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Tomonobu Itagaki (1967-2024) : Le Samouraï du Jeu Vidéo Disparaît, mais son Sabre Reste Affûté
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Il y a 14 jours

Tomonobu Itagaki (1967-2024) : Le Samouraï du Jeu Vidéo Disparaît, mais son Sabre Reste Affûté

Un génie intraitable s’éteint, mais ses combats restent légendaires.

Tomonobu Itagaki, figure iconoclaste et visionnaire du jeu vidéo, nous a quittés à 58 ans, laissant derrière lui un héritage aussi brillant que clivant. Architecte de Dead or Alive et du reboot culte de Ninja Gaiden, il a marqué l’industrie par son intransigeance, son franc-parler et une philosophie du game design sans compromis. Son parcours, rythmé par des succès critiques, des batailles juridiques et une quête perpétuelle d’excellence, incarne l’âme d’un créateur qui a préféré la légende à la facilité. Aujourd’hui, joueurs et développeurs lui rendent hommage, saluant un "ronin du développement" dont l’influence persiste, des arènes de combat aux donjons les plus impitoyables.

A retenir :

  • Disparition d’un monument : Tomonobu Itagaki s’éteint à 58 ans, laissant un vide dans l’industrie du jeu vidéo japonais.
  • Double révolution : Père de Dead or Alive (1996) et du reboot de Ninja Gaiden (2004), il a redéfini les jeux de combat et les beat them all par son exigence technique et son style narratif sombre.
  • Un départ fracassant : Son conflit juridique avec Tecmo en 2008, suivi de la création de Valhalla Game Studios et Itagaki Games, illustre son refus des compromis.
  • Hommages unanimes : De Team Ninja à Katsuhiro Harada (Tekken), en passant par les joueurs, tous saluent un "samouraï du code" dont l’héritage survit à travers des défis mythiques comme le mode "Master Ninja".
  • Une philosophie intemporelle : Son dernier message, "J’ai suivi mes convictions jusqu’au bout", résume une vie consacrée à l’art du jeu, sans concession.

1996-2024 : La Trajectoire d’un Rebelle qui a Changé les Règles

Tomonobu Itagaki n’était pas un développeur comme les autres. Diplômé en informatique, il débute chez Tecmo en 1992 comme programmeur graphique sur Tecmo Super Bowl, un titre de football américain. Mais c’est quatre ans plus tard, avec Dead or Alive (1996), qu’il bouleverse les codes du jeu de combat. À une époque où Street Fighter et Tekken dominaient le genre, Itagaki impose un système de contre ultra-précis, des graphismes en 3D fluide (pour l’époque) et une direction artistique osée, mêlant esthétique anime et réalisme brut. Le jeu devient culte, au point d’inspirer une série de spin-offs et même des adaptations cinématographiques – dont un film en 2006, accueilli tièdement, mais qui témoigne de l’aura de la franchise.


Pourtant, c’est avec le reboot de Ninja Gaiden en 2004 que Itagaki atteint son apogée. Le jeu, développé par Team Ninja (le studio qu’il a fondé en 1995 sous le nom de Tecmo Creative #3), est un choc : une difficulté impitoyable, des combats ultra-techniques et une narration sombre, loin des clichés des héros invincibles. Les joueurs découvrent un titre qui ne pardonne rien, où chaque ennemi peut anéantir des heures de progression. Ninja Gaiden Black (2005), version améliorée, pousse le concept encore plus loin avec le mode "Master Ninja", un défi si redoutable qu’il est encore cité aujourd’hui comme l’un des plus difficiles de l’histoire du jeu vidéo.


Mais Itagaki n’est pas seulement un génie créatif – c’est aussi un provocateur. Il n’hésite pas à critiquer ouvertement les éditeurs, les tendances du marché ou même ses concurrents. En 2008, son conflit avec Tecmo éclate au grand jour : il attaque son employeur pour non-paiement de bonus liés aux ventes de Dead or Alive 4. Le procès, très médiatisé, se solde par un départ fracassant. Itagaki quitte Tecmo avec fracas, emportant avec lui une partie de l’équipe pour fonder Valhalla Game Studios.

"Devil’s Third" (2015) : Le Projet Maudit d’un Homme en Guerre

Après son départ de Tecmo, Itagaki se lance dans un nouveau défi : Devil’s Third, un jeu d’action hybride mêlant tir à la troisième personne et combat au corps-à-corps. Le projet, annoncé en 2010, est ambitieux : un mélange de Gears of War et de Ninja Gaiden, avec une esthétique ultra-violente et un ton décalé. Mais le développement tourne au cauchemar. Les retards s’accumulent, les rumeurs de désaccords avec l’éditeur THQ (puis Nintendo après la faillite de THQ) se multiplient. Quand le jeu sort enfin en 2015 sur Wii U, les critiques sont dévastatrices : bugs, gameplay déséquilibré, graphismes datés


Pourtant, Devil’s Third a ses défenseurs. Certains y voient un ovni audacieux, un jeu inclassable qui ose défier les conventions. Itagaki, lui, assume pleinement : "Je ne fais pas des jeux pour les critiques, mais pour les joueurs qui veulent une expérience unique." Le titre devient culte malgré lui, symbole d’un créateur qui préfère l’échec assumé à la médiocrité consensuelle.


En 2021, Itagaki relance une nouvelle aventure avec Itagaki Games, un studio indépendant. Les détails sur ses projets restent rares, mais il évoque un retour aux "fondamentaux" : des jeux exigeants, techniquement aboutis, et sans concession. Malheureusement, la mort l’emporte avant qu’il ne puisse concrétiser cette nouvelle vision.

Le Samouraï et le Code : Une Philosophie qui a Marqué une Génération

Itagaki n’était pas seulement un développeur – c’était un philosophe du jeu vidéo. Pour lui, un jeu devait être une "expérience", pas un "produit". Cette conviction transparaît dans chacune de ses créations, où la maîtrise technique prime sur l’accessibilité. Il méprisait les "jeux faciles", les "tutoriels interminables" et les "concessions marketing". "Si un joueur veut gagner, qu’il travaille pour ça", déclarait-il souvent.


Cette intransigeance lui a valu autant d’admirateurs que de détracteurs. Certains le qualifiaient de "tyran", un homme incapable de compromis, obsédé par la perfection. D’autres y voyaient un "visionnaire", un des derniers "auteurs" dans une industrie de plus en plus standardisée. Une chose est sûre : Itagaki a inspiré des générations de développeurs, de Yoshinori Ono (Street Fighter) à Hidetaka Miyazaki (Dark Souls), qui ont repris à leur compte cette exigence impitoyable.


Son approche du game design était presque militaire : chaque mécanisme devait avoir un but précis, chaque difficulté une raison d’être. Dans Ninja Gaiden, les ennemis sont placés de manière stratégique pour forcer le joueur à s’adapter. Dans Dead or Alive, les combos ne sont pas là pour faire joli, mais pour créer une dynamique de combat réaliste. Même ses "échecs", comme Devil’s Third, portaient cette marque de fabrique : une volonté de bousculer, quitte à décevoir.

Derrière l’Écran : L’Homme, le Mythe… et ses Démons

Itagaki cultivait une image de "samouraï moderne" : froid, calculateur, inflexible. Mais ceux qui l’ont connu de près décrivent un homme passionné, capable de nuits blanches pour peaufiner un niveau ou corriger un bug. Il adorait les jeux de mots, les blagues potaches, et avait un faible pour le saké et les discussions interminables sur le game design.


Son rapport avec Team Ninja était complexe. Après son départ, le studio a continué à développer Dead or Alive et Ninja Gaiden, mais beaucoup estiment que ces franchises ont perdu leur âme sans lui. Yosuke Hayashi, qui a pris la relève, a tenté de moderniser les séries, mais les fans nostalgiques regrettent l’ère Itagaki, où chaque jeu était une "déclaration de guerre" aux standards du marché.


Une anecdote résume bien son caractère : lors du développement de Ninja Gaiden 2, un membre de l’équipe lui aurait dit : "Personne ne pourra finir ce jeu, il est trop dur." Itagaki aurait répondu, un sourire en coin : "Alors on va leur apprendre à jouer."

L’Héritage d’Itagaki : Des Jeux qui Résistent au Temps

Aujourd’hui, alors que l’industrie du jeu vidéo est de plus en plus dominée par les open worlds et les live services, l’héritage d’Itagaki semble décalé. Pourtant, ses jeux résistent. Ninja Gaiden Black est toujours cité comme une référence du beat them all. Dead or Alive 5 (2012), bien que développé après son départ, conserve l’ADN du système de combat qu’il a créé. Même Devil’s Third, malgré ses défauts, a trouvé une communauté de passionnés qui en font un jeu culte.


Son influence dépasse le cadre technique. Itagaki a prouvé qu’un jeu pouvait être difficile, exigeant, et pourtant populaire. Il a montré qu’un développeur pouvait refuser les compromis, même au risque de se mettre à dos une partie de l’industrie. Dans un monde où les "triple A" se ressemblent de plus en plus, son approche artisanale et radicale fait figure de manifest.


Et puis, il y a cette phrase, devenue légendaire : "Un jeu, c’est comme un sabre. Soit il est tranchant, soit il ne sert à rien." Itagaki a forgé des lames qui coupent encore. À nous de ne pas les laisser rouiller.

Les écrans s’éteignent, mais les combats continuent. Dans les arènes virtuelles de Dead or Alive, sur les toits ensanglantés de Ninja Gaiden, ou dans les couloirs chaotiques de Devil’s Third, l’esprit d’Itagaki survit. Il était un guerrier, un rêveur, un tyran parfois… mais surtout, un créateur qui a osé dire non quand tout le monde disait oui.


Aujourd’hui, alors que les hommages pleuvent, une question persiste : qui osera reprendre son flambeau ? Qui aura ce culot, cette folie, cette obsession du détail qui faisaient d’Itagaki un géant ? Peut-être est-ce à nous, joueurs, de perpétuer sa mémoire – en relevant ses défis, en exigeant mieux, et en refusant la médiocrité.


La dernière manche n’est pas jouée. Et quelque part, Itagaki sourit en voyant ses disciples s’entraîner encore.

L'Avis de la rédaction
Par Celtic
"Tomonobu Itagaki, c'est le samouraï du game design. Il a tranché les codes du genre avec ses jeux de combat ultra-techniques et ses narrations sombres. Ninja Gaiden Black, c'est son chef-d'œuvre, un défi si redoutable qu'il est encore cité aujourd'hui. Mais même ses échecs, comme Devil's Third, ont leur charme. Itagaki, c'est l'artisan qui refuse les compromis, même au risque de se mettre à dos l'industrie. Un jeu, c'est comme un sabre. Soit il est tranchant, soit il ne sert à rien. Et Itagaki a forgé des lames qui coupent encore."
Article rédigé par SkimAI
Révisé et complété par Celtic

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