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Rosamund Pike et
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Après trois saisons et un potentiel inabouti, The Wheel of Time s’éteint définitivement sur Amazon Prime Video. Rosamund Pike, incarnation emblématique de Moiraine Damodred, révèle dans une interview poignante les coulisses d’un projet miné par des choix créatifs controversés et des contraintes budgétaires implacables. Malgré une troisième saison saluée par la critique et les fans, la plateforme a tranché : l’aventure s’arrête là. Entre regrets, analyses lucides et espoirs déçus, l’actrice livre un témoignage rare sur les défis insurmontables d’adapter une saga culte — et sur ce qui aurait pu sauver la série.
A retenir :
- Une ascension trop lente : Rosamund Pike admet que la saison 1, perturbée par la COVID et des changements d’équipe, a "trahi" l’esprit des livres de Robert Jordan, aliénant une partie des fans dès le départ.
- Le paradoxe Amazon : Malgré des audiences mondiales massives (selon le showrunner Rafe Judkins), la série n’a pas su justifier son coût pharaonique (estimé à 10M$/épisode pour la S3), scellant son sort.
- Brandon Sanderson, fantôme consulté : L’auteur ayant achevé la saga après la mort de Jordan révèle avoir été "utilisé comme caution marketing" sans influence réelle sur le scénario.
- L’illusion d’une résurrection : Contrairement à The Expanse (sauvé par Amazon après son annulation par Syfy), aucun studio (pas même Apple TV+) n’a manifesté d’intérêt pour reprendre la série.
- Un héritage en jeu vidéo : Un RPG monde ouvert basé sur l’univers de The Wheel of Time est confirmé pour 2025 — dernier espoir pour les fans de prolonger l’épopée.
Entre les pages et l’écran : comment The Wheel of Time a perdu son âme en route
Quand Amazon a annoncé en 2019 l’adaptation de The Wheel of Time, la saga fantasy la plus vendue après The Lord of the Rings (plus de 90 millions d’exemplaires), l’attente était colossale. Les livres de Robert Jordan, publiés entre 1990 et 2013 (avec Brandon Sanderson pour les trois derniers tomes après sa mort), avaient bâti un univers d’une complexité inégalée : une mythologie cyclique, des centaines de personnages, une magie systématique (le Saidin et le Saidar), et une prose si dense que certains volumes dépassaient les 1 000 pages. Adapter cela en 8 épisodes par saison était un défi impossible, selon les puristes.
Dès la saison 1 (2021), les choix de Rafe Judkins (showrunner) ont divisé :
- La réécriture des dynamiques entre personnages (comme la relation entre Rand al’Thor et Egwene, jugée trop "moderne").
- L’omission de scènes clés (le prologue expliquant la rupture du Dark One, réduit à une séquence floue).
- Un rythme saccadé, avec des arcs narratifs compressés (le voyage vers Shadar Logoth expédié en 20 minutes).
Pourtant, la saison 3 (2024) semblait avoir corrigé le tir. Avec un budget revu à la hausse (les décors de Tar Valon et les effets du Dragon Reborn étaient enfin à la hauteur), une écriture plus fidèle, et des performances d’acteurs remarquées (notamment Madeleine Madden en Egwene), la série avait enfin trouvé son équilibre. Trop tard : Amazon, engagée dans une purge de ses productions coûteuses (après les échecs de The Rings of Power et Citadel), a tranché.
L’équation impossible : quand la fantasy devient un fardeau financier
Le cas de The Wheel of Time illustre un problème structurel des adaptations de fantasy : leur coût exponentiel. Selon Variety, la saison 3 aurait coûté plus de 80 millions de dollars, avec des épisodes comme "The Dragon Reborn" (S3E8) dépassant les 15M$ rien que pour les effets visuels (les scènes de bataille contre les Trollocs et le Balefire). À titre de comparaison, Game of Thrones (HBO) dépensait en moyenne 10M$ par épisode pour sa dernière saison — mais avec un retour sur investissement garanti (93 millions de téléspectateurs par épisode).
Amazon, elle, mise sur un modèle différent : l’engagement à long terme. Or, The Wheel of Time souffrait d’un démarrage trop lent. Les données de Parrot Analytics révèlent que la série a mis 18 mois à atteindre un pic d’audience (après la sortie de la S2 en 2023), là où The Witcher (Netflix) avait séduit dès sa première saison. "Les algorithmes d’Amazon privilégient les séries qui captent immédiatement", explique un ancien cadre de Prime Video sous couvert d’anonymat. La S3, bien que meilleure, arrivait trop tard pour inverser la tendance.
Autre facteur clé : l’absence de merchandising lucratif. Contrairement à Star Wars ou Marvel, The Wheel of Time n’avait pas de jeux vidéo majeurs (avant l’annonce du RPG de 2025), ni de produits dérivés significatifs. "Une série comme celle-ci a besoin d’un écosystème pour rentabiliser son investissement", note Rebecca Keegan, journaliste au Hollywood Reporter. Même les droits internationaux (vendus à des diffuseurs comme Canal+ en France) n’ont pas suffi à équilibrer les comptes.
Le témoignage de Brandon Sanderson est révélateur : "Amazon voulait mon nom pour rassurer les fans, mais ils n’ont jamais vraiment écouté mes conseils. J’ai proposé des ajustements pour la S2 qui auraient évité des incohérences… sans réponse." Un symptôme d’un problème plus large : le décalage entre les attentes des créateurs et celles des studios.
La malédiction des adaptations littéraires : entre fidélité et réinvention
The Wheel of Time n’est pas la première adaptation à échouer face à ce dilemme. Comparons avec d’autres cas emblématiques :
Série Problème majeur Conséquence American Gods (Starz) Désaccords créatifs avec Neil Gaiman Annulation après 3 saisons The Dark Tower (2017) Scénario trop éloigné des livres Échec critique et commercial Foundation (Apple TV+) Changements radicaux dans le lore Renouvelée, mais controverséeLe cas de The Wheel of Time est particulier car la saga de Jordan est intrinsèquement difficile à adapter :
- Une chronologie non linéaire : Les livres utilisent des flashbacks et des prophéties qui s’entrelacent. La série a tenté de les simplifier, perdant en profondeur.
- Des personnages trop nombreux : Plus de 2 700 noms dans les livres ! La série a fusionné ou supprimé des rôles (comme Perrin Aybara, réduit à un personnage secondaire).
- Un système magique complexe : Le One Power, avec ses cinq éléments et ses règles strictes, a été vulgarisé pour le grand public.
Pourtant, certaines libertés ont fonctionné : la diversité du casting (Moiraine interprétée par une actrice blanche, alors que le livre la décrit comme ayant la peau "brune comme du cuir vieilli") a été saluée pour son approche moderne. De même, la relation entre Matrim Cauthon et Tuon (absente des deux premières saisons) promettait un développement passionnant… qui n’aura jamais lieu.
Les fans, ces héros malgré eux : quand la passion ne suffit plus
L’histoire de The Wheel of Time est aussi celle d’une communauté de fans exceptionnellement engagée. Dès l’annonce de l’annulation, des initiatives ont émergé :
- Une pétition sur https://Change.org a récolté plus de 150 000 signatures en une semaine.
- Un groupe brésilien a financé un panneau publicitaire à Times Square (coût : 25 000$) avec le hashtag #SaveTheWheelOfTime.
- Des campagnes de harcellement organisé (mais pacifique) sur les réseaux sociaux d’Amazon Studios, avec des trends mondiaux comme #RenewWOT.
Pourtant, comme le souligne Rosamund Pike : "Les pétitions, c’est comme crier dans le vent. Les décisions se prennent dans des salles où nous, acteurs, n’avons pas accès." Pire : selon TVLine, Amazon n’a même pas proposé la série à d’autres plateformes, contrairement à la rumeur d’un rachat par Apple. "C’est une stratégie classique", explique un agent de Hollywood : "Ils gardent les droits pour éviter qu’un concurrent ne profite d’un rebond."
Le contraste avec The Expanse (sauvé par Amazon après son annulation par Syfy) est frappant. Pourquoi cette fois-ci, aucun repreneur ?
- Un univers trop niche : Contrairement à The Expanse (science-fiction "hard" mais accessible), The Wheel of Time exige une connaissance préalable du lore.
- Un casting déjà engagé ailleurs : Rosamund Pike (prochaine Wicked en 2025) et Daniel Henney (The Last Stand) avaient des contrats limitant leur disponibilité.
- Un marché saturé : Avec House of the Dragon, The Rings of Power, et Willow, la fantasy est un segment ultra-concurrentiel.
2025 et au-delà : l’avenir de The Wheel of Time se jouera-t-il sur console ?
Si la série est morte, la franchise, elle, n’a pas dit son dernier mot. En avril 2024, THQ Nordic (éditeur de Darksiders et Gothic) a officialisé un RPG monde ouvert basé sur l’univers de Jordan, développé par Saber Interactive (à qui l’on doit World War Z). Peu de détails ont filtré, mais les rumeurs évoquent :
- Un système de magie fidèle au One Power (avec des mécaniques de "corruption" pour les utilisateurs masculins du Saidin).
- Un monde dynamique où les choix du joueur influencent le cycle des Âges (référence à la Wheel du titre).
- Des personnages jouables issus des livres (Rand, Egwene, ou même un Aes Sedai personnalisable).
Pour les fans, c’est une dernière lueur d’espoir. "Un jeu pourrait faire ce que la série n’a pas su faire : rendre justice à la richesse de l’univers", estime Leigh Butler, autrice du site Tor.com dédié à la saga. Reste une question : le jeu parviendra-t-il à capturer l’essence des livres, là où la série a échoué ?
En attendant, Rosamund Pike garde un regard à la fois nostalgique et réaliste : "Moiraine était le rôle d’une vie. Mais parfois, les histoires doivent s’arrêter pour que d’autres commencent. Peut-être que dans vingt ans, quelqu’un retenterait l’aventure… avec les leçons que nous avons apprises."
L’échec de The Wheel of Time sur Amazon Prime Video est un cas d’école des défis de l’adaptation littéraire : un mélange toxique de contraintes budgétaires, de choix créatifs discutables, et d’un public divisé entre puristes et néophytes. Pourtant, la série laisse derrière elle des moments de grâce (la révélation de Rand en S3, les décors de Cairhien), et une question lancinante : et si tout avait commencé avec la qualité de la saison 3 ?
Au-delà des regrets, cette annulation révèle une tendance lourde : les plateformes privilégient désormais les franchises à retour rapide (comme One Piece live-action) plutôt que les épopées ambitieuses. Pour les fans de The Wheel of Time, il reste le RPG de 2025 — et l’espoir que, comme dans la saga, la Roue tourne encore, apportant peut-être une renaissance inattendue.
Une chose est sûre : cette histoire rappelle que même les univers les plus riches ne survivent pas sans une vision claire. Et ça, ni Amazon ni les pétitions n’ont su le fournir.

