Il y a 37 jours
Hell is Us (2025) : L'Odyssée Désorientante d'un Monde en Guerre – Test & Analyse
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Pourquoi Hell is Us pourrait bien être le jeu narratif le plus audacieux de 2025 – et ses limites qui le retiennent d'être un chef-d'œuvre.
Plongez dans Hadea, un monde déchiré où aucune main ne vous guide. Avec Hell is Us, Rogue Factor signe une expérience radicale : pas de marqueurs, pas de tutoriels, seulement une tablette et votre instinct. Entre Disco Elysium et Dark Souls, ce jeu d’enquête en semi-ouvert mise sur l’intelligence du joueur pour dénouer les mystères d’une guerre sans fin. Mais derrière cette narration immersive se cache un système de combat en demi-teinte, incapable de rivaliser avec les géants du genre. Un titre qui redéfinit l’exigence… tout en rappelant que l’ambition a un prix.
A retenir :
- Une révolution narrative : Hell is Us élimine tous les filets de sécurité (marqueurs, tutoriels) pour une immersion totale, à mi-chemin entre Outer Wilds et The Last of Us, mais avec une liberté d’exploration rare.
- La tablette "Pesquisa" : Un carnet d’enquête 100% manuel, où chaque indice (dialogues, environnements, ennemis) doit être connecté par le joueur, comme dans Disco Elysium – une mécanique qui récompense la curiosité.
- Des ennemis symboliques : Les Caminantes Huecos (inspirés de Bloodborne) et les Neblinas ne sont pas de simples obstacles, mais des métaphores de la corruption, à étudier pour en percer les faiblesses, comme dans Sekiro.
- Un combat en retrait : Malgré des mécaniques prometteuses (Pulso Límbico, gestion de l’endurance), les affrontements manquent de variété et de spectacle, loin des standards d’un Elden Ring ou Hollow Knight.
- Un monde qui punit l’inattention : Perdu ? Relisez vos notes. Bloqué ? Parlez aux PNJ. Hell is Us mise sur votre capacité à observer, une approche audacieuse dans une industrie saturée de waypoints.
- Verdict : Un jeu qui repousse les limites du narratif, mais dont le gameplay combatif reste en deçà de son ambition – dommage pour un titre qui aurait pu être aussi mémorable que son univers.
Un Pari Risqué : L’Immersive Simulation Sans Filet
Imaginez débarquer dans un pays en guerre, sans GPS, sans carte, sans quêtes marquées. Pas même un tutoriel pour vous expliquer comment soigner vos blessures ou esquiver une attaque. C’est le choc initial que propose Hell is Us, le nouveau titre de Rogue Factor (les créateurs de For The King). Ici, vous incarnez Remi, un étranger aussi désorienté que le joueur, dans Hadea, une nation rongée par un conflit sans fin. Le jeu ne vous prend pas par la main – il vous jette à l’eau, et c’est tant mieux.
Cette philosophie du "sans filet" n’est pas une simple coquetterie. Elle s’inscrit dans une lignée de titres comme Outer Wilds (où l’exploration cosmique prime sur les indications) ou Return of the Obra Dinn (où le joueur doit reconstituer une histoire à partir de fragments). Mais là où ces jeux misent sur l’émerveillement ou le mystère policer, Hell is Us plonge dans l’horreur réaliste de la guerre, avec une atmosphère qui évoque Dark Souls (pour son côté impitoyable) et The Last of Us (pour son récit humain), sans jamais tomber dans le dirigisme de ce dernier.
Le cœur de cette expérience ? La tablette "Pesquisa", un outil hybride entre carnet de notes et journal d’enquête. Elle ne se remplit jamais automatiquement : c’est à vous d’y consigner les dialogues, les indices environnementaux, ou les théories sur les Caminantes Huecos (ces créatures corrompues qui hantent Hadea). Une mécanique qui rappelle Disco Elysium, où le joueur doit connecter les points lui-même – une rareté dans un paysage vidéoludique où les quêtes secondaires pullulent comme des mauvaises herbes.
Et puis, il y a cette absence totale de tutoriel. Pas d’explication sur le Pulso Límbico (une mécanique de soin risquée qui exige un timing parfait), pas de didacticiel pour les Signos (les compétences liées aux armes). Le jeu part du principe que vous apprendrez en mourant – une approche qui divise, mais qui renforce l’immersion. Après tout, dans une vraie guerre, personne ne vous apprend à survivre. Vous trébuchez, vous saignez, et vous finissez par comprendre. Ou pas.
Pourquoi ça marche ? Parce que Hell is Us ne vous punit jamais pour une erreur, seulement pour votre inattention. Perdu dans les ruines de La Ciénaga ? Relisez vos notes. Un ennemi vous bloque ? Observez ses patterns, comme dans Sekiro. Le jeu mise sur votre intelligence, et ça change tout dans une industrie où les waypoints et les objectifs secondaires ont rendu les joueurs passifs.
Hadea : Un Monde Où Chaque Détail Est un Indice
Si Hell is Us se passe de marqueurs, il ne vous abandonne pas pour autant. Hadea est un écosystème narratif, où chaque élément – une inscription murale, un dialogue en apparence anodin, voire l’absence de quelque chose – peut être une piste. Les développeurs ont conçu ce monde comme une toile d’araignée de récits entrelacés, où les histoires des PNJ simbriquent avec les documents disséminés dans l’environnement.
Prenez les Caminantes Huecos : ces ennemis ne sont pas de simples obstacles à abattre. Leurs designs, inspirés des créatures de Bloodborne, reflètent les thèmes de la corruption et de la perte d’humanité. Leurs faiblesses, liées aux armes spéciales de Remi, ne s’apprennent pas via un menu d’aide, mais par l’observation. Un clin d’œil aux mécaniques de Sekiro, où la connaissance de l’ennemi est cruciale – et où chaque victoire se mérite.
La tablette "Pesquisa" agit comme un journal d’enquête dynamique, mais avec une twist : elle ne se remplit pas toute seule. Il faut activer manuellement les entrées après avoir recueilli un indice, une mécanique qui force le joueur à devenir un détective actif. Certains puzzles, comme ceux liés aux Neblinas (des entités mystérieuses liées à la brume toxique de Hadea), exigent même de croiser des informations glanées à des kilomètres de distance. Une approche qui récompense la patience et la curiosité, mais qui peut frustrer ceux habitués aux jeux plus directifs.
Exemple concret : Dans la région de Los Umbrales, une quête secondaire implique de retrouver un enfant disparu. Aucune marqueur ne vous guide vers lui. En revanche, un dialogue avec une vieille femme mentionne des "cries près de la rivière", tandis qu’un graffiti sur un mur évoque un "monstre aux yeux bleus". En recoupant ces infos, vous déduisez que l’enfant a été enlevé par une Neblina, et que son repaire se trouve près des chutes de Aguas Negras. Aucun jeu ne vous dit ça – c’est à vous de le découvrir.
Le génie de Hell is Us réside dans cette confiance accordée au joueur. Dans un monde où les jeux narratifs regorgent de quick-time events et de cinématiques non interactives, Hell is Us ose dire : "Débrouillez-vous. Vous êtes assez malin pour comprendre." Et ça, c’est rafraîchissant.
Derrière le Rideau : Les Coulisses d’un Monde en Décomposition
Saviez-vous que Hadea est inspiré des guerres civiles latino-américaines des années 1980 ? Les développeurs de Rogue Factor ont collaboré avec des historiens et des anthropologues pour créer un univers où chaque faction, chaque lieu, chaque personnage a une raison d’être. Les Caminantes Huecos, par exemple, ne sont pas juste des "méchants" : ce sont d’anciens soldats exposés à un gaz expérimental, le "Aliento de la Muerte", qui les a transformés en monstres assoiffés de chair.
Autre détail fascinant : le dron Kapi, votre compagnon mécanique, était à l’origine conçu comme un outil de surveillance militaire. Dans les premières versions du jeu, il pouvait scanner les ennemis pour révéler leurs faiblesses – une mécanique abandonnée car "trop directive", selon le directeur créatif, Alexandre Sabourin. À la place, le dron est devenu un outil polyvalent mais imparfait, reflétant les limites technologiques d’un monde en ruine.
Enfin, la brume toxique qui recouvre certaines zones de Hadea n’est pas qu’un simple obstacle. Elle est liée aux Neblinas, des entités liées à une ancienne légende locale : celle des "Âmes Perdues", des esprits errants qui hantent les champs de bataille. Une touche de folklore latino qui donne une dimension mythologique à ce conflit par ailleurs ultra-réaliste.
Le Point Faible : Un Combat Qui Ne Suit Pas l’Ambition
Si Hell is Us brille par son level design et sa narration environnementale, son système de combat peine à suivre. Sur le papier, les ingrédients sont là : quatre armes modifiables (épée, hache, marteau, dague), des Signos (compétences uniques) et des Reliquias (bonus passifs). Une personnalisation qui rappelle Nioh ou The Surge. Mais dans les faits, la variété manque cruellement.
Les affrontements contre les Caminantes Huecos et les Neblinas deviennent répétitifs rapidement. Les ennemis répètent les mêmes schémas, et même les boss, souvent cantonnés à des arènes closes, manquent de spectacle. Un contraste saisissant avec des titres comme Elden Ring, où chaque combat majeur est un événement mémorable.
Deux mécaniques sauvent cependant les apparences :
- Le Pulso Límbico : Un quick-time event risqué qui permet de soigner en contre-attaquant. Une fois maîtrisé, cela dynamise les duels en récompensant l’agressivité. Dommage que son timing serré le rende peu accessible en difficulté élevée.
- La gestion de l’endurance : Comme dans Dark Souls, une jauge limite vos actions, forçant à dosser les attaques sous peine de se faire submerger. Un choix judicieux, mais qui accentue la frustration face à des ennemis spammant les mêmes combos.
Et puis, il y a le dron Kapi. Bien que prometteur avec ses Módulos interchangeables (distraction, attaque coordonnée, etc.), il souffre de problèmes de réactivité, brisant parfois le rythme des combats. Un gaspillage de potentiel, surtout quand on sait que les développeurs avaient initialement prévu un système de scanning tactique (abandonné pour coller à la philosophie "sans aide" du jeu).
Verdict combat : Hell is Us ne propose pas un mauvais système de combat. Mais il est en retrait face à l’excellence de son level design et de sa narration. Une occasion manquée de fusionner l’exigence exploratoire du jeu avec des mécaniques d’action à sa hauteur – à l’image de ce que Hollow Knight avait réussi, malgré ses limites techniques.
L’Équilibre Final : Un Jeu Qui Mérite (Presque) Son Audace
Hell is Us est un jeu qui divisera. Ceux qui aiment les expériences dirigistes (à la God of War) le détesteront. Ceux qui recherchent un défi narratif et exploratoire (à la Outer Wilds ou Disco Elysium) l’adoreront. Mais même pour ces derniers, un goût d’inachevé persiste.
D’un côté, on a :
- Une narration immersive qui repose sur l’intelligence du joueur, sans jamais le prendre pour un idiot.
- Un level design où chaque recoin a une histoire à raconter, comme dans Dark Souls ou The Last of Us Part II.
- Une ambiance sonore envoûtante, avec une bande-son signée Cristóbal Tapia de Veer (compositeur de The White Lotus), qui mélange musique traditionnelle latino et sons électroniques distordus.
De l’autre, on regrette :
- Des combats répétitifs, loin du niveau des Souls ou de Hollow Knight.
- Un dron Kapi sous-exploité, qui aurait pu être un atout majeur.
- Certains bugs d’IA (des PNJ qui se téléportent, des ennemis qui restent bloqués dans le décor).
Pourtant, malgré ces défauts, Hell is Us reste une expérience marquante. Parce qu’il ose. Parce qu’il fait confiance au joueur. Parce qu’il rappelle que les jeux vidéo peuvent être plus que des suites de quêtes marquées – ils peuvent être des mondes à explorer, à comprendre, à ressentir.
Et si c’est ça, le futur du jeu narratif ? Un futur où l’on nous traite enfin comme des adultes ? Alors Hell is Us aura été un pas dans la bonne direction. Même imparfait.
Hell is Us n’est pas un chef-d’œuvre. Mais c’est un jeu nécessaire. Dans un paysage où les open-worlds regorgent de marqueurs et où les narrations linéaires dominent, il ose proposer une expérience désorientante, exigeante, adulte. Oui, ses combats déçoivent. Oui, son dron Kapi est sous-exploité. Oui, certains joueurs rage-quitteront devant l’absence de tutoriels.
Pourtant, ceux qui persévéreront découvriront l’un des mondes les plus riches de 2025, où chaque dialogue, chaque graffiti, chaque cri dans la brume a un sens. Où l’erreur n’est pas punie, mais l’inattention si. Où l’on vous traite enfin comme un participant actif, et non comme un spectateur passif.
Alors, à qui s’adresse Hell is Us ? Aux joueurs qui aiment Disco Elysium pour son écriture, Outer Wilds pour son mystère, Dark Souls pour son respect du joueur. Aux ceux qui veulent un jeu qui les challenge intellectuellement, pas juste mécaniquement. Aux ceux qui sont prêts à se perdre pour mieux se trouver.
Les autres peuvent passer leur chemin. Ceux-là ne méritent pas Hadea.