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Square Enix : 140 licenciements à Londres et une restructuration qui inquiète l'industrie
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Une vague de licenciements qui secoue le géant japonais
A retenir :
- 140 emplois menacés au siège londonien de Square Enix, avec des suppressions de postes en Europe et aux États-Unis.
- 19,6 millions de dollars d’économies annuelles visées, grâce à une restructuration qualifiée de "fondamentale".
- 70 % des tests qualité automatisés d’ici 2027 : l’IA générative au cœur de la stratégie, au détriment des équipes QA.
- Une réorganisation transversale : IT, marketing, édition, ventes et stratégie touchés sans distinction.
- Après les cessions de Crystal Dynamics et Eidos-Montréal en 2023, une nouvelle étape dans la transformation du géant japonais.
- Une stratégie risquée : l’automatisation massive pourrait-elle nuire à la qualité des jeux ? Les joueurs et les employés s’interrogent.
Londres dans la tourmente : 140 postes sur la sellette
Le choc est brutal pour les employés de Square Enix Londres. Selon des sources internes confirmées par IGN et VGC, près de 140 postes seraient directement menacés dans la capitale britannique. Mais cette vague de licenciements ne se limite pas au Royaume-Uni : d’autres bureaux européens et américains subissent des coupes similaires, bien que les chiffres exacts restent flous. Une chose est sûre : cette restructuration n’épargne aucun service. Que vous travailliez dans l’IT, le marketing, l’édition, les ventes, l’assurance qualité (QA) ou la planification stratégique, votre poste pourrait être concerné.
Pourtant, Square Enix n’en est pas à sa première secousse. En 2022, le géant japonais avait déjà cédé plusieurs de ses studios occidentaux, dont les emblématiques Crystal Dynamics (à l’origine de la série Tomb Raider) et Eidos-Montréal (connu pour Deus Ex), au groupe suédois Embracer. Une décision qui avait déjà semé le doute sur l’engagement de l’entreprise envers ses filiales hors du Japon. Aujourd’hui, la donne change : il ne s’agit plus de vendre, mais de réduire les coûts internes, quitte à sacrifier des équipes entières.
Interrogé par Bloomberg, un employé sous couvert d’anonymat confie : "On nous avait promis que les cessions étaient une stratégie pour recentrer l’entreprise sur ses forces. Personne ne s’attendait à ce que la prochaine étape soit des licenciements massifs. C’est une trahison." Un sentiment partagé par de nombreux collègues, qui voient dans cette restructuration une logique purement financière, au mépris du capital humain.
19,6 millions de dollars d’économies : le prix de l’"agilité"
Dans un communiqué interne, le président de Square Enix, Takashi Kiryu, justifie ces mesures par la nécessité de rendre l’entreprise "plus agile et compétitive sur un marché en constante évolution". Traduction : il faut réduire les dépenses, et vite. Le montant visé ? 3 milliards de yens (soit 19,6 millions de dollars) d’économies annuelles. Un objectif ambitieux, qui passe inévitablement par des suppressions de postes et une automatisation accrue.
Mais cette quête d’"agilité" cache une réalité plus sombre. Selon un rapport de Niko Partners, spécialisé dans l’analyse du marché du jeu vidéo, Square Enix a vu ses revenus chuter de 12 % en 2023, en partie à cause de performances décevantes de certains de ses titres phares, comme Forspoken. Un échec commercial qui a coûté cher : le jeu, développé par Luminous Productions, aurait englouti plus de 200 millions de dollars pour des ventes estimées à seulement 1,5 million d’exemplaires en six mois. Dans ce contexte, la restructuration apparaît comme une tentative désespérée de redresser la barre.
Pourtant, tous les observateurs ne partagent pas ce diagnostic. Serkan Toto, analyste chez Kantán Games, tempère : "Square Enix a toujours été une entreprise cyclique, avec des hauts et des bas. Ces licenciements sont douloureux, mais ils pourraient permettre à l’entreprise de se recentrer sur ses franchises les plus rentables, comme Final Fantasy ou Dragon Quest." Une vision optimiste, qui omet cependant de mentionner le coût humain de cette stratégie.
L’IA générative : une révolution ou une menace pour les emplois ?
Au cœur de cette restructuration se trouve un projet bien précis : automatiser 70 % des tests qualité d’ici 2027. Pour y parvenir, Square Enix mise sur l’IA générative, une technologie déjà utilisée par des concurrents comme Ubisoft ou Electronic Arts. L’idée ? Remplacer une partie du travail humain par des algorithmes capables de détecter des bugs, d’optimiser des niveaux ou même de générer du contenu secondaire.
Sur le papier, l’argument est séduisant : gain de temps, réduction des coûts, et une supposée amélioration de la qualité. Mais dans les faits, les retours sont mitigés. Jason Schreier, journaliste chez Bloomberg et spécialiste de l’industrie du jeu vidéo, met en garde : "L’IA peut aider, mais elle ne remplacera jamais totalement l’œil humain, surtout pour des tests complexes ou créatifs. Le risque ? Des jeux sortis trop vite, avec des bugs majeurs, comme on l’a vu avec Cyberpunk 2077 à son lancement."
Pour les employés des équipes QA, la menace est réelle. Square Enix n’est pas le seul à automatiser : Microsoft a récemment licencié des testeurs de Bethesda et Activision Blizzard, tandis que Sony a réduit ses effectifs chez Naughty Dog. Une tendance lourde, qui pourrait bien redéfinir les métiers du jeu vidéo dans les années à venir. Mais à quel prix pour la qualité des productions ?
Derrière les chiffres : des vies et des projets brisés
Les licenciements, ce ne sont pas que des statistiques. Ce sont des vies bouleversées, des carrières interrompues, et parfois, des rêves brisés. À Londres, certains employés de Square Enix travaillaient depuis plus de dix ans sur des franchises comme Life is Strange ou Just Cause. Des jeux qui, bien que moins médiatisés que Final Fantasy, ont marqué des millions de joueurs.
Prenez l’exemple de Mark (le prénom a été changé), un testeur QA qui a rejoint l’entreprise en 2015. Il raconte : "J’ai passé des nuits blanches à traquer des bugs sur Shadow of the Tomb Raider. Aujourd’hui, on me dit que mon poste n’a plus de valeur, que l’IA peut faire mon travail. Mais qui va repérer les problèmes de gameplay qui rendent un jeu fun ? Une machine ne comprend pas l’émotion d’un joueur."
Son cas n’est pas isolé. Dans les bureaux de Square Enix Europe, l’ambiance est électrique. Entre ceux qui préparent déjà leur CV et ceux qui espèrent être épargnés, les discussions vont bon train. Une chose est sûre : cette restructuration laisse des cicatrices. Et si l’entreprise parvient peut-être à économiser 19,6 millions de dollars, elle risque de perdre bien plus : la confiance de ses talents.
Et demain ? Un avenir incertain pour Square Enix et ses employés
Alors, que réserve l’avenir à Square Enix ? Si la direction mise tout sur l’automatisation et la rentabilité, les joueurs, eux, pourraient bien en payer le prix. Déjà, les rumeurs parlent de retards pour certains projets, comme le prochain Final Fantasy VII Rebirth, initialement prévu pour février 2024 mais qui pourrait être repoussé en raison des perturbations internes.
Du côté des employés, les options sont limitées. Certains envisagent de quitter l’industrie, lassés par l’instabilité. D’autres se tournent vers des studios indépendants, où les salaires sont moins élevés, mais où l’on valorise encore le travail humain. Quant à ceux qui restent, ils devront s’adapter à une nouvelle réalité : moins de collègues, plus de pression, et une IA qui grignote peu à peu leurs tâches.
Une chose est certaine : cette restructuration marque un tournant pour Square Enix. Soit l’entreprise parvient à se réinventer sans perdre son âme, soit elle rejoint la longue liste des géants du jeu vidéo qui ont sacrifié leur identité sur l’autel des économies. Dans tous les cas, une question persiste : à quand la prochaine vague de licenciements ?
Les 140 licenciements annoncés à Londres ne sont qu’un début. Derrière les communiqués rassurants de Takashi Kiryu et les promesses d’une entreprise "plus agile", se cache une réalité bien plus sombre : celle d’une industrie du jeu vidéo en pleine mutation, où l’humain cède peu à peu la place aux algorithmes. Les économies réalisées permettront-elles à Square Enix de retrouver sa place parmi les leaders du secteur ? Ou cette restructuration ne fera-t-elle qu’accélérer son déclin ?
Une chose est sûre : les joueurs, eux, seront les premiers à en subir les conséquences. Moins de testeurs humains, c’est potentiellement plus de bugs, moins de finitions, et des expériences de jeu moins abouties. Alors que Final Fantasy XVI a déjà divisé la critique en 2023, et que Forspoken reste un cuisant échec commercial, Square Enix joue gros. Très gros.
Reste une lueur d’espoir : face à l’adversité, les talents du jeu vidéo ont toujours su se relever. Peut-être que cette crise, aussi douloureuse soit-elle, poussera certains à créer des studios plus humains, plus innovants. En attendant, une page se tourne pour Square Enix… et elle n’est pas des plus reluisantes.

