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Strauss Zelnick (Take-Two) : « L’IA ne remplacera pas la créativité humaine, mais elle peut libérer les talents »
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Lors de la conférence financière de novembre, le PDG de Take-Two Interactive, Strauss Zelnick, a réaffirmé que l’intelligence artificielle (IA) ne servirait pas de prétexte pour réduire les effectifs. Au contraire, l’entreprise mise sur ces outils pour libérer les équipes des tâches répétitives et stimuler l’innovation, notamment dans la production de Grand Theft Auto 6. Une position qui tranche avec celle d’autres géants comme Electronic Arts ou Microsoft, plus pessimistes sur l’impact social de l’IA à court terme.
A retenir :
- Pas de licencements : Zelnick affirme que l’IA ne servira pas à réduire les coûts, contrairement aux craintes du secteur.
- Outils d’entreprise : Take-Two utilise déjà l’IA pour des tâches administratives, mais pas dans la création pure (scénario, design).
- GTA 6 comme étendard : Le PDG insiste sur l’irremplaçabilité du « génie humain » pour des franchises comme Grand Theft Auto ou Red Dead Redemption.
- Divergence avec EA et Microsoft : Contrairement à Andrew Wilson (EA) ou Brad Smith (Microsoft), Zelnick rejette l’idée d’une baisse d’emplois à court terme.
- L’IA comme « accélérateur » : Pour lui, ces technologies doivent amplifier la créativité, pas la remplacer – une vision alignée sur l’histoire de Take-Two, bâtie sur des narrations complexes.
« L’IA ne crée pas de génie » : la philosophie de Take-Two face à la révolution technologique
Lors de la conférence financière de Take-Two Interactive en novembre 2023, Strauss Zelnick a marqué les esprits en défendant une approche mesurée de l’intelligence artificielle. Interrogé sur l’intégration de ces outils au sein de l’entreprise, le PDG a catégoriquement exclu leur utilisation comme levier de réduction des effectifs. « Nous ne voyons pas l’IA comme une excuse pour licencier, ni même comme une opportunité de le faire », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Si quelqu’un me demandait de réduire nos coûts de 5 % demain grâce à l’IA, la réponse serait non. »
Cette position s’inscrit dans une stratégie long terme pour Take-Two, dont les studios (Rockstar Games, 2K, Private Division) sont réputés pour des productions narrativement ambitieuses comme Grand Theft Auto V (2013) ou Red Dead Redemption 2 (2018). Zelnick a rappelé que l’IA, telle qu’elle existe aujourd’hui, repose sur des jeux de données rétrospectives et des modèles linguistiques (LLM), incapables de générer une vision prospective – élément clé dans la création de mondes ouverts. « La créativité est notre sang », a-t-il martelé, soulignant que les outils technologiques, aussi avancés soient-ils, restent des supports et non des substituts.
Pour étayer son propos, Zelnick a cité l’exemple des moteurs de jeu : « Nous utilisons des ordinateurs depuis des décennies pour exprimer notre créativité. L’IA n’est qu’une évolution de ces outils. » Une référence directe aux débats internes chez Rockstar Games, où des rumeurs évoquaient l’usage de l’IA pour générer des dialogues secondaires dans GTA 6 – des informations démenties par les équipes. Selon un développeur anonyme interrogé par Bloomberg en 2022, « même pour des lignes de PNJ, l’IA manque de cohérence émotionnelle. Un humain reste indispensable pour capturer l’ironie ou le sarcasme, si chers à l’univers GTA. »
Entre optimisation et craintes sociales : le grand écart des éditeurs de jeux
La prise de position de Take-Two contraste avec celle d’autres acteurs majeurs. Andrew Wilson, PDG d’Electronic Arts, avait déclaré en mai 2023 que l’IA entraînerait des suppressions de postes « inévitables » à court terme, avant de promettre une création nette d’emplois à long terme. De même, Brad Smith, président de Microsoft, avait estimé dans une tribune pour le New York Times que « certaines compétences deviendront obsolètes », tout en vantant les gains de productivité.
Ces divergences reflètent des modèles économiques distincts :
- Take-Two mise sur des blockbusters narratifs (GTA, BioShock, Borderlands), où la créativité humaine est centrale.
- EA, en revanche, produit des jeux sportifs annuels (FIFA, Madden) ou des titres live-service (Apex Legends), où l’automatisation de tâches répétitives (animation, tests) est plus aisée.
- Microsoft, via Activision Blizzard, combine les deux approches, mais son discours reste marqué par une logique d’efficacité industrielle.
Un rapport de Newzoo (2023) révèle que 62 % des studios AAA expérimentent l’IA pour des tâches comme le debugging ou la génération de textures procédurales, mais seulement 18 % l’envisagent pour l’écriture ou le game design. « L’IA excelle dans l’itératif, pas dans l’inventif », résume Julien Merceron, ancien directeur technique chez Ubisoft, dans une interview pour Game Developer. Une limite que Zelnick semble avoir intégrée, lui qui a répété que « l’IA ne remplacera jamais un scénariste comme Dan Houser » (co-auteur de GTA).
GTA 6, le test ultime pour l’IA chez Take-Two ?
Alors que Grand Theft Auto 6 est attendu pour 2025, les spéculations vont bon train sur l’usage de l’IA dans sa production. Des fuites internes (via Kotaku) suggèrent que Rockstar aurait testé des outils pour :
- Générer des variations de paysages (procédural generation) dans les zones rurales de Leonida (l’État fictif inspiré de la Floride).
- Optimiser les trajectoires de PNJ via des algorithmes d’apprentissage, réduisant ainsi le temps de playtesting.
- Créer des brouillons de dialogues pour les missions secondaires, ensuite retravaillés par des scénaristes.
Zelnick a d’ailleurs précisé que l’IA était cantonnée aux « tâches non créatives », comme la gestion des contrats juridiques ou l’analyse de données marketing. « Nos équipes passent moins de temps sur des rapports Excel et plus sur ce qui compte : l’expérience joueur », a-t-il expliqué. Une approche qui rappelle celle de Nintendo, où le président Shuntaro Furukawa avait déclaré en 2022 que « l’IA ne doit pas dénaturer l’ADN d’une licence comme Zelda ».
Pour Michael Pachter, analyste chez Wedbush Securities, cette prudence est stratégique : « Take-Two a bâti son succès sur des univers cohérents et des personnages mémorables. Une erreur d’IA dans GTA 6 – un dialogue mal placé, un bug de physique – pourrait coûter des millions en retours. » Un risque que Zelnick semble avoir anticipé, lui qui a insisté sur la nécessité d’une « IA proprement déployée ».
L’ombre des licencements : un secteur sous tension
Malgré les assurances de Take-Two, le secteur du jeu vidéo traverse une période de restructurations massives. En 2023, plus de 8 000 emplois ont été supprimés chez des éditeurs comme Microsoft (1 900 licencements après le rachat d’Activision), Sony (900 postes chez PlayStation), ou Embracer Group (1 300 suppressions). Dans ce contexte, les déclarations de Zelnick apparaissent comme un signal fort, mais aussi comme une stratégie de communication pour rassurer les talents.
« Les studios craignent que l’IA ne devienne un cheval de Troie pour justifier des coupes claires », explique Marie Dealessandri, syndicaliste chez Game Workers Unite. « Même si Take-Two ne licencie pas aujourd’hui, rien ne garantit que cela durera. » Un scepticisme partagé par certains développeurs de 2K Games, où des rumeurs évoquent une réorganisation des équipes après les performances mitigées de Marvel’s Midnight Suns (2022).
Zelnick a tenté de désamorcer ces craintes en soulignant que l’IA permettrait au contraire de « créer plus d’emplois qualifiés ». « Si nos artistes passent moins de temps à ajuster des ombres dans Photoshop, ils pourront se concentrer sur des concepts innovants », a-t-il argumenté. Une vision optimiste, mais qui suppose une formation continue des équipes – un défi de taille dans un secteur où les compétences évoluent rapidement.
Vers une régulation de l’IA dans le jeu vidéo ?
La question de l’IA dans le jeu vidéo dépasse désormais le cadre technique pour devenir un enjeu politique. En Europe, le Règlement sur l’IA (AI Act), adopté en décembre 2023, classe les systèmes génératifs comme « à haut risque » s’ils influencent l’opinion publique ou la créativité. Une catégorie qui pourrait s’appliquer aux jeux vidéo, selon Julia Reda, ancienne députée européenne spécialiste du numérique.
Aux États-Unis, le syndicat SAG-AFTRA (qui représente aussi les doubleurs de jeux) a obtenu en 2023 des garanties contre le clonage vocal par IA dans les nouveaux contrats. « Un doubleur comme Steven Ogg (voix de Trevor dans GTA V) ne veut pas voir son timbre reproduit sans son consentement », rappelle Duncan Crabtree-Ireland, négociateur en chef du syndicat. Take-Two, qui emploie des centaines de comédiens, pourrait être directement concerné.
Zelnick, lui, reste évasif sur ce sujet. Interrogé sur d’éventuelles lignes rouges éthiques, il a répondu : « Nous respectons les lois et les contrats. Point. » Une réponse qui laisse planer des doutes sur la transparence de l’entreprise, alors que des studios comme Bethesda ou CD Projekt Red ont déjà communiqué sur leurs chartes IA.
La position de Strauss Zelnick sur l’IA reflète une philosophie ancrée dans l’histoire de Take-Two : celle d’un éditeur qui a toujours misé sur la qualité narrative et l’innovation humaine, des Warren Spector (Deus Ex) aux frères Houser (GTA). Pourtant, dans un secteur en pleine mutation, où l’IA promet des gains de productivité mais menace des milliers d’emplois, ses déclarations sonnent aussi comme un paradoxe : comment concilier progrès technologique et préservation des talents sans céder aux sirènes de l’optimisation à outrance ?
Si Take-Two résiste aujourd’hui à la tentation des licencements, la pression des actionnaires – et la concurrence d’éditeurs moins scrupuleux – pourraient un jour remettre cette promesse en question. En attendant, GTA 6 sera le premier test grandeur nature de cette doctrine. Et comme le rappelle un proverbe cher à Zelnick : « Dans le jeu vidéo, la technologie passe, mais les grandes histoires restent. » À condition que les humains continuent de les écrire.

