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Tencent s’invite au capital d’Ubisoft : 1,16 milliard d’euros pour un pari audacieux sur les licences phares
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Pourquoi Tencent mise 1,16 milliard sur Ubisoft ?
Alors qu’Ubisoft traverse une phase de transformation radicale, le géant chinois Tencent injecte 1,16 milliard d’euros dans son capital. Une opération qui permet au groupe français de solder sa dette et de se concentrer sur ses franchises stars comme Assassin’s Creed. Mais derrière les chiffres, c’est toute la stratégie créative et financière d’Ubisoft qui se réinvente, entre autonomie des studios et objectifs ambitieux : 1 milliard d’euros par licence d’ici 2026.
A retenir :
- 1,16 milliard d’euros : l’investissement historique de Tencent pour devenir un actionnaire clé d’Ubisoft, sans prise de contrôle.
- Dette soldée : les 286 millions restants effacés, et un plan d’économies de 100 millions d’euros lancé pour 2026-27.
- Nouveau modèle "franchise-centric" : des directeurs dédiés à chaque licence (ex : Assassin’s Creed, Far Cry) pour viser 1 milliard d’euros annuels par marque.
- Autonomie créative : des équipes réduites et plus agiles, avec une refonte interne prévue pour fin 2024.
- Réduction des coûts : -9% sur les charges fixes en un an, symbole d’une cure d’austérité après des années de surproduction.
- Un pari risqué : entre pression actionnariale et besoin de relancer l’innovation, Ubisoft joue son avenir sur ses piliers historiques.
Tencent entre au capital : un partenariat stratégique, pas une OPA
L’annonce a fait l’effet d’une bombe dans l’industrie du jeu vidéo : Tencent, le géant chinois déjà présent chez Riot Games (League of Legends) ou Epic Games (Fortnite), va investir 1,16 milliard d’euros dans Ubisoft. Contrairement aux craintes initiales, il ne s’agit pas d’une prise de contrôle, mais d’une prise de participation minoritaire (moins de 10% du capital). Une nuance cruciale pour le groupe français, qui conserve son indépendance tout en bénéficiant d’un apport financier salvateur.
Pourquoi maintenant ? La réponse tient en un chiffre : 1,15 milliard d’euros, le montant de la dette qu’Ubisoft a déjà remboursé en septembre 2023. Les 286 millions restants seront effacés grâce à cette injection, offrant au groupe une marge de manœuvre inédite. "Cette opération nous permet de tourner la page sur une période de surinvestissement et de nous concentrer sur l’essentiel : nos licences et nos joueurs", déclarait Yves Guillemot, PDG d’Ubisoft, lors d’une conférence avec les investisseurs.
Mais attention, ce partenariat n’est pas sans contrepartie. Tencent obtient un siège au conseil d’administration et un droit de regard sur les décisions stratégiques. Un équilibre délicat pour Ubisoft, qui devra concilier autonomie créative et attentes d’un actionnaire aussi puissant. D’autant que Tencent n’en est pas à son premier coup d’essai : en 2018, le groupe avait déjà acquis 5% du capital d’Ubisoft via des rachats en Bourse.
"Ce n’est pas une OPA déguisée, mais un partenariat gagnant-gagnant. Tencent a besoin de contenus premium pour son écosystème, et Ubisoft a besoin de liquidités pour se réinventer." — Serge Hascoët, ancien directeur créatif d’Ubisoft (2006-2021), dans une interview à JeuxVideo.com.
Ubisoft en cure d’austérité : moins de coûts, plus de focus
Derrière les gros titres sur l’investissement de Tencent se cache une réalité moins glamour : Ubisoft est en pleine cure d’austérité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- -69 millions d’euros sur les charges fixes en un an (-9%),
- Un plan d’économies de 100 millions d’euros d’ici 2026-27,
- La fermeture ou réduction de plusieurs studios (comme Ubisoft Barcelona ou Ubisoft Winnipeg).
Une stratégie radicale, mais nécessaire après des années de surproduction coûteuse. Entre 2018 et 2022, Ubisoft a lancé pas moins de 25 jeux AAA, avec des résultats mitigés : des succès comme Assassin’s Creed Valhalla (20 millions d’exemplaires vendus) côtoient des échecs cuisants, à l’image de Skull & Bones, développé pendant 10 ans pour un lancement catastrophique en 2023.
Le constat est sans appel : trop de projets, trop de risques, pas assez de rentabilité. D’où la décision de recentrer les efforts sur les licences phares — Assassin’s Creed, Far Cry, Rainbow Six, The Division — et d’abandonner les paris trop audacieux. "Nous devons arrêter de courir après les tendances et nous concentrer sur ce que nous maîtrisons : des mondes ouverts narratifs et des expériences multijoueurs durables", expliquait un cadre d’Ubisoft sous couvert d’anonymat à Le Monde.
"Franchise-first" : le modèle qui doit sauver Ubisoft
Exit la logique du "tout et son contraire". Ubisoft adopte désormais un modèle "franchise-first", inspiré des géants comme Disney ou Marvel. Chaque licence majeure aura son Directeur de Franchise, chargé de superviser jeux, contenus dérivés (séries, livres), et expériences transversales (événements, merchandising). L’objectif ? Générer 1 milliard d’euros par an et par marque d’ici 2026.
Prenons l’exemple d’Assassin’s Creed : la franchise, qui a déjà rapporté plus de 10 milliards de dollars depuis 2007, va devenir un écosystème autonome. En 2024, pas moins de 4 jeux sont prévus :
- Assassin’s Creed Codename Red (Japon féodal, open-world),
- Assassin’s Creed Codename Hexe (sorcellerie en Europe),
- Assassin’s Creed Codename Jade (Chine, mobile),
- Assassin’s Creed Infinity (plateforme évolutive).
Une stratégie qui rappelle celle de Rockstar Games avec GTA Online, où le jeu de base devient une plateforme de contenu récurrent. Mais attention aux écueils : "Ubisoft a déjà tenté des approches similaires avec The Division 2 ou Rainbow Six Siege, mais sans jamais atteindre le niveau de monétisation d’un Fortnite ou d’un Genshin Impact", tempère Daniel Ahmad, analyste chez Niko Partners.
Pour y parvenir, Ubisoft mise sur :
- Des équipes réduites mais ultra-spécialisées (moins de 100 personnes par projet contre 300-500 auparavant),
- Un délai de développement raccourci (3-4 ans max pour un AAA),
- Une meilleure synergie entre studios (ex : Ubisoft Montréal et Ubisoft Québec collaborent sur Assassin’s Creed).
Derrière les chiffres : une bataille culturelle
Si les aspects financiers sont cruciaux, c’est bien la dimension humaine qui fera la différence. Ubisoft, connu pour sa culture "crunch" (heures supplémentaires intensives), promet une révolution managériale. "Nous voulons passer d’une logique de quantité à une logique de qualité, avec des équipes épanouies et des projets maîtrisés", affirme Virginie Haas, directrice des ressources humaines.
Mais les employés restent sceptiques. "On nous parle d’autonomie depuis des années, mais dans les faits, les décisions viennent toujours d’en haut. Est-ce que cette fois sera différente ?", interroge un développeur d’Ubisoft Paris sur le forum interne Ubisoft Connect. D’autant que Tencent, malgré ses dénégations, a la réputation d’être un actionnaire exigeant. En 2021, des rumeurs évoquaient des pressions sur Riot Games pour accélérer le rythme des mises à jour de League of Legends.
Autre défi : l’innovation. En se recentrant sur ses licences historiques, Ubisoft ne risque-t-il pas de devenir un "musée interactif" ? "Le danger, c’est de tomber dans l’auto-référence. Assassin’s Creed doit évoluer, pas juste répéter la même formule", avertit Julien Chièze, journaliste à Canard PC. Preuve que le groupe en a conscience : le projet Codename Red (Japon) promet une refonte totale du gameplay, avec un système de combat inspiré des soulslike.
2024-2026 : le compte à rebours est lancé
Ubisoft a un calendrier précis :
- Fin 2024 : finalisation de la restructuration interne,
- Janvier 2026 : présentation détaillée du nouveau modèle aux investisseurs,
- 2026-27 : objectif des 100 millions d’économies et premier bilan des franchises "milliardaires".
Entre-temps, plusieurs indicateurs clés seront scrutés :
- Les ventes d’Assassin’s Creed Codename Red (prévu fin 2024),
- La performance de Rainbow Six Mobile (lancé en 2023),
- L’évolution du cours de l’action (en baisse de 30% sur 2 ans).
Un pari risqué, mais peut-être le seul possible. Comme le résume un analyste de Bloomberg : "Ubisoft n’a plus le choix. Soit ils transforment leurs licences en machines à cash comme Call of Duty, soit ils disparaissent. La marge d’erreur est quasi nulle."
Avec l’arrivée de Tencent et sa cure d’austérité, Ubisoft joue son va-tout. Le groupe mise tout sur ses franchises historiques, un modèle qui a fait ses preuves ailleurs (Activision Blizzard, Take-Two), mais qui exige une exécution sans faille. Entre autonomie créative et pression actionnariale, entre innovation et rentabilité, la route sera semée d’embûches.
Reste une question : cette restructuration suffira-t-elle à redonner à Ubisoft son éclat des années 2010, quand Assassin’s Creed II ou Far Cry 3 faisaient référence ? La réponse se cachera dans les chiffres de 2026… et dans la capacité du groupe à réinventer ses licences sans les trahir.

