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Roblox et ses paris virtuels : l’Espagne pourrait-elle sonner l’alerte européenne ?
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Roblox joue avec le feu en Europe : ses paris en Robux pourraient bien déclencher une tempête réglementaire, avec l’Espagne en première ligne. Entre un modèle économique déjà controversé et une mécanique qui rappelle les dérives des loot boxes, la plateforme risque de répéter les erreurs de FIFA ou Fortnite – avec 67% de ses utilisateurs mineurs en jeu.
A retenir :
- Roblox teste des mécaniques de paris via ses Robux, une monnaie virtuelle échangeable indirectement contre des euros (10 000 Robux ≈ 100 € sur des marchés tiers comme Rolimon’s).
- L’Espagne pourrait agir en premier : la CNMC surveille déjà les pratiques ciblant les mineurs (72% des 12,3M d’utilisateurs mensuels espagnols ont moins de 18 ans), et la loi Ley 13/2011 interdit formellement les paris virtuels pour ce public.
- Un précédent dangereux : l’UE a déjà sanctionné les loot boxes (FIFA, Overwatch) et forcé Fortnite à supprimer ses récompenses aléatoires en 2023. Roblox risque de subir le même sort.
- Un marché gris florissant : les Robux s’échangent pour 18,4M$ par mois (Chainalysis, 2023) sur des plateformes tierces, malgré l’interdiction officielle de Roblox.
- Un paradoxe juridique : David Baszucki (PDG) présente la mécanique comme "pédagogique", mais les régulateurs pourraient y voir une porte d’entrée vers l’addiction aux paris, comme le craint l’Observatorio Español de las Drogas.
Imaginez un enfant de 12 ans pariant ses économies virtuelles sur le résultat d’un match de football… dans Roblox. Ce scénario, digne d’un épisode de Black Mirror, pourrait bien devenir réalité. La plateforme, déjà critiquée pour son modèle économique basé sur les microtransactions, franchit une nouvelle ligne rouge en introduisant des mécaniques de paris virtuels via ses Robux. Une décision qui, en Europe, sent la poudre – et qui pourrait bien faire de l’Espagne le premier pays à tirer l’alerte.
Des Robux aux euros : quand la frontière entre jeu et pari s’efface
Officiellement, les Robux ne sont pas convertibles en argent réel. Officieusement, c’est une autre histoire. Sur des marchés secondaires comme Rolimon’s ou RBXMarket, 10 000 Robux s’échangent contre environ 100 euros – un taux de change bien réel, malgré les dénégations de Roblox. Cette ambiguïté n’est pas sans rappeler le cas des skins de CS:GO, utilisés massivement pour parier sur des matchs eSport avant que Valve ne soit traîné en justice en 2016.
Sauf que cette fois, le public est bien plus jeune. 67% des utilisateurs de Roblox ont moins de 16 ans (Roblox Corp, 2023), et en Espagne, ce chiffre grimpe à 72% pour les moins de 18 ans. Une cible ultra-vulnérable, comme le souligne María Jesús Montero, ministre espagnole des Finances : "Introduire des mécaniques de prédiction avec des récompenses virtuelles, c’est comme offrir des cigarettes light à des adolescents. L’addiction reste la même."
Pourtant, David Baszucki, PDG de Roblox, défend un système "pédagogique et légal", censé enseigner la gestion des risques. Une argumentation qui laisse sceptique Pedro Duce, avocat spécialisé dans le droit du jeu en Espagne : "Appeler ça de l’éducation, c’est comme dire que les machines à sous apprennent les maths. La loi Ley 13/2011 est claire : tout mécanisme assimilable à un pari, même virtuel, est interdit aux mineurs."
L’Espagne, futur épicentre d’une tempête réglementaire ?
Avec 12,3 millions d’utilisateurs mensuels (Roblox, 2023), l’Espagne est un marché clé pour la plateforme. Elle est aussi le pays européen où la CNMC (Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia) a déjà montré les dents : en 2022, elle a sanctionné plusieurs jeux free-to-play pour publicités trompeuses ciblant les enfants. Cette fois, le risque est bien plus grave.
Un rapport de l’Observatorio Español de las Drogas y las Adicciones (2023) révèle que 15% des adolescents espagnols ont déjà pari en ligne via des jeux vidéo. Ajoutez à cela un système où les Robux – achetables en euros (100 Robux ≈ 1,20 €) – peuvent être "misés" sur des événements virtuels, et vous obtenez une recette explosive. "C’est une bombe à retardement", estime Javier Urra, psychologue spécialisé dans les addictions chez les jeunes. "Les mineurs ne font pas la différence entre jouer et parier. Pour eux, c’est la même mécanique de récompense."
Le précédent de Fortnite en 2023 montre que l’Europe n’hésite plus à frapper fort. Sous pression de la Commission, Epic Games a dû supprimer ses V-Bucks aléatoires, assimilés à des loot boxes. Roblox, avec son public encore plus jeune, pourrait subir un sort bien pire : une interdiction pure et simple en Espagne, comme ce fut le cas pour les loot boxes de FIFA et Overwatch 2 en Belgique en 2020.
"On ne joue pas avec les mineurs" : l’UE durcit le ton
La Commission européenne a envoyé un signal clair en 2023 : les loot boxes sont désormais considérées comme des jeux d’argent déguisés, et les éditeurs doivent afficher les probabilités d’obtention des objets virtuels. Une mesure directement inspirée par les dérives des skin bets dans CS:GO, qui avaient conduit à des poursuites contre Valve.
Roblox se retrouve donc dans une zone grise dangereuse :
- Ses Robux fonctionnent comme une crypto-monnaie parallèle (achetable en euros, échangeable sur des marchés tiers).
- La plateforme interdit officiellement la revente de Robux contre de l’argent réel… mais ferme les yeux sur des sites comme Rolimon’s, où le volume d’échange atteint 18,4 millions de dollars par mois (Chainalysis, 2023).
- Son public est trois fois plus jeune que celui de Steam, où les dérives des skin bets avaient déjà choqué.
Pour les régulateurs, la question est simple : "Comment distinguer un pari éducatif d’un pari déguisé ?" demande Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne. "Quand un enfant mise ses Robux sur un match virtuel, est-ce vraiment différent de parier 10 euros sur un site de bookmakers ? La frontière est ténue, et Roblox le sait."
Derrière les Robux, un modèle économique sous haute tension
Le vrai problème de Roblox, c’est son modèle économique. La plateforme repose à 90% sur les microtransactions – achats de Robux, abonnements, objets virtuels. En 2023, elle a généré 2,8 milliards de dollars de revenus (Roblox Corp), dont une partie significative provient de mineurs.
Or, les Robux ne sont pas qu’une monnaie interne : ils sont devenus une devise spéculative. Des sites comme Rolimon’s ou RBXMarket permettent d’acheter ou vendre des Robux contre des euros, avec des taux de change fluctuants. "C’est un marché gris qui rappelle les débuts du Bitcoin", explique Carlos González, économiste spécialisé dans les monnaies virtuelles. "Sauf qu’ici, les principaux traders ont 12 ans."
L’introduction de paris ne ferait qu’aggraver la situation. Comme le montre l’affaire CS:GO Lounge (2016), où des skins valant des centaines d’euros étaient utilisés pour parier sur des matchs eSport, Roblox pourrait voir ses Robux devenir la nouvelle monnaie des paris clandestins. Avec une différence majeure : son public est bien plus jeune, et bien plus vulnérable.
Et si Roblox devenait le nouveau "Wild West" du jeu vidéo ?
En 2016, CS:GO était le Far West des paris virtuels. En 2020, c’était au tour de FIFA et ses loot boxes d’être bannies en Belgique. En 2023, Fortnite a dû revoir son système de récompenses sous la pression européenne. Aujourd’hui, Roblox semble prêt à reprendre le flambeau – avec un public encore plus jeune et un écosystème bien plus complexe.
La plateforme a deux options :
- Prouver que sa mécanique est vraiment "pédagogique" – ce qui impliquerait une transparence totale sur les algorithmes et une limitation drastique des mises.
- Affronter les régulateurs, au risque de subir des amendes record (comme les 37 millions d’euros infligés à Valve en 2020) ou pire : une interdiction pure et simple dans certains pays.
Pour l’instant, Roblox mise sur la deuxième option. "Ils pensent que leur taille les protège", analyse Sophie Martin, avocate spécialisée dans le droit numérique. "Mais l’Europe a montré avec FIFA et Fortnite qu’elle ne recule pas face aux géants. Et cette fois, c’est l’Espagne qui pourrait donner le coup d’envoi."
Une chose est sûre : si Roblox ne change pas de cap, les Robux pourraient bien devenir la monnaie la plus réglementée – et la plus controversée – du jeu vidéo.

