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**Gangs of New York** : Le Projet Maudit qui a Failli Briser Martin Scorsese
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Il y a 7 heures

**Gangs of New York** : Le Projet Maudit qui a Failli Briser Martin Scorsese

Un chef-d’œuvre né dans la douleur : comment Gangs of New York a poussé Martin Scorsese à ses limites

A retenir :

  • 25 ans de développement : Scorsese a acquis les droits en 1977, mais le film ne sortira qu’en 2002, après des décennies de réécritures et de reports.
  • Un bras de fer avec Harvey Weinstein : Le patron de Miramax a imposé des modifications pour "grand public", menaçant l’intégrité artistique du film.
  • Un budget pharaonique : 97 millions de dollars (plus de 100 avec les dépassements), un record pour l’époque, avec 2 000 figurants et des décors reconstitués à Cinecittà.
  • Le tournage le plus éprouvant de sa carrière : Scorsese a confessé avoir envisagé d’abandonner le cinéma, décrivant l’expérience comme "un enfer physique et mental".
  • Une scène mythique tournée en une prise : L’ouverture des émeutes de 1863, avec des centaines de comédiens, a failli faire exploser le planning.

1977 : Quand un roman historique devient une obsession

Tout commence en 1977, lorsque Martin Scorsese tombe sur Gangs of New York, un livre d’Herbert Asbury publié en 1927. Ce récit brut sur les gangs qui se déchiraient dans le New York des années 1840-1860 le fascine. Pour le réalisateur, alors auréolé du succès de Taxi Driver (1976), c’est une révélation : et si le cinéma pouvait capturer cette violence primitive, ce mélange de barbarie et de naissance d’une nation ? Il acquiert immédiatement les droits, convaincu d’en faire son prochain projet.

Pourtant, ce qui devait être une épopée ambitieuse se transforme rapidement en cauchemar administratif. Les studios, même après le triomphe de Raging Bull (1980), hésitent à financer un film d’époque aussi sombre, sans star bankable ni happy end garanti. Scorsese, lui, refuse de transiger : il veut un film brut, historique, loin des clichés hollywoodiens. Le projet est mis en pause, puis relancé, puis abandonné… Pendant 25 ans.


"C’était comme porter un poids invisible. Chaque fois que je commençais un autre film, Gangs of New York était là, en arrière-plan, comme une dette non réglée." — Martin Scorsese, Interview Magazine, 2003.

Harvey Weinstein et Miramax : L’Enfer des Compromis

En 1999, le projet refait surface grâce à Harvey Weinstein, patron de Miramax. Le studio, spécialisé dans les films d’auteur à succès (Pulp Fiction, Shakespeare in Love), voit en Gangs of New York un potentiel blockbuster historique. Mais très vite, les désaccords éclatent.

Weinstein exige des modifications majeures :

  • Un rythme plus dynamique (moins de scènes politiques, plus d’action).
  • Un personnage féminin plus développé (le rôle de Cameron Diaz, ajouté pour attirer un public plus large).
  • Une fin moins ambiguë (le studio craint que le public ne comprenne pas la chute originale).
Scorsese résiste, mais les tensions montent. Le budget initial, estimé à 75 millions, explose : les décors, les costumes, les figurants… Tout coûte bien plus cher que prévu. Weinstein menace de couper les vivres si le réalisateur ne cède pas.


"Harvey voulait un Titanic des bas-fonds. Moi, je voulais un tableau vivant de la violence américaine." — Martin Scorsese, The Guardian, 2002.

Le tournant ? Quand Weinstein impose une date de sortie fixe (décembre 2002) pour concourir aux Oscars, alors que le tournage est loin d’être terminé. Scorsese, épuisé, envisage sérieusement d’abandonner : "C’était soit ce film, soit arrêter le cinéma pour de bon."

Cinecittà, 2001 : Le Tournage qui a Failli Tout Emporter

Pour recréer les Five Points, le quartier maudit de Manhattan, Scorsese choisit les studios de Cinecittà, près de Rome. Un choix logique : l’Europe offre des coûts de production plus bas et des plateaux suffisamment grands pour construire des rues entières en taille réelle.

Mais très vite, le tournage vire au chaos :

  • 2 000 figurants à habiller, nourrir et diriger chaque jour.
  • Des décors si vastes que les pompiers italiens ont dû intervenir pour des risques d’incendie.
  • Des retards constants : la scène d’ouverture des émeutes de 1863, tournée en une seule prise avec des centaines de comédiens, a nécessité trois jours de répétitions et a coûté une fortune.
  • Des tensions avec l’équipe : certains techniciens, habitués aux tournages plus "propres", ont quitté le projet en cours de route.

Le budget, initialement fixé à 75 millions, atteint finalement 97 millions (plus de 100 avec les dépassements). Une somme astronomique pour l’époque, surtout pour un film sans super-héros ni effets spéciaux high-tech. Weinstein, furieux, exige des coupes drastiques. Scorsese, lui, refuse de sacrifier ne serait-ce qu’une scène. Résultat : des nuits blanches, des crises de nerfs, et une santé qui se dégrade.


"On tournait 16 heures par jour, six jours sur sept. Les acteurs étaient épuisés, l’équipe aussi. Et moi… je ne dormais plus. J’avais l’impression de construire un monument funéraire à ma propre carrière." — Martin Scorsese, Vanity Fair, 2019.

"The Butcher’s Run" : La Scène qui a Failli Tout Faire Exploser

Parmi les moments les plus tendus du tournage, celui de la séquence d’ouverture, surnommée "The Butcher’s Run". Cette scène, où le personnage de Bill le Boucher (Daniel Day-Lewis) affronte les gangs rivaux dans les rues des Five Points, était prévue pour être tournée en une seule prise, avec des centaines de figurants, des chevaux et des effets pyrotechniques.

Problème : la logistique était un cauchemar. Les répétitions duraient des heures, les figurants oubliaient leurs répliques, et les chevaux, stressés par le bruit, refusaient d’avancer. Weinstein, informé des coûts faramineux, a failli stopper le tournage. Scorsese, lui, a tenu bon : "Si on rate cette scène, le film perd toute sa puissance. C’est le cœur de l’histoire."

Finalement, la prise a été validée… après cinq tentatives et un surplus de 2 millions de dollars. Aujourd’hui, cette séquence est considérée comme l’une des plus ambitieuses du cinéma moderne, mais à l’époque, elle a failli coûter sa carrière à Scorsese.

L’Héritage de Gangs of New York : Un Échec Commercial, une Victoire Artistique

Sorti en décembre 2002, Gangs of New York a été un demi-échec commercial : 193 millions de dollars de recettes pour un budget de 100 millions — loin des attentes de Miramax. La critique, elle, a été divisée : certains ont salué la reconstitution historique et la performance de Daniel Day-Lewis, d’autres ont critiqué un scénario trop dense et un rythme inégal.

Pourtant, avec le temps, le film est devenu culte. Les cinéphiles y voient aujourd’hui :

  • Une méditation sur la violence fondatrice des États-Unis.
  • Un hommage aux immigrants, thème cher à Scorsese (qu’il reprendra dans The Irishman).
  • Une prodigieuse leçon de mise en scène, avec des plans-séquences audacieux et une photographie sombre, presque picturale.

Pour Scorsese, malgré l’épuisement, Gangs of New York reste un film charnière : "Sans lui, je n’aurais jamais osé faire The Aviator ou The Departed. Il m’a appris à me battre pour mes idées, même quand tout le monde te dit que c’est impossible."


Ironie de l’histoire : Harvey Weinstein, qui a tant fait souffrir Scorsese, sera plus tard disgracié pour ses méthodes abusives. Le réalisateur, lui, a survécu à cette épreuve… et en est sorti plus fort.

Ce que Gangs of New York a Changé dans le Cinéma

Au-delà de son histoire mouvementée, Gangs of New York a marqué l’industrie à plusieurs niveaux :

  • La reconstitution historique : Le film a élevé les standards des décors et des costumes, inspirant des productions comme The Revenant ou 1917.
  • Le rôle des studios indépendants : Miramax a prouvé qu’un film d’auteur pouvait avoir une envergure blockbuster (même si le pari n’a pas été totalement gagnant).
  • L’influence sur Scorsese : Après ce tournage, le réalisateur a adopté une approche plus collaborative avec ses producteurs (comme sur The Wolf of Wall Street).
  • Un tournant pour Daniel Day-Lewis : Son interprétation de Bill le Boucher lui a valu une nomination aux Oscars et a cimenté sa réputation d’acteur "méthode".

Aujourd’hui, Gangs of New York est souvent cité comme l’un des films les plus ambitieux — et les plus tourmentés — de l’histoire du cinéma. Et si son tournage a failli briser Scorsese, il a aussi forgé une partie de sa légende.

Gangs of New York n’est pas qu’un film : c’est une cicatrisation. Une œuvre née dans la douleur, entre les mains d’un réalisateur qui a risqué sa santé, sa réputation, et même sa passion pour le cinéma. Pourtant, malgré les compromis, les dépassements et les nuits blanches, Scorsese en est sorti avec quelque chose de rare : un film nécessaire, qui parle autant du passé que de l’Amérique d’aujourd’hui.

Et si l’on devait retenir une leçon de cette épopée maudite ? Peut-être celle-ci : les chefs-d’œuvre ne naissent pas dans le confort. Ils émergent du chaos, de la lutte, et parfois… de la folie.

L'Avis de la rédaction
Par Nakmen
1977 : Scorsese et son obsession pour "Gangs of New York". Un projet qui a failli le tuer, mais qui a aussi forgé son génie.
Article rédigé par SkimAI
Révisé et complété par Nakmen

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