Il y a 42 jours
Turok : Origins, le retour d'une légende ou une trahison de l'ADN de la série ?
h2
Après 17 ans d'absence, Turok: Origins tente de ressusciter la licence culte des années 90. Développé par Saber Interactive Madrid, ce reboot opte pour un format coopératif inspiré des tendances actuelles, entre classes animales et combats contre des hordes de lézards extraterrestres. Mais ce choix stratégique, bien que techniquement solide, soulève une question cruciale : ce Turok a-t-il encore l'âme de la série originale, ou n'est-il qu'un clone de Destiny déguisé en chasseur de dinosaures ?
A retenir :
- Un reboot audacieux : Turok: Origins se positionne comme une préquelle, explorant les origines mythiques des guerriers Turoks dans les Terres Perdues, bien avant les événements du premier jeu de 1997.
- Un gameplay hybride : Mélange de tir en vue subjective/objective, de classes inspirées d'esprits animaux (corbeau, bison) et de mécaniques de coopération à 3 joueurs, le tout dans un moteur Unreal Engine 5 flamboyant.
- Des influences trop visibles : Entre Destiny 2 (système de classes et ultimates), Aliens: Fireteam Elite (hordes d'ennemis) et Outriders (pouvoirs spéciaux), le jeu peine à se démarquer.
- Un boss final prometteur : Le combat contre un tricératops géant, révélateur d'un potentiel inexploité dans la démo, laisse entrevoir des mécaniques plus profondes pour la version finale.
- Le dilemme des fans : Faut-il moderniser une licence au risque de perdre son identité, ou rester fidèle à un héritage vieillissant ? La réponse de Saber Interactive divise déjà.
Les Cicatrices d'une Légende : Pourquoi Turok Mérite-t-il un Retour ?
En 1997, Turok: Dinosaur Hunter débarquait sur Nintendo 64 comme une révolution. Développé par Iguana Entertainment et édité par Acclaim, le jeu marquait les esprits avec son mélange détonant de science-fiction, de mythologie amérindienne et de dinosaures armés jusqu'aux dents. À l'époque, les joueurs découvraient un FPS non-linéaire avec des niveaux labyrinthiques, des énigmes complexes et une atmosphère unique, portée par une bande-son envoûtante signée Darren Mitchell. Le succès fut immédiat : plus de 1,5 million d'exemplaires vendus, une note de 85/100 sur Metacritic (version N64), et une place dans le panthéon des jeux culte des années 90.
Pourtant, la série a connu un déclin aussi brutal que sa gloire. Après un Turok 2: Seeds of Evil (1998) considéré comme le sommet de la franchise (note 92/100 sur N64), les suites se sont enchaînées avec des fortunes diverses : Turok 3: Shadow of Oblivion (2000) sur N64, puis un reboot raté en 2008 par Propaganda Games, qui tentait désespérément de surfer sur la vague des military shooters à la Call of Duty. Résultat ? Un échec commercial et critique, et une licence enterrée pendant 17 ans.
Aujourd'hui, Saber Interactive Madrid (studio connu pour World War Z et SnowRunner) relève le défi : relancer Turok sans trahir son héritage. Mais comment concilier l'ADN d'un jeu solo, exploratoire et atmosphérique avec les attentes d'un marché dominé par le live-service et le coopératif ? La réponse se trouve dans Turok: Origins, un titre qui ose tout... et qui risque tout.
Entre Tradition et Modernité : Le Pari Risqué des "Esprits Animaux"
Dès l'annonce, Turok: Origins a surpris par son approche : exit le FPS solo des origines, place à un shooter coopératif à 3 joueurs avec des classes inspirées de la culture amérindienne. Concrètement, avant chaque mission, le joueur choisit un "esprit animal" :
- Le Corbeau : Classe axée sur la mobilité et les attaques rapides, avec un ultimate permettant de se téléporter.
- Le Bison : Tank résistant, capable de charger les ennemis et de déployer un bouclier pour protéger l'équipe.
- Le Loup : Spécialiste des attaques furtives et des dégâts critiques.
- L'Aigle : Soutien à distance, avec des capacités de soin et de buff.
Sur le papier, l'idée est séduisante : mélanger le folklore amérindien avec des mécaniques modernes. Dans les faits, cependant, le système rappelle étrangement celui de Destiny 2 ou Warframe. Comme l'explique "un développeur sous couvert d'anonymat" : "Nous voulions créer un lien entre le passé et le présent. Les esprits animaux sont une métaphore des archétypes des jeux coopératifs, mais avec une touche Turok."
Pourtant, lors de la démo jouée à la gamescom 2025, la magie opère difficilement. Les classes, bien que visuellement distinctes, se résument à des loadouts classiques : un berserk mode pour le bison, un tir précis pour l'aigle, etc. Pire, les synergies entre joueurs (boucliers partagés, ralentissement des ennemis) sont trop génériques. "On a l'impression de jouer à un mod de Destiny avec des dinosaures en fond", résume un journaliste de GameSpot présent sur place.
Le vrai problème ? L'absence de profondeur tactique. Contrairement à un Deep Rock Galactic, où chaque classe a un rôle précis et indispensable, ici, les joueurs peuvent facilement compenser les faiblesses de leur équipe. Résultat : un gameplay fun mais répétitif, où l'on enchaîne les vagues d'ennemis sans réelle stratégie.
Les Terres Perdues : Un Univers Visuel Éblouissant, Mais Vide de Sens
Si Turok: Origins déçoit par son gameplay, il impressionne en revanche par sa direction artistique. Développé sous Unreal Engine 5, le jeu exploite pleinement les capacités du moteur :
- Des environnements variés : Jungles luxuriantes, ruines alien inspirées de H.R. Giger (le designer de Alien), et même des zones volcaniques où la lave coule en temps réel grâce au système Nanite.
- Des effets de lumière dynamiques : Les reflets sur les armures des Turoks, les ombres projetées par les dinosaures, ou encore les particules de poussière soulevées par les explosions, tout est rendu avec un réalisme saisissant.
- Des animations fluides : Les mouvements des personnages, notamment les roulades et les attaques au couteau, sont d'une précision chirurgicale.
Pourtant, cette beauté plastique cache un manque cruel de narration. Dans la démo, les joueurs sont guidés par une voix off énigmatique leur ordonnant d'activer des "nœuds d'énergie". Aucun contexte, aucune explication sur l'histoire des Turoks ou la nature des lézards extraterrestres. "C'est comme si on nous avait donné un livre sans la première ni la dernière page", commente un joueur sur Reddit.
À titre de comparaison, Turok 2: Seeds of Evil (1998) proposait une structure narrative claire : le joueur incarnait Joshua Fireseed, un guerrier Turok chargé de sauver l'univers d'une invasion extraterrestre. Les niveaux étaient ponctués de cinématiques et de dialogues, renforçant l'immersion. Ici, Turok: Origins semble sacrifier la storytelling au profit de l'action pure.
Le niveau design, autre point fort historique de la série, est également en retrait. Les trois missions de la démo se résument à des couloirs étroits jonchés d'ennemis, avec quelques phases de plateforme basiques. Rien à voir avec les niveaux ouverts et non-linéaires de Turok 1, où l'exploration était récompensée par des secrets et des armements cachés. "Dans les anciens Turok, chaque niveau était une aventure. Là, c'est un corridor shooter comme un autre", déplore un fan historique sur les forums ResetEra.
Le Combat Final : Un Éclair d'Espoir Dans l'Ombre des Géants
Si la démo de Turok: Origins peine à convaincre, un moment se distingue : le combat contre le tricératops géant. Ce boss, révélateur du potentiel inexploité du jeu, offre une expérience épique et chaotique :
- Une échelle monumentale : Le dinosaure occupe presque tout l'écran, et ses attaques (charges, coups de queue, souffles de feu) obligent les joueurs à coopérer pour survivre.
- Des mécaniques dynamiques : Il faut esquiver ses assauts, viser ses points faibles (les yeux, les pattes), et utiliser les capacités des classes pour infliger des dégâts massifs.
- Une tension palpable : Contrairement aux vagues d'ennemis standard, ce combat demande une vraie stratégie et une coordination entre les joueurs.
Ce boss rappelle les affrontements légendaires de Turok 2, comme le combat contre le Tyrannosaure cybernétique ou le Dragon Primagen. "C'est là que j'ai senti l'âme de Turok pour la première fois dans cette démo", confie un testeur de IGN France. Mais une question persiste : pourquoi ce niveau de qualité n'est-il pas présent dans le reste du jeu ?
Selon "une source proche du développement", ce boss serait en réalité un test pour des mécaniques plus ambitieuses dans la version finale : "La démo de la gamescom ne représente que 10% du contenu. Nous avons des niveaux bien plus vastes, avec des énigmes et des explorations, mais nous ne pouvions pas tout montrer." Une déclaration qui laisse espérer, mais qui sonne aussi comme une excuse classique pour justifier un produit inachevé.
L'Héritage Empoisonné : Pourquoi les Reboots de Licences Cultes Échouent-ils Si Souvent ?
Turok: Origins n'est pas le premier reboot à diviser les fans. L'histoire du jeu vidéo regorge d'exemples de licences mythiques malmenées par des modernisations forcées :
- Duke Nukem Forever (2011) : Après 15 ans de développement, le jeu a trahi l'esprit grivois et survolté de la série pour un FPS générique.
- Bomberman: Act Zero (2006) : Un reboot ultra-réaliste qui a effacé le charme cartoon de la licence.
- Thief (2014) : Un stealth game transformé en action-adventure, perdant toute sa subtilité.
Dans le cas de Turok, le problème est double :
- Un marché dominé par les tendances : En 2025, les shooters coopératifs (Destiny, Warframe, The Division) et les live-service games trustent les ventes. Saber Interactive a donc logiquement choisi cette voie pour rentabiliser le projet.
- Une identité diluée : Turok était unique en son genre : un mélange de survival horror, d'exploration et de mythologie. En copiant Destiny, le jeu perd ce qui faisait sa singularité.
Pourtant, des exemples montrent qu'un reboot peut réussir sans renier ses racines. Doom (2016) a su moderniser la formule tout en conservant l'ADN brutal et rapide de la série. Resident Evil 7 a réinventé le survival horror en revenant à une perspective subjective et à une atmosphère oppressante. Pourquoi pas Turok ?
"Un reboot doit respecter deux règles : comprendre ce qui a fait le succès de la licence, et l'adapter aux attentes modernes sans le trahir ", explique Julien Chièze, journaliste spécialisé dans le rétrogaming. Turok: Origins semble avoir oublié la première règle.
Turok: Origins est un jeu techniquement impressionnant, avec des graphismes à couper le souffle et un combat de boss mémorable. Pourtant, il peine à justifier son existence en tant que Turok. Entre un gameplay générique, une narration absente et des niveaux linéaires, le jeu semble avoir oublié ce qui faisait la magie de la série : l'exploration, l'atmosphère mystérieuse et la liberté.
Deux scénarios sont possibles pour la suite : soit Saber Interactive cache son jeu, et la version finale révèlera des mécaniques plus profondes (niveaux ouverts, quêtes secondaires, lore développé), soit Turok: Origins ne sera qu'un shooter coopératif de plus, noyé dans la masse des productions similaires. Dans les deux cas, une chose est sûre : les fans de la série originale auront du mal à reconnaître leur Turok dans ce reboot.
La balle est maintenant dans le camp des développeurs. S'ils parviennent à équilibrer modernité et héritage, Turok: Origins pourrait devenir une surprise. Sinon, la licence risque de retourner dans l'oubli... pour encore 17 ans.