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Metroidvania : Quand les Contraintes Techniques Donnent Naissance à un Genre Légendaire
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Il y a 21 heures

Metroidvania : Quand les Contraintes Techniques Donnent Naissance à un Genre Légendaire

Un voyage dans le temps pour redécouvrir les racines d’un genre culte

Imaginez un monde où chaque octet compte, où la mémoire se mesure en kilo-octets, et où les développeurs transforment des limitations en opportunités. The History of Metroidvania: Decade One (1980-1990), signé Jeremy Parish et publié par Dark Horse Books, nous plonge dans cette époque charnière où des jeux comme Metroid et Castlevania ont, sans le savoir, posé les bases d’un genre aujourd’hui incontournable. Mais l’histoire ne s’arrête pas là : l’ouvrage exhume des pépites méconnues, des influences insoupçonnées et des connexions entre des titres en apparence sans lien. Une archéologie ludique qui révèle comment l’innovation naît souvent là où on ne l’attend pas.

A retenir :

  • Une plongée dans les années 80-90, période où des contraintes techniques (mémoire limitée, absence de sauvegarde) ont forcé les développeurs à innover, donnant naissance à des mécaniques devenues emblématiques.
  • Metroid (1986) et Castlevania (1986) ne sont que la partie émergée de l’iceberg : des jeux comme Brain Breaker (1985) ou Adventure (1980) avaient déjà osé l’exploration non linéaire, bien avant que le terme "metroidvania" n’existe.
  • L’héritage de ces titres dépasse largement le genre : des jeux modernes comme Hollow Knight ou Elden Ring leur doivent des mécaniques clés, comme le backtracking ou les compétences progressives.
  • Un travail de recherche méticuleux : 20 ans d’enquêtes pour 232 pages de révélations, d’analyses techniques et de liens inattendus entre des jeux que tout semble opposer.
  • Une réflexion sur la créativité sous contrainte : et si les meilleures idées naissaient justement là où les ressources manquent ?

1986 : L’Année Où Tout a (Presque) Commencé

Quand on évoque les metroidvania, deux noms reviennent systématiquement : Metroid et Castlevania, tous deux sortis en 1986 sur NES. Pourtant, comme le démontre Jeremy Parish dans son ouvrage, ces jeux ne sont pas apparus par génération spontanée. Ils sont le fruit d’une alchimie complexe, mêlant contraintes matérielles, expérimentations audacieuses et même… des échecs créatifs.

Prenez Metroid, développé par Nintendo R&D1 sous la direction de Gunpei Yokoi (le père de la Game Boy). Le jeu devait initialement être une adaptation linéaire de Alien, mais les limitations de la cartouche NES (à peine 64 Ko de mémoire !) ont forcé l’équipe à repenser entièrement sa structure. Résultat ? Un monde segmenté en "écrans" interconnectés, une carte à découvrir progressivement, et une sensation de solitude inédite pour l’époque. "Nous n’avions pas assez de mémoire pour un jeu linéaire avec des cinématiques. Alors nous avons fait en sorte que l’exploration elle-même raconte l’histoire"*, confiait plus tard Yoshio Sakamoto, l’un des designers du jeu.

De son côté, Castlevania (développé par Konami) introduisait une progression par "portes verrouillées", où le joueur devait trouver des objets clés pour avancer. Une mécanique qui, combinée à l’absence de système de sauvegarde, créait une tension rare. Les joueurs devaient mémoriser les niveaux, anticiper les pièges, et optimiser leurs ressources – des principes qui deviendront la marque de fabrique du genre.

Mais voici le paradoxe souligné par Parish : ces "défauts" techniques se sont transformés en atouts narratifs et ludiques. La mémoire limitée a imposé des niveaux compacts mais denses, où chaque pixel avait son importance. L’absence de sauvegarde a encouragé une progression méthodique, préfigurant le "gated progression" (accès progressif à de nouvelles zones) des metroidvania modernes.


Et si ces jeux sont aujourd’hui considérés comme des chefs-d’œuvre, c’est aussi parce qu’ils ont osé briser les codes de l’époque. À une époque où les jeux d’action étaient majoritairement linéaires (pensez à Super Mario Bros. ou Mega Man), Metroid et Castlevania offraient une liberté inédite. "Nous voulions que le joueur se sente perdu, comme un vrai explorateur"*, expliquait Hitoshi Akamatsu, programmeur sur Castlevania.

Les Oubliés de l’Histoire : Quand l’Innovation Venait d’Ailleurs

Si Metroid et Castlevania ont marqué l’histoire, ils ne sont pas les seuls à avoir expérimenté avec l’exploration non linéaire. The History of Metroidvania met en lumière des titres méconnus, voire tombés dans l’oubli, qui ont pourtant joué un rôle clé dans la genèse du genre.

Prenez Brain Breaker (1985, MSX), un jeu développé par Enix (les créateurs de Dragon Quest). Ici, le joueur incarnait un robot devant explorer un labyrinthe géant, avec la possibilité de revenir en arrière pour accéder à de nouvelles zones une fois des objets obtenus. Une mécanique de backtracking avant l’heure, bien avant que le terme ne soit popularisé. Pourtant, le jeu est resté confidentiel, faute de distribution massive en Occident.

Autre exemple frappant : Adventure (1980, Atari 2600), souvent considéré comme le premier jeu d’aventure graphique. Avec ses objets à collecter, ses énigmes environnementales et son monde ouvert (pour l’époque), il posait déjà les bases de ce qui deviendra le metroidvania. "Adventure a prouvé qu’un jeu pouvait être plus qu’une suite de défis linéaires. Il a ouvert la voie à une nouvelle façon de concevoir les niveaux"*, écrit Parish.

Mais l’ouvrage va plus loin en révélant des influences insoupçonnées, comme celle des jeux d’arcade. Des titres comme Dungeon Master (1987) ou The Legend of Zelda (1986) – souvent associés au RPG – ont aussi contribué à façonner le genre. Leur système de progression par objets et leur monde persistant ont inspiré des mécaniques reprises plus tard dans les metroidvania.


Ce qui frappe dans ces révélations, c’est à quel point le genre s’est construit par essais et erreurs, sans véritable "plan directeur". Les développeurs de l’époque bricolaient, testaient, et parfois échouaient – mais ces échecs mêmes ont permis des avancées majeures. Comme le note Parish : "Les metroidvania modernes doivent leur existence à une série de hasards, de contraintes et de coups de génie improvisés."*

L’Héritage Invisible : Comment les Metroidvania Ont Conquis le Jeu Moderne

Aujourd’hui, le terme metroidvania est sur toutes les lèvres, mais son influence dépasse largement les jeux qui en portent l’étiquette. The History of Metroidvania montre comment des mécaniques nées dans les années 80-90 ont infiltré des genres aussi variés que les souls-like, les rogue-like ou même les jeux indie contemporains.

Prenez Hollow Knight (2017), souvent cité comme l’un des meilleurs metroidvania modernes. Son système de cartographie manuelle, de compétences à débloquer et de monde interconnecté est un hommage direct à Metroid et Castlevania: Symphony of the Night (1997). Mais le jeu va plus loin en intégrant des éléments de narratif environnemental, une mécanique popularisée par des titres comme Dark Souls – qui, lui-même, doit beaucoup aux metroidvania des années 90.

Même un jeu comme Elden Ring (2022), souvent présenté comme un open-world, emprunte des éléments clés au genre. Sa structure en zones interconnectées, où certaines areas ne sont accessibles qu’avec des montures ou des objets spécifiques, rappelle étrangement Super Metroid (1994). "Les joueurs d’Elden Ring qui se plaignent de devoir 'faire des allers-retours' ne réalisent pas qu’ils reproduisent exactement ce qui faisait le sel des metroidvania dans les années 90"*, ironise Parish.

L’ouvrage souligne aussi l’impact des metroidvania sur le game design indépendant. Des jeux comme Axiom Verge (2015), Ori and the Blind Forest (2015) ou Blasphemous (2019) ont prouvé que le genre pouvait se réinventer, tout en restant fidèle à ses racines. Leur succès a même poussé des studios AAA à s’y intéresser, comme avec Prince of Persia: The Lost Crown (2024), qui mélange habilement metroidvania et roguelike.


Mais peut-être l’apport le plus surprenant de ces jeux rétro est-il leur philosophie de design. À une époque où les jeux modernes misent souvent sur la surabondance de contenu (quêtes secondaires à foison, mondes ouverts surdimensionnés), les metroidvania des années 80-90 rappellent une vérité simple : moins peut signifier plus. Leurs niveaux, bien que petits, étaient densément conçus, chaque salle ayant une raison d’être. Une leçon que beaucoup de développeurs contemporains semblent avoir oubliée.

Derrière l’Écran : Les Coulisses d’une Révolution Ludique

Ce qui rend The History of Metroidvania si captivant, c’est qu’il ne se contente pas d’analyser les jeux : il raconte les histoires de ceux qui les ont créés. Et ces récits sont souvent plus surprenants que la fiction.

Saviez-vous que Castlevania: Symphony of the Night (1997), souvent considéré comme le metroidvania ultime, a failli ne jamais voir le jour ? À l’origine, Konami voulait un jeu linéaire dans la veine des premiers Castlevania. Mais l’équipe, menée par Koji Igarashi (alias "IGA"), a secrètement travaillé sur un prototype non linéaire, inspirée par Super Metroid. Quand les supérieurs ont découvert le projet, ils ont d’abord tenté de l’annuler… avant de réaliser son potentiel. Le reste est histoire.

Autre anecdote savoureuse : le morphing ball de Metroid, cette capacité à se transformer en boule pour accéder à des passages étroits, était à l’origine une astuce technique. Les développeurs avaient besoin d’un moyen pour que Samus puisse passer sous des portes basses sans que le jeu doive charger un nouveau niveau. La solution ? Lui donner une forme compacte. Ce qui devait être un simple workaround est devenu l’une des mécaniques les plus iconiques du jeu.

Parish révèle aussi comment les rivaux devenaient parfois complices. Par exemple, les équipes de Nintendo et Konami, bien que concurrentes, échangeaient des idées lors de soirées informelles dans les bars de Tokyo. "On se retrouvait après le travail, on parlait de nos problèmes techniques, et parfois une solution venue d’un autre studio nous sauvait la mise"*, se souvient un ancien employé de Konami.


Ces récits humains rappellent que derrière les pixels et les lignes de code, il y avait des passionnés, des bricoleurs de génie, et parfois… de la pure chance. Comme le résume Parish : "Les metroidvania ne sont pas nés d’une théorie du game design, mais d’une série de hasards heureux, de nuits blanches et de défis relevés contre toute attente."*

Pourquoi Ce Livre est une Lecture Indispensable (Même pour les Non-Nostalgiques)

On pourrait croire que The History of Metroidvania ne s’adresse qu’aux fans de rétrogaming. Détrompez-vous. Que vous soyez développeur, joueur occasionnel ou simplement curieux de comprendre comment naissent les idées, cet ouvrage a quelque chose à vous apprendre.

Pour les créateurs de jeux, c’est une mine d’or : Parish y dissèque des mécaniques intemporelles (comme le gated progression ou le backtracking) et montre comment les adapter à des contextes modernes. Il rappelle aussi une leçon cruciale : les contraintes peuvent être des alliées. À l’ère des budgets pharaoniques et des moteurs de jeu ultra-puissants, se souvenir que Metroid a été créé avec 64 Ko de mémoire a quelque chose de rafraîchissant.

Pour les joueurs, c’est une occasion de redécouvrir des classiques sous un nouveau jour. Saviez-vous que la carte de Brinstar dans Super Metroid a été conçue pour que le joueur s’y perde volontairement ? Ou que le château de Castlevania a été inspiré par des plans réels de forteresses européennes ? Ces détails changent radicalement la façon dont on aborde ces jeux.

Enfin, pour les historiens du jeu vidéo, l’ouvrage comble un vide. Alors que la plupart des livres se concentrent sur les blockbusters ou les franches à succès, Parish donne la parole aux jeux oubliés, aux prototypes avortés et aux expérimentations ratées – car c’est souvent là que se joue l’innovation.


Le seul reproche qu’on pourrait faire à ce livre ? Il donne furieusement envie de replonger dans ces vieux titres… et de maudire les prix exorbitants des cartouches NES sur eBay.

The History of Metroidvania: Decade One (1980-1990) n’est pas qu’un livre sur des jeux rétro. C’est une leçon de créativité, une plongée dans l’ADN du game design, et un rappel que les meilleures idées naissent souvent là où on ne les attend pas. Dans un monde où les jeux vidéo sont de plus en plus standardisés, cet ouvrage nous rappelle une époque où chaque pixel comptait, où chaque octet était optimisé, et où les développeurs transformaient des faiblesses en forces.

Alors, prêt à redécouvrir Metroid ou Castlevania avec un regard neuf ? Ou peut-être à explorer ces pépites méconnues qui ont, à leur manière, changé l’histoire du jeu vidéo ? Une chose est sûre : après cette lecture, vous ne regarderez plus un backtracking ou une carte interconnectée de la même façon.

Et qui sait ? Peut-être que le prochain grand metroidvania naîtra lui aussi… d’une contrainte imprévue.

L'Avis de la rédaction
Par Celtic
"Les metroidvania, c'est comme si on avait pris un RPG, un FPS et un jeu de plateforme, et qu'on les avait mélangés dans un shaker. Résultat ? Un genre qui a révolutionné le jeu vidéo. Et si on se penche sur l'année 1986, on découvre que tout a commencé par des contraintes techniques. 'Metroid' et 'Castlevania' ont dû s'adapter, et c'est ça qui a fait leur force. Aujourd'hui, ces jeux sont des classiques, mais ils ont aussi influencé des genres entiers. C'est un peu comme si on avait pris un cocktail de jeux vidéo et qu'on avait créé une nouvelle boisson. Et c'est ça qui fait la beauté de ces jeux : ils ont osé briser les codes de l'époque. Alors, si vous êtes fan de RPG, de FPS ou même de jeux de plateforme, foncez lire 'The History of Metroidvania'. Vous ne le regretterez pas."

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Article rédigé par SkimAI
Révisé et complété par Celtic