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Nintendo Subit un Camouflet Juridique : Le Japon Rejette un Brevet Clé Inspiré de Pokémon
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Pourquoi Nintendo ne peut pas breveter la capture façon Pokémon ? Le Japon tranche.
A retenir :
- Nintendo voit son brevet pour une mécanique de capture façon Pokémon rejeté par l’Office japonais des brevets, qui invoque des jeux comme Ark ou Monster Hunter 4 comme preuves d’antériorité.
- Le rejet soulève une question cruciale : peut-on vraiment breveter des mécaniques de gameplay génériques, déjà exploitées sous d’autres formes ?
- Pocketpair, studio derrière Palworld (21M de ventes en 2024), est suspecté d’être le "tiers" à l’origine du blocage – après un précédent conflit avec Nintendo sur les Pal Spheres.
- Une affaire qui révèle les limites des brevets face à l’innovation collective dans le jeu vidéo, où l’inspiration croisée est la norme.
Imaginez un monde où Nintendo pourrait breveter l’idée même de lancer une balle pour attraper une créature. Absurde ? Pourtant, c’est bien ce que la firme de Kyoto a tenté de faire – avant de se heurter à un mur juridique au Japon. Le 12 juin 2024, l’Office japonais des brevets (JPO) a officiellement rejeté une demande de protection pour une mécanique de capture inspirée de Pokémon, au motif que des jeux comme Ark: Survival Evolved, Monster Hunter 4 ou Craftopia utilisaient déjà des systèmes similaires. Une décision qui en dit long sur les dérives possibles des brevets dans l’industrie du jeu vidéo – et sur les limites de la propriété intellectuelle quand il s’agit de game design.
Un Brevet Trop Large, une Pratique Trop Ancienne
Au cœur du rejet : le concept de prior art (ou antériorité), qui stipule qu’une invention ne peut être brevetée si elle existe déjà sous une forme similaire. Or, comme l’a souligné le JPO, la mécanique de capture par projectile n’est pas née avec Pokémon Rouge et Bleu en 1996. Dès 2013, Monster Hunter 4 permettait aux joueurs d’utiliser des pièges et des filets pour neutraliser des monstres. Ark: Survival Evolved (2017) poussait le concept plus loin avec ses Bolas, des armes lancées pour immobiliser des dinosaures. Même Craftopia (2020), un titre moins connu, intégrait un système de capture via des filets jetables.
Le problème ? Nintendo cherchait à protéger une mécanique trop générique. Comme l’explique Me Akira Tanaka, avocat spécialisé en propriété intellectuelle à Tokyo : "Brevetter un 'lancer d’objet pour capturer une entité' revient à vouloir monopoliser l’idée même d’interaction basique. C’est comme essayer de breveter le fait de sauter dans un jeu de plateforme." Une position partagée par de nombreux développeurs, qui y voient une tentative de verrouillage abusif d’un gameplay devenu standard.
Pourtant, la firme japonaise n’en est pas à son coup d’essai. En 2022, elle avait déjà obtenu aux États-Unis un brevet pour le système de Poké Ball (US11260502B2), forçant Pocketpair à modifier les Pal Spheres de Palworld en janvier 2024. Une victoire à double tranchant : si Nintendo protège ses créations, elle prend aussi le risque de stifler l’innovation en imposant des règles trop strictes.
Palworld dans l’Ombre : Le "Tiers Mystérieux" Qui a Tout Changé
Officiellement, l’identité du tiers ayant fourni les preuves au JPO reste secrète. Mais tous les regards se tournent vers Pocketpair, le studio derrière Palworld – ce "Pokémon avec des armes" qui a vendu 21 millions d’exemplaires en 2024. Les indices ?
- En janvier 2024, Pocketpair avait dû renommer ses Pal Spheres (devenues Capture Spheres) après des pressions liées aux brevets américains de Nintendo.
- Le studio avait alors publiquement critiqué les "abus de brevets", accusant Nintendo de "vouloir contrôler des mécaniques basiques".
- Fin 2023, Palworld était au centre d’une polémique pour ses similitudes avec Pokémon – un débat relancé par cette affaire.
Takuro Mizobe, PDG de Pocketpair, avait d’ailleurs lancé un avertissement en février 2024 : "Si les brevets deviennent des armes pour étouffer la créativité, l’industrie du jeu vidéo en souffrira." Une prophétie qui semble se réaliser.
Mais attention : si Pocketpair est le suspect idéal, d’autres studios pourraient être impliqués. Capcom (Monster Hunter) ou Studio Wildcard (Ark) ont aussi intérêt à ce que de telles mécaniques restent libres de droits. Comme le note un développeur anonyme interrogé par Famitsu : "Personne ne veut voir Nintendo breveter le fait de capturer un monstre. Où s’arrêterait-on ? Breveter le système de quêtes ? Le craft ?"
L’Innovation en Question : Quand les Brevets Tuent la Créativité
Cette affaire pose une question fondamentale : faut-il breveter le game design ? D’un côté, les brevets protègent les innovations uniques – comme le système de motion controls de la Wii, ou le Game Boy Printer. De l’autre, ils peuvent étouffer la concurrence quand ils couvrent des mécaniques trop larges.
Prenez Palworld : son succès tient en partie à sa capacité à mélanger des idées existantes (capture, craft, survie) pour créer quelque chose de nouveau. Si Nintendo avait pu bloquer la mécanique de capture, des jeux comme Temtem, Cassette Beasts ou même Digimon Story auraient pu être menacés. "L’industrie du jeu vidéo se nourrit de l’inspiration croisée", rappelle Céline Trébuil, historienne du jeu vidéo. "Sans ça, on n’aurait jamais eu des titres comme Dark Souls (inspiré de King’s Field) ou Fortnite (mélange de Minecraft et PUBG)."
Le paradoxe ? Nintendo elle-même a bâti son empire en s’inspirant d’autres. Donkey Kong (1981) reprenait des éléments de Popeye (mais sans les droits). The Legend of Zelda (1986) doit beaucoup aux jeux de rôle tabletop comme Dungeons & Dragons. Même les Poké Balls trouvent leur origine dans les capsules de la série Ultraman !
Et Maintenant ? Les Scénarios Possibles pour Nintendo
Que peut faire Nintendo face à ce rejet ? Plusieurs options s’offrent à elle :
- Faire appel : La firme pourrait contester la décision devant les tribunaux japonais, en argumentant que sa mécanique est suffisamment distincte. Un processus long et coûteux, sans garantie de succès.
- Cibler d’autres pays : Le brevet a déjà été accepté aux États-Unis. Nintendo pourrait tenter de le faire valoir en Europe ou en Chine, où les lois sur le prior art diffèrent.
- Négocier des licences : Plutôt que de bloquer, Nintendo pourrait monétiser son brevet en le louant à d’autres studios – une stratégie risquée, qui pourrait lui aliéner la communauté des développeurs.
- Laisser tomber : Accepter que certaines mécaniques soient trop génériques pour être protégées, et se concentrer sur l’innovation réelle (comme le futur Pokémon Legends: Z-A).
Pour l’instant, Nintendo n’a pas réagi publiquement. Mais une chose est sûre : cette affaire va relancer le débat sur les brevets dans le jeu vidéo, un sujet déjà brûlant depuis les polémiques autour des NFT et de l’IA générative.
Le Saviez-Vous ? Quand Pokémon a Failli Ne Pas Exister
Ironie de l’histoire : la mécanique de capture de Pokémon, aujourd’hui au cœur d’une bataille juridique, a elle-même failli être censurée à ses débuts. En 1995, lors du développement de Pokémon Rouge et Vert (sortis en 1996 au Japon), l’équipe de Game Freak avait présenté le concept à Nintendo. La réaction de Hiroshi Yamauchi, alors PDG : "C’est trop violent. Les enfants ne doivent pas capturer des animaux et les faire combattre."
Satoshi Tajiri, le créateur, avait dû revoir sa copie : les Pokémon ne seraient pas tués, mais évanouis ; les combats seraient stratégiques, pas sanglants. Une concession qui a sauvé la franchise… et créé un phénomène culturel. Aujourd’hui, alors que Nintendo tente de protéger cette même mécanique, certains y voient une forme de cynisme : "On a failli interdire Pokémon pour violence, et maintenant on veut breveter son système de capture ?", s’amuse un ancien employé de Game Freak sous couvert d’anonymat.
Une chose est sûre : la prochaine fois que vous lancerez une Master Ball dans Pokémon Écarlate, souvenez-vous que cette action, si iconique soit-elle, appartient désormais au domaine public du game design.

