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Hades 2 : Melinoë, l’Anti-Héroïne des Enfers, Réinvente la Mythologie Grecque
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Il y a 9 jours

Hades 2 : Melinoë, l’Anti-Héroïne des Enfers, Réinvente la Mythologie Grecque

Pourquoi Melinoë, la sorcière marginale des Enfers, pourrait bien devenir l’icône féministe que le jeu vidéo attendait ?

A retenir :

  • Hades 2 ose une héroïne atypique : Melinoë, princesse sorcière des Enfers, dont les pouvoirs se cultivent comme un art obscur, entre rituels et cueillette d’herbes maléfiques.
  • Inspirée par Circé (Madeline Miller), la magie de Melinoë perd sa dimension rebelle pour devenir un outil ludique consensuel – un choix qui divise.
  • Le panthéon grec, d’ordinaire cruel et patriarcal, se transforme en famille (presque) unie : même Zeus sourit aux sorts de la jeune sorcière.
  • Un parti pris audacieux : Hades 2 sacrifie le réalisme mythologique pour une harmonie narrative, au risque d’édulcorer les conflits divins.
  • Entre roguelike exigeant et récit poétique, le jeu interroge : peut-on réinventer les légendes grecques sans leurs ombres ?

Une Enfant des Ténèbres : Melinoë, l’Anti-Zagreus

Quand Supergiant Games dévoilait Hades en 2020, personne ne s’attendait à ce que la suite place une sorcière au centre de son récit. Pourtant, Melinoë, fille d’Hadès et de Perséphone, incarne tout ce que son frère Zagreus n’était pas : une marginalisée, une solitaire, une enfant des limbes qui grandit dans un campement de fortune, loin des dorures du palais des Enfers. Son unique trésor ? Un dessin accroché à une tente, symbole d’une enfance volée et d’une quête identitaire qui commence à peine.

Dès les premières minutes, le contraste avec le premier opus frappe : exit le prince charismatique, place à une jeune femme dont la mélancolie le dispute à la détermination. Son objectif ? Affronter Kronos, le Titan déchu, pour reconquérir sa place dans une famille divine aussi dysfonctionnelle que mythique. Mais là où Zagreus chargeait l’épée à la main, Melinoë prépare ses armes : elle cueille des herbes vénéneuses, concocte des élixirs, et transforme son campement précaire en laboratoire de sorcellerie. Une approche qui rappelle étrangement Circé, l’enchanteresse de La Chanson d’Achille (Madeline Miller), pour qui la magie était moins un don qu’un labeur.

Pourtant, Hades 2 évite soigneusement le côté sombre de cette comparaison. Chez Miller, Circé doit survivre à l’hostilité des dieux ; ici, Melinoë bénéficie de leur soutien. Même Zeus, roi des Olympiens et symbole d’un ordre patriarcal, lui offre ses foudres avec le sourire. Un choix narratif qui adoucit les angles, mais pose question : et si la vraie subversion, justement, était d’accepter que les déesses grecques n’aient pas besoin de l’approbation masculine ?


"La Magie n’est pas un Don, mais une Pratique" : Le Gameplay comme Rituel

Dans Hades 2, la sorcellerie n’est pas un simple skill tree : c’est une philosophie. Chaque sortie des Enfers commence par une phase de préparation presque méditative : Melinoë arpente son camp, récolte des ingrédients, améliore ses potions. Une mécanique qui transforme le grind en acte occulte, où chaque herbe cueillie, chaque sortilège maîtrisé, renforce son lien avec les forces chthoniennes.

Cette approche rappelle les jeux de survie comme Valheim, où la progression passe par la maîtrise d’un environnement hostile. Mais là où les Vikings construisent des forteresses, Melinoë tisse des malédictions. Ses pouvoirs, loin d’être innés, s’acquièrent par l’effort – une métaphore puissante de l’émancipation féminine, où la force ne vient pas d’une lignée divine, mais d’un travail acharné.

Pourtant, le jeu gomme les aspérités qui faisaient la richesse de Circé. Chez Miller, la magie était dangereuse, associée à l’exil et à la rébellion. Ici, elle devient un outil ludique, presque joyeux. Les Olympiens distribuent leurs boons (pouvoirs divins) sans arrière-pensée, comme des récompenses dans un jeu de rôle classique. Une harmonie qui, si elle rend l’expérience accessible, atténue aussi la dimension politique de la sorcellerie grecque – historiquement liée à la marge, au refus de l’autorité masculine.

"Pourquoi les dieux souriraient-ils à une sorcière ?", s’interroge Apollon dans les mythes originels. Hades 2 répond : "Parce que c’est plus amusant ainsi." Un parti pris discutable, mais qui explique pourquoi le jeu séduit autant qu’il déçoit les puristes.


Le Panthéon Grec en Mode "Safe Space" : Une Réécriture Trop Douce ?

Les connaisseurs de la mythologie grecque savent une chose : les dieux sont cruels. Zeus viole, Héra punit, Apollon méprise. Pourtant, dans Hades 2, ces figures tutélaires se transforment en mentors bienveillants. Même Héra, reine des cieux et jalouse notoire, semble avoir oublié ses vieilles rancœurs. Une réécriture qui, si elle évite les clichés misogynes, aseptise aussi les conflits qui donnaient leur saveur aux légendes.

Prenez Circé : dans le roman de Miller, elle doit combattre pour sa place, transformer ses ennemis en porcs pour survivre. Melinoë, elle, n’a qu’à tendre la main pour recevoir l’aide des Olympiens. Hadès, son père, joue les pères attentionnés ; Perséphone, sa mère, la guide avec douceur. Même Kronos, le Titan dévorateur d’enfants, devient un boss à affronter sans haine particulière – presque un exercice de style.

Cette version édulcorée du panthéon grec a un mérite : elle rend le jeu accessible. Pas de drame familial lourd, pas de trahisons sanglantes – juste une quête initiatique où chaque dieu a sa petite blague et son pouvoir à offrir. Mais à quel prix ? Celui d’une mythologie vidée de sa violence fondatrice, cette même violence qui, chez Homer ou Eschyle, servait de miroir aux passions humaines.

"Les dieux ne sont pas nos amis. Ils sont des forces.", écrivait Mary Renault dans Le Roi doit mourir. Hades 2 semble répondre : "Et si, pour une fois, ils l’étaient ?" Une fantaisie séduisante, mais qui laisse un goût d’inachevé.


Derrière les Sorts : La Vraie Révolution de Melinoë

Alors, Hades 2 trahit-il les mythes grecs ? Pas forcément. Car sa vraie audace ne réside pas dans sa réécriture des dieux, mais dans son héroïne. Melinoë n’est ni une guerrière, ni une victime : c’est une travailleuse. Une femme dont le pouvoir vient de l’étude, de la patience, de la répétition – des qualités rarement célébrées dans les récits épiques.

Son campement, ce bidonville des Enfers, est le symbole de cette révolution silencieuse. Là où Zagreus héritait d’un palais, elle doit construire son espace, le rendre habitable, puis puissant. Une métaphore parfaite du roguelike : chaque échec est une leçon, chaque mort une étape vers la maîtrise. Et quand elle finit par terrasser Kronos, ce n’est pas grâce à un coup de chance, mais parce qu’elle a appris à dompter ses sorts, ses armes, et même ses peurs.

En cela, Hades 2 rejoint des œuvres comme The Witcher 3 ou Horizon Zero Dawn, où l’héroïne triomphe par l’intelligence autant que par la force. Mais là où Geralt et Aloy doivent choisir entre morale et efficacité, Melinoë n’a pas ce dilemme : son monde est suffisamment doux pour qu’elle puisse être les deux à la fois. Une utopie ? Sans doute. Mais une utopie qui, pour une fois, place une sorcière au centre de l’histoire – et ça, c’est déjà une victoire.


L’Ombre de Circé : Ce que Hades 2 Ose (ou Pas) Dire

Impossible de parler de Melinoë sans évoquer Circé, l’enchanteresse de la mythologie grecque que Madeline Miller a réhabilitée dans son roman culte. Les deux femmes partagent une magie liée à la transformation – des corps, des destins, des ordres établis. Pourtant, là où Circé est une survivante, Melinoë est une élue.

Chez Miller, la sorcellerie est un acte de résistance : Circé transforme les marins d’Ulysse en porcs pour se protéger, défie les dieux pour exister. Dans Hades 2, la magie est un jeu : Melinoë lance des sorts comme on enchaîne des combos, et les dieux applaudissent. Le contraste est frappant : d’un côté, une femme qui doit voler son pouvoir ; de l’autre, une princesse à qui on l’offre sur un plateau.

Pour autant, Hades 2 n’est pas un échec. Il propose simplement une autre lecture : et si les déesses grecques avaient eu le choix ? Et si, au lieu de subir, elles avaient pu inventer leur propre légende ? Melinoë, avec ses rituels et son campement modeste, incarne cette possibilité. Elle n’est pas une rebelle, mais une pionnière – celle qui prouve que la magie féminine peut être à la fois puissante et acceptée.

Reste une question : en gommant les conflits, le jeu ne perd-il pas ce qui faisait la puissance des mythes grecs ? Leur capacité à parler de nos peurs, de nos violences, de nos contradictions ? Hades 2 répond par l’affirmative, et assume son optimisme. Après tout, dans un monde où les héroïnes sorcières sont encore trop souvent des méchantes ou des victimes, une Melinoë souriante et victorieuse est déjà une révolution.

Hades 2 ne réinvente pas seulement le roguelike : il propose une mythologie grecque où les femmes ne doivent plus mendier leur place. Melinoë, avec ses sorts méticuleusement préparés et son campement transformé en sanctuaire, incarne cette promesse : et si le vrai pouvoir féminin résidait moins dans la rébellion que dans la réinvention ?

Le jeu sacrifie certes la noirceur des légendes originelles pour une harmonie ludique, mais cette douceur même est un message. Dans un univers où les déesses étaient souvent punies pour leur audace, voir Zeus offrir ses foudres à une sorcière sans arrière-pensée a quelque chose de subversif. Peut-être pas comme Circé l’aurait fait – avec des griffes et des malédictions – mais avec une élégance qui, elle aussi, est une forme de victoire.

Alors, oui, les puristes regretteront l’absence de conflits divins sanglants. Mais ils oublient une chose : les mythes, justement, sont faits pour être recontés. Et si cette version-ci choisit la lumière, c’est pour mieux éclairer un visage rare dans l’histoire du jeu vidéo : celui d’une héroïne qui gagne sans avoir à choisir entre sa puissance et sa féminité.

L'Avis de la rédaction
Par Nakmen
Melinoë, l’Anti-Zagreus, c’est comme si Supergiant Games avait décidé de faire un reboot de "Harry Potter" mais avec des sorcières grecques. Exit le prince charismatique, place à une jeune femme qui cueille des herbes et concocte des élixirs. C’est frais, mais est-ce que ça va trop loin dans l’optimisme ?
Article rédigé par SkimAI
Révisé et complété par Nakmen

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