Il y a 13 heures
L'IA peut-elle vraiment concurrencer
h2
Pourquoi Take-Two mise tout sur le génie humain plutôt que sur l'IA ?
Strauss Zelnick, le patron de Take-Two, n'y va pas par quatre chemins : selon lui, l'intelligence artificielle n'a pas sa place dans la création de franchises aussi ambitieuses que Grand Theft Auto. Une position radicale qui contraste avec l'engouement d'autres géants comme Electronic Arts, où l'IA est désormais omniprésente. Mais quand on voit l'accueil triomphal réservé à GTA VI – bien avant sa sortie –, on comprend pourquoi Take-Two persiste dans sa philosophie : et si le secret résidait encore et toujours dans le talent pur, sans algorithmes ?A retenir :
- Grand Theft Auto VI déjà plébiscité sans IA : la preuve que l’expertise humaine reste incontournable ?
- Strauss Zelnick (Take-Two) fustige l’IA, la qualifiant d’outil "dérivatif" et incapable d’innover – une critique qu’il assume depuis 2023.
- EA vs. Take-Two : deux visions opposées, entre "partenaire de réflexion" algorithmique et créativité 100 % humaine.
- Des figures comme Hideo Kojima ou Glen Schofield défendent une voie médiane – mais Take-Two, lui, ne transige pas.
- L’IA, utile pour la sécurité (Microsoft) ou la productivité, mais pas pour inventer des mondes comme Liberty City.
L’IA, ce "mirage créatif" selon le boss de Take-Two
Imaginez un instant : un algorithme capable de pondre le scénario de Grand Theft Auto VI, ses personnages cultes, ou même l’humour noir qui fait la marque de Rockstar. Absurde ? C’est exactement ce que pense Strauss Zelnick, PDG de Take-Two. Lors d’une récente intervention sur CNBC, il a balayé d’un revers de main l’idée que l’IA puisse un jour égaler – voire dépasser – le travail des équipes humaines. Pour lui, ces outils ne font que "recracher des données préexistantes", là où une franchise comme GTA se nourrit d’audace, de subversion, et d’une culture pop profondément ancrée.
Une position qui n’a rien d’une lubie passagère : dès 2023, Zelnick qualifiait les attentes autour de l’IA de "surdimensionnées". À l’époque, les promesses des générateurs de texte ou d’images faisaient déjà rêver (ou trembler) l’industrie. Pourtant, deux ans plus tard, son discours n’a pas varié d’un iota. Pire : il enfonce le clou en décrivant les productions issues de l’IA comme "dérivatives" – un terme qui, dans le jargon artistique, frise l’insulte. Pour lui, l’innovation naît des failles, des contradictions humaines, pas d’une machine programmée pour éviter les risques.
GTA VI : le triomphe annoncé d’une philosophie "100 % humaine"
Les faits semblent lui donner raison. Grand Theft Auto VI, dont la bande-annonce a pulvérisé les records de vues (plus de 90 millions en 24 heures), est le fruit d’un travail artisanal – au sens noble du terme. Aucun algorithme n’a écrit les répliques cinglantes de Lucia, ni conçu les mécaniques de gameplay qui font déjà saliver les fans. Pourtant, à l’heure où des studios comme Electronic Arts intègrent l’IA à toutes les étapes de développement (du design des niveaux à l’animation faciale), Take-Two fait bande à part.
Andrew Wilson, le patron d’EA, vante régulièrement l’IA comme un "partenaire de réflexion" capable d’accélérer la créativité. Résultat ? Des jeux comme FC 24 ou Battlefield 2042 utilisent des outils génératifs pour personnaliser les commentaires ou optimiser les textures. Mais pour Zelnick, cette approche revient à "confondre vitesse et inspiration". Et les chiffres lui sourient : avec un budget estimé à plus de 2 milliards de dollars, GTA VI s’annonce comme le jeu le plus rentable de l’histoire… sans la moindre ligne de code générée par une IA.
Hybrides vs. puristes : la guerre des méthodes fait rage
Pourtant, tous les poids lourds du secteur ne partagent pas ce dogmatisme. Hideo Kojima (créateur de Metal Gear Solid), par exemple, expérimente l’IA pour ses projets futurs, notamment via des collaborations avec des startups spécialisées. De son côté, Glen Schofield (à l’origine de Call of Duty et The Callisto Protocol) voit dans ces outils un moyen de "libérer les développeurs des tâches répétitives" pour qu’ils se concentrent sur l’essentiel : l’émotion.
Même Microsoft Gaming, via son bras armé Xbox Game Studios, utilise l’IA… mais pas pour créer. Ici, l’accent est mis sur la modération de contenu ou la détection de triches, des usages bien loin de la conception artistique. Une approche pragmatique qui tranche avec le radicalisme de Take-Two. Pourtant, Zelnick assume pleinement son choix : "Nos joueurs ne veulent pas d’un jeu conçu par une machine. Ils veulent une expérience qui les surprenne, les choque, les fasse rire ou réfléchir. Ça, aucune IA ne peut le garantir."
Derrière GTA VI : l’obsession du détail qui défie les algorithmes
Pour comprendre pourquoi Zelnick campe sur ses positions, il faut plonger dans les coulisses de Rockstar. Saviez-vous que l’équipe de GTA V avait passé plus de six mois à peaufiner… les animations des chiens dans le jeu ? Ou que les dialogues de GTA IV avaient été réécrits quatorze fois pour coller à l’accent new-yorkais ? Ces anecdotes, révélées par d’anciens employés, illustrent une philosophie : chez Rockstar, le diable se cache dans les détails.
Or, c’est précisément là que l’IA montre ses limites. Un algorithme peut générer des milliers de lignes de dialogue en quelques secondes… mais saura-t-il capturer l’ironie mordante de Lazlow (la voix mythique des radios de GTA) ? Pourra-t-il inventer un personnage aussi ambigu que Trevor Philips, à la fois monstrueux et attachant ? Non, répond Zelnick, pour qui ces nuances relèvent de l’"alchimie humaine" – un mélange d’instinct, de culture, et parfois… de folie créatrice.
Et si l’IA était simplement… un outil comme un autre ?
Pourtant, certains observateurs nuancent ce rejet catégorique. Serge Hascoët, ancien directeur créatif d’Ubisoft, estime que l’IA pourrait servir de "catalyseur" pour les idées, à condition de rester maîtrisée : "Imaginez un outil qui propose des variantes de quêtes en temps réel, ou qui aide à équilibrer la difficulté. Ce n’est pas de la triche, c’est de l’assistance." Une vision que partage Tim Sweeney (Epic Games), pour qui l’IA doit rester "un pinceau entre les mains de l’artiste".
Mais Zelnick, lui, reste intraitable. Pour preuve : Take-Two a récemment interdit l’utilisation d’outils génératifs (comme MidJourney ou Stable Diffusion) dans ses studios, sauf autorisation expresse. Une décision qui peut sembler rétrograde… jusqu’à ce qu’on se souvienne que Red Dead Redemption 2, autre chef-d’œuvre du groupe, a nécessité 8 ans de développement et des milliers d’heures de motion capture. "L’excellence prend du temps. L’IA, elle, ne fait que gagner du temps. Ce n’est pas la même chose," résume-t-il.

