Il y a 5 jours
BrainCo et les données cérébrales des pros : quand l'esport chinois alimente (involontairement) l'armée
h2
Des bandeaux EEG aux mains de Pékin : quand les pros du sport et de l'esport deviennent des cobayes malgré eux
A retenir :
- Les bandeaux FocusCalm de BrainCo, utilisés par des stars comme Charles Leclerc (F1) ou des équipes d'esport (Minnesota Røkkr), transmettraient en temps réel des données cérébrales au gouvernement chinois – toutes les 0,5 seconde.
- L'armée chinoise (APL) s'intéresse ouvertement à ces technologies pour créer des "super-soldats", selon des médias d'État et des rapports militaires.
- Dans l'esport, des joueurs pros (ex : Brian "Saintt" Baroska) et des coachs (Robert Yip, ex-Immortals) témoignent d'une amélioration de 12 % du temps de réaction... mais sans contrôle sur l'usage de leurs données.
- Contrairement aux fédérations sportives traditionnelles, les athlètes digitaux – souvent jeunes et sous contrats précaires – n'ont aucun recours juridique face à cette collecte.
- La League of Legends Pro League (LPL) chinoise, déjà critiquée pour ses méthodes, pourrait indirectement alimenter ce système via des partenariats non régulés.
Des champions transformés en "sources de données" : l'enquête qui dérange
Imaginez : après une séance d'entraînement intense, votre bandeau connecté – censé mesurer votre concentration – envoie 500 fois par heure des données sur votre activité cérébrale à un serveur gouvernemental. Science-fiction ? Pas pour les utilisateurs des FocusCalm de BrainCo, une entreprise fondée à Harvard en 2015 mais aujourd'hui largement financée par Pékin. Selon l'enquête de Pablo Torre Finds Out (PTFO), ces dispositifs, présentés comme des outils d'optimisation sportive, fonctionneraient en réalité comme des relais de collecte massive pour le compte des autorités chinoises.
Parmi les "cobayes" involontaires : des noms connus comme Charles Leclerc (Ferrari, F1), Jannik Sinner (tennis), ou encore Mikaela Shiffrin (ski alpin). Mais c'est dans l'univers de l'esport que le phénomène prend une ampleur particulière. Des franchises entières, comme les Minnesota Røkkr (Call of Duty League) ou des structures de League of Legends, ont intégré ces bandeaux à leurs protocoles. Robert Yip, ex-coach des Immortals, confirme : *"On voyait des améliorations flagrantes – moins d'erreurs sous pression, des réactions plus vives. Mais personne ne nous a parlé de transferts de données vers la Chine."*
Le problème ? Ces données, une fois agrégées, pourraient servir à bien autre chose qu'à perfectionner un flick en Counter-Strike. Des documents internes cités par PTFO évoquent un flux continu vers des bases de données contrôlées par l'État, en vertu des lois chinoises sur la sécurité nationale. Une pratique légale en Chine... mais qui pose un cas de conscience planétaire quand on sait que ces mêmes données intéressent au plus haut point l'armée populaire de libération (APL).
"Super-soldats" made in China : l'esport comme terrain d'essai
La connexion entre sport de haut niveau et applications militaires n'est pas nouvelle. Mais avec les interfaces cerveau-machine (BCI), Pékin passe à la vitesse supérieure. Des médias d'État chinois, comme le Global Times, relayent régulièrement les progrès des programmes de "renforcement cognitif" pour soldats. En 2022, un rapport de l'Académie militaire des sciences chinois décrivait même des tests où des recrues contrôlaient des drones par la pensée – avec des résultats *"prometteurs"* après seulement trois mois d'entraînement.
Dans ce contexte, les joueurs pros deviennent des sujets d'étude idéaux. Leur jeune âge (la moyenne d'âge en LPL est de 21 ans), leur exposition au stress extrême (jusqu'à 16h de jeu par jour en période de compétition), et leur recherche permanente de performance en font des cobayes parfaits pour affiner ces technologies. Brian "Saintt" Baroska, joueur vétéran de la scène compétitive, raconte : *"On nous disait que c'était comme un EEG classique, mais en plus précis. Personne n'a mentionné que nos ondes cérébrales pourraient finir dans une base de données militaire."*
Les chiffres avancés par BrainCo sont pourtant éloquents :
- Réduction de 12 % du temps de réaction (mesuré sur des tâches de type aim training)
- Amélioration de 20 % de la concentration prolongée (sur des sessions de 4h+)
- Diminution de 30 % des erreurs sous pression (en situation de clutch)
L'esport, angle mort juridique où tout est permis
Alors que les fédérations sportives traditionnelles (comme le CIO ou la FIFA) commencent à encadrer l'usage des technologies de tracking biométrique, l'esport reste un Far West réglementaire. *"Les contrats des joueurs ne mentionnent jamais la propriété des données cérébrales"*, explique Me Li Wei, avocat spécialisé dans le droit du numérique à Shanghai. *"Et même quand ils le font, les clauses sont si floues qu'elles pourraient couvrir n'importe quel usage – y compris militaire."*
Pire : certaines organisations poussent l'expérimentation plus loin. Gen.G, géants coréen présent sur LoL, Valorant et Overwatch, a lancé en 2021 un programme de neurofeedback avancé en partenariat avec une filiale de BrainCo. Les joueurs, sous couvert d'"optimisation", portaient des casques EEG pendant leurs sessions de scrims (matchs d'entraînement). *"On nous disait que ça nous aiderait à gérer le tilt"*, confie un ancien membre de l'équipe Overwatch sous couvert d'anonymat. *"Mais quand j'ai demandé où étaient stockées les données, on m'a répondu que c'était 'propriété de l'équipe'."*
Cette opacité contraste avec les garde-fous existants dans le sport traditionnel. La World Anti-Doping Agency (WADA) a par exemple interdit en 2020 l'usage de stimulants cognitifs comme le modafinil – mais les dispositifs comme FocusCalm, qui agissent sur le cerveau sans substance chimique, échappent à toute régulation. *"C'est le même problème qu'avec les cryptomonnaies il y a dix ans"*, compare Dr. Elena Martinez, neuroscientifique à l'Université de Barcelone. *"On a une technologie disruptive, des acteurs privés puissants, et un vide juridique qui permet tous les excès."*
Le cas BrainCo : une start-up de Harvard devenue outil d'État
À l'origine, BrainCo était un projet universitaire prometteur. Fondée en 2015 par des chercheurs du Harvard Innovation Lab, l'entreprise se spécialise dans les interfaces neuronales grand public. Son produit phare, le bandeau FocusCalm, séduit rapidement les investisseurs – notamment chinois. En 2018, un fonds lié à la Commission militaire centrale injecte 50 millions de dollars dans la start-up. Dès lors, la bascule s'opère.
Les documents internes révélés par PTFO montrent que dès 2019, BrainCo a commencé à dupliquer ses serveurs : une version "grand public" pour les clients occidentaux, et une version "sécurisée" hébergée en Chine, soumise aux lois locales sur la collecte de données sensibles. *"C'était une condition pour obtenir les financements"*, confie un ancien employé sous couvert d'anonymat. *"On nous a dit que c'était juste pour se conformer aux réglementations locales. Personne ne parlait d'usage militaire."*
Pourtant, les liens avec l'armée chinoise sont difficiles à ignorer. En 2021, BrainCo signe un partenariat avec le Centre de recherche sur les sciences cognitives de l'APL. La même année, des soldats chinois participent à des compétitions internationales d'interfaces cerveau-machine... avec des dispositifs estampillés BrainCo. *"C'est un schéma classique"*, analyse Mark Johnson, expert en cybersécurité à l'Institut australien de stratégie politique. *"La Chine utilise des entreprises privées comme paravents pour contourner les suspicions. BrainCo n'est que la partie visible de l'iceberg."*
Et maintenant ? Trois scénarios pour l'avenir
1. Le statu quo (le plus probable) : Sans pression internationale forte, BrainCo et ses concurrents (comme NeuroSky ou Emotiv) continueront à opérer dans cette zone grise. Les joueurs pros, faute d'alternatives, accepteront de partager leurs données en échange de gains de performance. *"Tant qu'on gagne, peu importe qui regarde nos ondes cérébrales"*, résume un joueur de LPL.
2. La régulation (peu probable à court terme) : Une coalition d'acteurs (fédérations esportives, ligues comme la CDL ou la LPL, gouvernements occidentaux) pourrait imposer des standards éthiques. *"Il faudrait au minimum un opt-in explicite pour tout transfert de données hors de l'UE ou des États-Unis"*, propose Senna Nem, commissaire à la protection des données aux Pays-Bas.
3. L'escalade (le scénario noir) : Si les rumeurs sur les "super-soldats" se concrétisent, on pourrait assister à une course aux armements neuronales. Les États-Unis (via DARPA) et la Russie (programme NeuroNet) ont déjà des projets similaires. *"L'esport serait alors le premier théâtre d'une guerre invisible"*, avertit Dr. Sophie Zhang, spécialiste en éthique des technologies à Stanford. *"Avec des joueurs pros comme cobayes, et des armées comme bénéficiaires finaux."*
En 2024, un joueur de League of Legends en LPL et un soldat de l'APL en manœuvres pourraient bien avoir un point commun : leurs données cérébrales, collectées via les mêmes dispositifs, analysées par les mêmes algorithmes. Ce qui commence comme un outil d'optimisation sportive se transforme en rouage d'une machine bien plus vaste, où les frontières entre performance, surveillance et militarisation s'estompent.
Pour les athlètes digitaux, souvent jeunes et sous pression, le choix est cruel : refuser ces technologies, c'est risquer de se faire distancer par la compétition. Les accepter, c'est peut-être contribuer, sans le savoir, à façonner l'armée de demain. *"On nous demande de signer des contrats de 50 pages en 10 minutes avant un tournoi"*, témoigne un joueur européen sous contrat en LPL. *"Vous pensez vraiment qu'on lit les petites lignes sur les 'données biométriques' ?"*
La question n'est plus de savoir si ces données sont exploitées à des fins militaires, mais quand cette pratique deviendra systématique – et ce qu'il en coûtera aux générations futures de compétiteurs. Dans cette course, les vrais perdants pourraient bien être ceux qui, aujourd'hui, croient encore jouer pour le simple amour du jeu.