Il y a 5 heures
**After Hours** : Le film que Tim Burton n’a jamais tourné… et que Scorsese a transformé en chef-d’œuvre méconnu (disponible en streaming)
h2
Un film qui aurait pu être burtonien, mais qui est devenu un Scorsese atypique – et génial.
En 1985, After Hours aurait pu marquer l’histoire du cinéma sous la signature de Tim Burton, alors en pleine ascension. À la place, c’est Martin Scorsese qui s’en est emparé, en faisant une comédie noire déjantée, entre cauchemar urbain et absurde kafkaïen. Un échec commercial à sa sortie, mais un film culte aujourd’hui, enfin accessible en streaming. Pourquoi ce projet a-t-il basculé entre les mains de Scorsese ? Et comment ce dernier en a-t-il fait une œuvre aussi unique ?
A retenir :
- After Hours (1985) : le film que Tim Burton a failli réaliser… avant que Martin Scorsese n’en fasse une comédie noire culte, entre Kafka et New York des années 1980.
- Un scénario absurde et angoissant, tourné en 28 jours avec un budget serré (3,5 millions de dollars), qui divisa la critique à sa sortie… avant de devenir un incontournable du cinéma underground.
- Disponible en streaming aujourd’hui, ce film méconnu offre une plongée dans un New York cauchemardesque, entre satire sociale et théâtre de l’absurde – une expérience à ne pas manquer.
1985 : Quand Tim Burton laisse échapper un projet qui lui collait à la peau
Imaginez un instant Tim Burton, fraîchement auréolé du succès de Pee-wee’s Big Adventure (1985), s’emparant d’un scénario aussi tordu qu’After Hours. Le film, écrit par le jeune Joseph Minion, mélangeait absurde pur, angoisse urbaine et une touche de grotesque qui semblait taillée sur mesure pour l’univers du réalisateur. Les producteurs avaient d’ailleurs songé à lui en premier. Pourtant, pour des raisons jamais clairement élucidées – peut-être un emploi du temps déjà chargé, ou une vision artistique trop éloignée du ton final –, Burton passa son tour.
C’est ainsi que Martin Scorsese, alors en pleine période de transition entre Raging Bull (1980) et The Color of Money (1986), se retrouva aux commandes. Un choix surprenant : le cinéaste new-yorkais, connu pour ses drames violents et ses portraits de masculinités toxiques, n’avait rien d’évident pour ce projet décalé, presque expérimental. Pourtant, c’est précisément cette incongruité qui allait donner naissance à l’un de ses films les plus personnels – et les plus sous-estimés.
"Un Kafka new-yorkais" : Scorsese réinvente le cauchemar urbain
Avec After Hours, Scorsese ne signe pas un simple détour : il plonge tête première dans un New York halluciné, où chaque rue, chaque bar, chaque rencontre devient une étape d’un labyrinthe absurde. Le film suit Paul Hackett (interprété par Griffin Dunne, acteur alors méconnu), un modeste employé de bureau dont la nuit va virer au cauchemar après une rencontre malencontreuse avec Marcy (Rosanna Arquette). Vol, quête désespérée de quelques dollars pour rentrer chez lui, rencontres de plus en plus surréalistes… Le scénario, d’une logique implacable dans son illogisme, rappelle les œuvres de Franz Kafka, transposées dans le Soho des années 1980.
Loins des gangsters et des anti-héros charismatiques qui peuplent habituellement son cinéma, Scorsese y explore une violence sourde, presque bureaucratique. Le film, tourné en 28 jours avec un budget modeste (3,5 millions de dollars), respire l’urgence et l’inventivité. La photographie, signée Michael Ballhaus, alterne entre néons agressifs et ombres menaçantes, renforçant cette impression d’un monde à la fois réaliste et cauchemardesque. Quant à la distribution, elle est à l’image du film : éclectique et imprévisible, avec des seconds rôles joués par Catherine O’Hara, Linda Fiorentino ou encore Cheech Marin.
À sa sortie, la critique est divisée. Certains y voient un chef-d’œuvre d’humour noir ; d’autres, un film trop bizarre, trop loin des attentes liées au nom de Scorsese. Le public, lui, boude : 10,6 millions de dollars de recettes aux États-Unis, à peine assez pour couvrir les coûts. Pourtant, avec le temps, After Hours va devenir un film culte, célébré pour son audace et son refus des conventions.
Le Scorsese le plus "underground" : un film-testament des années 1980
Aujourd’hui, After Hours affiche un score de 88 % sur Rotten Tomatoes, preuve d’une réévaluation critique majeure. Scorsese lui-même le considère comme l’un de ses films les plus libres, une "expérience pure", sans les contraintes des grosses productions. Et pour cause : à l’époque, Hollywood était en pleine ère Reagan, dominée par les blockbusters et les happy ends. After Hours, avec son héros pathétique, son absence totale de rédemption et son final ouvert, était tout sauf un produit commercial.
Pourtant, c’est précisément cette marginalité qui en fait un film si fascinant aujourd’hui. Entre satire sociale (la solitude dans la grande ville, l’absurdité des interactions humaines) et expérimentation formelle (des plans-séquences audacieux, un montage nerveux), le film capture l’énergie punk et désenchantée des années 1980. Il rappelle, par moments, des œuvres comme Repulsion de Roman Polanski (1965) ou Eraserhead de David Lynch (1977), tout en restant profondément new-yorkais.
Ironie de l’histoire : ce projet qui aurait pu être un Burton avant l’heure (imaginez les décors gothiques, les personnages difformes, la musique de Danny Elfman…) est devenu un Scorsese comme on n’en reverra plus. Le cinéaste, après ce détour, retournera à des territoires plus familiers avec The Last Temptation of Christ (1988) et Goodfellas (1990). Mais After Hours reste là, comme une trace de folie dans une filmographie par ailleurs si maîtrisée.
Pourquoi regarder After Hours en 2024 ? Parce que le streaming exhumé les pépites oubliées
À l’ère des algorithmes et des recommandations personnalisées, un film comme After Hours aurait pu disparaître dans les limbes du cinéma. Pourtant, les plateformes de streaming (il est actuellement disponible sur MUBI et Criterion Channel) lui offrent une seconde vie. Et c’est une excellente nouvelle : car ce film, plus que jamais, résonne avec notre époque.
Dans un monde où les villes deviennent de plus en plus anonymes et où les interactions humaines se réduisent souvent à des échanges superficiels, After Hours rappelle la violence latente de l’isolement urbain. Son héros, Paul Hackett, est un anti-héros moderne : ni bon ni mauvais, juste perdu, ballotté par des forces qui le dépassent. Et cette absurdité, Scorsese la filme avec une précision chirurgicale, entre rire nerveux et malaise grandissant.
Alors, oui, After Hours n’est pas un film facile. Il déroute, il agace parfois, il laisse un goût étrange. Mais c’est aussi ce qui en fait une œuvre nécessaire, un rappel que le cinéma peut encore surprendre, même 39 ans après sa sortie. À une époque où les remakes et les suites dominent l’industrie, voici un film qui ose être unique, inclassable – et profondément mémorable.
Le saviez-vous ? Les coulisses d’un tournage chaotique (et génial)
Le tournage d’After Hours fut aussi délirant que le film lui-même. Voici quelques anecdotes qui prouvent que ce projet était tout sauf conventionnel :
- Un scénario écrit en 10 jours : Joseph Minion, alors inconnu, a pondu le script en un temps record, s’inspirant de ses propres expériences de nuits new-yorkaises mouvementées. Scorsese, séduit par son côté "out of control", l’a adopté sans hésiter.
- Griffin Dunne, acteur par accident : Le rôle de Paul Hackett était initialement prévu pour Richard Gere, qui l’a refusé. Dunne, ami de Scorsese, a été choisi presque par défaut… et a livré une performance inoubliable, entre comédie et tragédie.
- Un budget si serré qu’on voit les coutures : Certaines scènes ont été tournées sans autorisation dans les rues de New York. La fameuse séquence du camion de glace ? Improvisée, avec un vrai vendeur qui ne savait pas qu’il était dans un film !
- La fin alternative : Scorsese a tourné trois fins différentes, dont une où Paul Hackett se réveillait… dans son lit, comme si tout n’avait été qu’un rêve. Il a finalement opté pour la version la plus ambiguë (et la meilleure).
Ces détails donnent une idée de l’énergie punk et artisanale qui a présidé à la naissance du film. Une liberté créative qu’on ne voit plus guères aujourd’hui… et qui rend After Hours d’autant plus précieux.
After Hours est de ces films qui vous hantent longtemps après le générique. Pas parce qu’il est parfait – il ne l’est pas –, mais parce qu’il ose. Ose être laid, ose être inconfortable, ose défier les attentes. Tim Burton en aurait peut-être fait un conte gothique flamboyant ; Scorsese, lui, en a fait un miroir déformant de New York, une ville où le rêve américain se transforme en cauchemar éveillé.
Alors, si vous cherchez une expérience cinématographique qui sorte des sentiers battus, un film qui secoue autant qu’il fait rire (jaune), lancez-vous. After Hours n’est pas un simple film à regarder : c’est une nuit blanche à vivre. Et maintenant qu’il est en streaming, vous n’avez plus d’excuse pour ne pas plonger dans sa folie.
Juste un conseil : ne le regardez pas seul. Ou alors, vérifiez que votre porte d’entrée n’est pas bloquée par une clé en plâtre…

