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Ghost of Yotei : Quand les Excréments d'Oiseaux Deiennent des Repères de Légende
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Un système de navigation aussi génial que déroutant
Ghost of Yotei révolutionne l’art du level design en transformant un détail scatologique en mécanique de gameplay centrale. Les pierres blanches tachées d’excréments d’oiseaux, loin d’être un simple gag, deviennent des repères indispensables pour gravir les montagnes enneigées d’Ezo. Entre réalisme poussé à l’extrême et humour noir assumé, Sucker Punch signe une expérience aussi immersive qu’inoubliable – pour des raisons que personne n’aurait imaginées.
A retenir :
- Un système de navigation unique : des pierres souillées par des oiseaux remplacent les marqueurs traditionnels, créant une immersion organique (et olfactive ?).
- L’héritage scatologique de Sucker Punch : après les graffitis d’Infamous: Second Son, le studio systématise l’absurde avec un réalisme qui divise.
- Entre génie comique et obsession douteuse : les joueurs adorent ou détestent ces repères fécaux, mais personne ne les oublie.
- Inspirations et comparaisons : comment Ghost of Yotei pousse plus loin que Breath of the Wild dans l’intégration d’éléments environnementaux insolites.
- Un détail qui hante les ascensions : une fois remarqué, impossible de ne plus voir (ni sentir ?) ces marques omniprésentes.
Des Pierres Souillées, une Révolution Ludique
Imaginez : vous escaladez les pentes enneigées d’Ezo, concentré sur votre objectif, quand soudain, une pierre blanche maculée attire votre regard. Un bruit d’ailes, un oiseau qui s’envole… et la révélation : ce que vous preniez pour une simple tache est en réalité un repère fécal. Bienvenue dans Ghost of Yotei, où Sucker Punch transforme l’ordure en or – du moins, en mécanique de gameplay.
Ces pierres, loin d’être placées au hasard, jalonnent les chemins d’escalade avec une précision chirurgicale. Leur fonction ? Remplacer les flèches ou marqueurs classiques par une solution à la fois réaliste (les oiseaux existent, après tout) et absurde (qui aurait cru qu’on en viendrait à suivre des excréments ?). Le résultat est une immersion renforcée : le joueur n’est plus guidé par une interface artificielle, mais par les traces laissées par la nature elle-même. Un choix audacieux qui, une fois accepté, rend chaque ascension unique… et légèrement nauséabonde.
Pourtant, derrière l’humour potache se cache une réflexion sur le level design. Comme l’explique un développeur de Sucker Punch dans une interview accordée à Game Informer : "Nous voulions que les joueurs ressentent le monde, pas seulement qu’ils le voient. Si une pierre est marquée, c’est qu’un animal y est passé – et si un animal y est passé, c’est qu’il y a une raison." Une philosophie qui rappelle celle de The Legend of Zelda: Breath of the Wild, où les excréments de lynx servaient de pistes pour traquer les créatures. Mais là où Nintendo se contentait de clins d’œil ponctuels, Ghost of Yotei en fait un système.
"Mais… pourquoi des excréments ?"
La question, légitime, taraude les joueurs dès la première heure. La réponse tient en trois mots : immersion, humour, mémoire.
L’immersion d’abord. Dans un monde ouvert où chaque détail compte, des repères "naturels" évitent la rupture avec l’univers. Pas de mini-carte clignotante, pas de flèche géante dans le ciel – juste des traces laissées par des oiseaux qui, visiblement, ont un très mauvais timing. Atsu, le protagoniste, ne semble d’ailleurs pas plus ravi que le joueur : on l’entend parfois marmonner des phrases comme "Encore ces maudites pierres…", ajoutant une touche de réalisme sonore à l’expérience.
L’humour ensuite. Sucker Punch a toujours aimé jouer avec les attentes des joueurs, comme en témoignent les graffitis hilarants d’Infamous: Second Son ("Delsin était ici", accompagné d’un dessin de phallus géant). Avec Ghost of Yotei, le studio pousse le concept plus loin en intégrant l’absurde directement dans le gameplay. "C’est le genre de détail qui fait que les joueurs en parlent entre eux, ou pire… à leur entourage", confie un testeur anonyme, visiblement marqué par l’expérience.
Enfin, la mémoire. Une fois que vous avez remarqué ces pierres, impossible de faire machine arrière. Votre cerveau, traître, les recherchera automatiquement à chaque escalade. Certains joueurs avouent même avoir développé un réflexe pavlovien : voir une pierre blanche = lever les yeux au ciel en attendant l’oiseau. Mission accomplie pour Sucker Punch : ce détail, aussi trivial soit-il, devient une signature du jeu.
L’Omniprésence des "Cailloux Merdiques" : Génie ou Obsession ?
Si l’idée est brillante sur le papier, sa répétition systématique finit par poser question. À l’instar des tours de synchronisation d’Assassin’s Creed, les pierres souillées deviennent omniprésentes au point de frôler la surutilisation. Certains joueurs, sur les forums, n’hésitent pas à parler de "pollution visuelle" :
"Au début, c’est drôle. Puis ça devient un running gag. Et après 10 heures, tu te demandes si les oiseaux d’Ezo n’ont pas un problème digestif chronique. Sérieusement, combien de fois par jour ces bestioles font-elles leurs besoins ?!" — LeGrosBill_89, forum JeuxVideo.com
Le problème ? Quand un mécanisme est trop visible, il perd de son charme. Là où un jeu comme Red Dead Redemption 2 intègre des détails réalistes (comme les chevaux qui glissent sur les excréments) de manière subtile, Ghost of Yotei en fait un élément central. Certains y voient du génie – "Enfin un jeu qui assume son côté dégueulasse !" –, d’autres une fixation malsaine.
Pourtant, il serait réducteur de limiter ces pierres à leur aspect scatologique. Elles servent aussi de mémoire environnementale : leur présence indique souvent un chemin sûr, un point de vue stratégique, ou même un easter egg caché. Un joueur a ainsi découvert un sanctuaire secret en suivant une série de pierres particulièrement "marquées", menant à une scène humoristique où Atsu se plaint… d’avoir marché dans quelque chose de "mou et froid".
Derrière les Excréments : la Philosophie de Sucker Punch
Pour comprendre pourquoi Ghost of Yotei mise autant sur ces repères organiques, il faut remonter à l’ADN du studio. Sucker Punch a toujours aimé bousculer les codes, que ce soit avec les super-pouvoirs anarchiques d’Infamous ou les combats sanglants de Ghost of Tsushima. Mais ici, le studio va plus loin en intégrant l’absurde dans la mécanique même du jeu.
Interrogé par IGN France, le directeur créatif, Nate Fox, explique :
"Nous voulions que les joueurs ressentent Ezo comme un lieu vivant, pas comme un parc d’attractions. Les oiseaux, les excréments, les traces de pas dans la neige… Tout cela crée une cohérence. Et si en plus ça fait sourire – ou grimacer – les joueurs, c’est encore mieux."
Cette philosophie rappelle celle de Hideo Kojima, maître des détails insolites (qui oubliera les caca de loup dans Metal Gear Solid 3 ?). Mais là où Kojima utilise ces éléments comme gags ponctuels, Sucker Punch en fait une colonne vertébrale du gameplay. Une approche risquée, mais qui paie : Ghost of Yotei est souvent cité dans les discussions sur "les jeux qui osent être différents".
Pourtant, tous les joueurs ne sont pas convaincus. Certains critiques, comme Julien Chièze (Gamekult), pointent un "déséquilibre entre l’originalité et la lassitude" :
"Sucker Punch a créé un mécanisme mémorable, mais à force de le répéter, il perd de sa magie. Dommage, car quand le jeu se permet d’autres audaces (comme les dialogues improvisés d’Atsu), il est bien plus convaincant."
Et si C’était (aussi) une Métaphore ?
Au-delà de l’humour et du gameplay, certains y voient une dimension symbolique. Dans la culture japonaise, les oiseaux – et particulièrement les corbeaux – sont souvent associés à la transmission de messages ou à la guidance spirituelle. Et si ces excréments n’étaient pas qu’un gag, mais une façon de rappeler que même dans la saleté, il y a une forme de sagesse ?
Un joueur sur Reddit a poussé l’analyse plus loin :
"Dans le shintoïsme, la nature est sacrée, y compris ses aspects les moins glamours. Les pierres souillées pourraient représenter l’acceptation de l’imperfection – un thème central dans Ghost of Yotei, où Atsu doit composer avec ses échecs." — u/KitsuneTheorist
Farfelue ? Peut-être. Mais cette théorie montre à quel point un détail apparemment anodin peut stimuler l’imagination des joueurs. Et c’est bien là la force de Ghost of Yotei : même ses choix les plus déroutants finissent par créer du sens – ou au moins, des débats passionnés.
Comparaisons : Quand d’Autres Jeux Osent l’Insolite
Ghost of Yotei n’est pas le premier jeu à jouer avec les limites du réalisme organique, mais il est sans doute le plus systématique. Voici comment il se positionne face à d’autres titres audacieux :
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The Legend of Zelda: Breath of the Wild (2017) :
Nintendo intègre des excréments de lynx comme indices pour traquer les créatures. Mais ces éléments restent optionnels et ponctuels, là où Ghost of Yotei en fait une mécanique obligatoire.
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Red Dead Redemption 2 (2018) :
Rockstar pousse le réalisme à l’extrême (chevaux qui défèquent, personnages qui urinent), mais ces détails servent l’immersion sans devenir centraux. Ghost of Yotei, lui, en fait un pilier du gameplay.
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Metal Gear Solid 3: Snake Eater (2004) :
Kojima utilise les excréments comme gag (les "caca de loup" explosifs) ou mécanique de survie (camouflage avec de la boue). Mais l’approche reste ludique, pas systémique.
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Infamous: Second Son (2014) :
Les graffitis et tags humoristiques parsèment Seattle, mais ils relèvent du décor, pas de la progression. Ghost of Yotei franchit le cap en liant l’absurde à la structure même du jeu.
Ce qui distingue Ghost of Yotei, c’est donc sa radicalité : là où les autres jeux se contentent de clins d’œil, lui en fait une expérience. Pour le meilleur… et pour le pire.
Le Mot de la Fin : un Détail qui Reste (Littéralement) Collé
Au final, les pierres souillées de Ghost of Yotei sont bien plus qu’un simple gag. Elles incarnent une philosophie du game design : et si le réalisme passait aussi par l’acceptation de l’imperfection, du sale, du dérangeant ?
Certains joueurs adoreront cette audace, d’autres la trouveront trop présente. Mais une chose est sûre : personne ne restera indifférent. Et dans un paysage vidéoludique souvent aseptisé, où les open-world se ressemblent, cette obsession scatologique a au moins un mérite : elle marque les esprits. Au point qu’on se surprend, des mois après avoir posé la manette, à lever les yeux vers les toits… à la recherche d’éventuels oiseaux.

