, des jeux aux adaptations ciné (comme le film Super Mario Bros.).
L’argent dort ? Plus maintenant : le virage historique de Nintendo
Longtemps perçue comme un géant endormi sur son matelas de liquidités, Nintendo a surpris le monde en 2023 en annonçant une série d’acquisitions ciblées — une première depuis des décennies. Avec 10,3 milliards de dollars en réserve (selon son dernier rapport financier), l’entreprise de Kyoto a enfin décidé de passer à l’action, mais à sa manière : sans tapage médiatique, sans surenchère follement risquée. Une approche typiquement japonaise, où chaque yen dépensé est calculé pour maximiser l’impact créatif.
Pour comprendre ce revirement, il faut remonter à 2020. Cette année-là, Nintendo rachète Next Level Games, le studio canadien derrière Luigi’s Mansion 3 (2019), un succès critique et commercial avec plus de 10 millions d’exemplaires vendus. Puis, en 2022, c’est au tour de SRD, co-développeur de The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom (2023), de rejoindre l’écurie. Deux opérations discrètes, mais qui révèlent une stratégie claire : intégrer des talents déjà familiers avec l’ADN Nintendo, plutôt que de parier sur des inconnus.
À titre de comparaison, Microsoft a dépensé 69 milliards de dollars pour s’offrir Activision Blizzard en 2023 — une somme astronomique qui a fait trembler Wall Street. Nintendo, lui, joue une autre partition : des rachats à taille humaine, mais aux retombées immédiates. Comme l’explique Doug Bowser, président de Nintendo of America, dans une interview à Bloomberg : 〈Nous ne cherchons pas à devenir les plus gros. Nous voulons être les meilleurs dans ce que nous faisons〉. Une philosophie qui se traduit par des choix chirurgicaux.
"Des studios fantômes" : quand Nintendo achète sans faire de bruit
Le cas de Dynamo Pictures est emblématique. Ce studio d’animation 3D, racheté en 2021, a travaillé dans l’ombre sur les cinématiques de Metroid Dread (2021) — un jeu salué pour son niveau cinématographique, une première pour la série. Pourtant, combien de joueurs savent que Dynamo appartient désormais à Nintendo ? Peu. Et c’est exactement ce que veut Kyoto : des acquisitions invisibles, mais transformatives.
Cette discrétion cache une réalité implacable : Nintendo contrôle désormais 100% de sa chaîne de production, des moteurs de jeu (comme le RE Engine modifié pour Zelda) aux animations. Un avantage colossal face à des concurrents comme Sony, qui externalise encore une partie de ses cinématiques (ex : God of War Ragnarök, partiellement animé par Digital Domain).
Mais cette stratégie a un revers. Comme le souligne Serkan Toto, analyste chez Kantán Games : 〈Nintendo prend un risque en misant presque exclusivement sur ses licences maison. Si Mario ou Zelda perdent de leur superbe, l’entreprise n’a pas de filet de sécurité〉. Un pari osé, surtout à l’ère des jeux-service (comme Fortnite) qui dominent le marché.
Kyoto 2027 : le siège social qui va tout changer
Parallèlement à ses acquisitions, Nintendo investit 32 millions de dollars dans un projet pharaonique : un second bâtiment pour son siège social, prévu pour décembre 2027. Situé à Kyoto, ce nouveau complexe ne sera pas un simple bureau. Selon les plans dévoilés par le Nikkei, il abritera :
- Des laboratoires de R&D dédiés aux nouvelles technologies (réalité augmentée, cloud gaming).
- Un studio d’enregistrement pour les voix et musiques, réduisant la dépendance aux prestataires externes.
- Des espaces collaboratifs entre les équipes hardware (Switch 2 ?) et software (jeux).
Une logique d’intégration verticale poussée à l’extrême, qui rappelle les méthodes d’Apple sous Steve Jobs. 〈Nous voulons que nos équipes parlent le même langage, littéralement et figurément〉, confiait un cadre de Nintendo à Famitsu sous couvert d’anonymat. L’objectif ? Éliminer les frictions entre les départements, accélérer les prises de décision, et in fine, sortir des jeux plus rapidement — un défi majeur pour une entreprise souvent critiquée pour ses retards (ex : Metroid Prime 4, annoncé en... 2017).
Ce projet s’inscrit dans une tendance plus large au Japon. Bandai Namco, par exemple, a inauguré en 2022 un campus géant à Tokyo pour regrouper ses studios (Tekken, Gundam, Tales of). Mais là où Bandai mise sur la diversification (jeux, jouets, parcs d’attractions), Nintendo reste obsédé par la cohérence de son écosystème. Une différence de philosophie qui pourrait s’avérer décisive dans la guerre des consoles de prochaine génération.
Le modèle Nintendo face aux géants : David contre Goliath ?
En 2024, l’industrie du jeu vidéo se divise en deux blocs :
- Les géants occidentaux (Microsoft, Sony, EA) qui misent sur des acquisitions massives et des catalogues de jeux-service.
- Les stratèges japonais (Nintendo, Bandai, Capcom) qui privilégient l’innovation incrémentale et le contrôle total de leurs IP.
Nintendo incarne parfaitement ce second modèle. Plutôt que d’acheter Bethesda ou Ubisoft, l’entreprise préfère :
- Renforcer ses studios internes (ex : Monolith Soft, qui travaille sur un nouveau Zelda).
- Créer des pont entre ses divisions (jeux, films, merchandising). Le film Super Mario Bros. (2023), produit avec Illumination, a généré 1,3 milliard de dollars — une preuve que l’écosystème fermé peut payer.
- Éviter la dette : contrairement à Sony (endettée à hauteur de 12 milliards de dollars en 2023), Nintendo reste autofinancé.
Pourtant, ce modèle a ses limites. Comme le note Piers Harding-Rolls, analyste chez Ampere Analysis : 〈Nintendo domine sur les hybrides (Switch), mais la prochaine génération exigera des investissements colossaux en cloud et IA. Leur trésorerie actuelle ne suffira pas indéfiniment〉. Un défi de taille pour Shuntaro Furukawa, le PDG, qui devra peut-être revoir sa copie d’ici 2025.
Et si Nintendo visait... Disney ?
Derrière les acquisitions de studios et les murs de Kyoto se cache une ambition bien plus grande : devenir le Disney du jeu vidéo. Comment ? En reproduisant le modèle qui a fait le succès du géant américain :
- Des licences intouchables (Mario, Zelda, Pokémon) exploitées sur tous les supports (jeux, films, parcs).
- Un contrôle absolu sur la qualité et la narration, sans compromis.
- Une machine à cash auto-entretenue : chaque succès finance le suivant.
Le film Super Mario Bros. (2023) est un premier test réussi. Avec 5 stars sur AlloCiné et un box-office stratosphérique, il a prouvé que Nintendo pouvait conquérir Hollywood sans perdre son âme. Prochaine étape ? Les rumeurs évoquent un film Zelda en développement avec A24 (Everything Everywhere All at Once), et un parc à thème dédié à Donkey Kong à Osaka pour 2026.
Mais attention : Disney a mis décennies à peaufiner sa machine. Nintendo, lui, part de presque zéro en dehors des jeux. 〈Leur plus grand risque ? Diluer leur magie en voulant trop grandir〉, avertit Liza Daly, experte en narration transmedia. Un écueil que Kyoto devra éviter à tout prix.
Le vrai pari de Nintendo : la Switch 2 et au-delà
Toutes ces manœuvres (rachats, siège social, films) ont un but ultime : préparer l’après-Switch. La console hybride, lancée en 2017, a vendu plus de 132 millions d’unités (chiffres mars 2024), mais son successeur se fait attendre. Les fuites suggèrent une Switch 2 pour fin 2024, avec :
- Un processeur NVIDIA custom (DLSS, ray tracing).
- Un écran OLED amélioré (120Hz, HDR).
- Une rétrocompatibilité totale avec les jeux Switch.
Pour Damian Thong, analyste chez Macquarie, 〈la Switch 2 sera le vrai test de la stratégie de Nintendo. Si elle échoue, leurs 10 milliards de trésorerie fondront comme neige au soleil〉. Un enjeu colossal, d’autant que Sony (PS5 Pro) et Microsoft (nouvelle Xbox) préparent aussi leurs coups.
Dans ce contexte, les acquisitions récentes prennent tout leur sens : Nintendo a besoin de talents frais pour innover sur le hardware et le software. 〈Ils ne peuvent plus se permettre de sortir une Wii U 2.0〉, résume Takeshi Koyama, rédacteur en chef de Dengeki. La pression n’a jamais été aussi forte.
Nintendo joue un jeu dangereux — mais calculé. En combinant acquisitions discrètes, expansion infrastructurelle, et ambitions transmedia, l’entreprise de Kyoto trace une voie unique dans une industrie obsédée par la taille. Pourtant, le succès n’est pas garanti : entre la Switch 2 qui doit impressionner, la concurrence agressive de Microsoft et Sony, et le risque de surchauffer ses licences, les défis sont immenses.
Une chose est sûre : le Nintendo de 2024 n’a plus grand-chose à voir avec celui, timoré, des années 2010. 〈Nous ne sommes plus dans l’ère du "wait and see"〉, confiait un développeur anonyme à Eurogamer. Avec 10 milliards en poche et un plan clair, Kyoto passe à l’attaque. Reste à voir si Mario et Zelda suffiront à porter cette révolution.

