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**Sueños de trenes** : Le chef-d'œuvre mélancolique de Netflix qui divise et fascine
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Un drame visuel qui hante longtemps après le générique
Sueños de trenes, réalisé par Clint Bentley, est bien plus qu’un simple film : c’est une expérience sensorielle et émotionnelle. Adapté du roman culte de Denis Johnson, ce drame Netflix explore la fragilité humaine à travers le destin de Robert Grainier (Joel Edgerton), un homme marqué par les forêts du Pacific Northwest et les fantômes de son passé. Avec un 95 % sur Rotten Tomatoes, une distribution exceptionnelle (Felicity Jones, William H. Macy) et une esthétique proche des maîtres du cinéma contemplatif comme Terrence Malick, le film séduit autant qu’il déroute. Une œuvre exigeante, où la beauté des paysages rivalise avec la rudesse des âmes.
A retenir :
- 95 % sur Rotten Tomatoes : Un score rare pour ce drame poétique et brutal, adapté du roman de Denis Johnson.
- Joel Edgerton et Felicity Jones livrent des performances bouleversantes dans ce récit de résilience et de solitude.
- Une photographie hypnotique (Eliot Rockett) qui transforme les forêts du Pacific Northwest en personnage à part entière.
- Un rythme lent et immersif, à l’opposé des blockbusters, qui rappelle les œuvres de Kelly Reichardt ou Andrew Dominik.
- Un film qui divise : entre admiration pour son audace et malaise face à sa noirceur sans concession.
- Comparaisons inévitables avec The Power of the Dog (Jane Campion) pour son exploration de la masculinité toxique et des paysages comme miroirs de l’âme.
Un triomphe critique, mais un défi pour le public
Quand Sueños de trenes a débarqué sur Netflix en septembre 2024, peu s’attendaient à ce que ce drame contemplatif devienne l’une des productions originales les plus discutées de l’année. Pourtant, avec un score de 95 % sur Rotten Tomatoes et des éloges unanimes pour sa réalisation, le film de Clint Bentley (déjà remarqué pour Les Vies de Sing Sing) s’est imposé comme un ovni cinématographique. Mais derrière ces chiffres se cache une réalité plus complexe : celle d’une œuvre magnifique, mais difficilement accessible.
Adapté du roman Train Dreams de Denis Johnson (publié en 2002 et finaliste du Pulitzer), le film plonge le spectateur dans l’Amérique rurale du début du XXe siècle, à travers les yeux de Robert Grainier, un bucheron solitaire hanté par un passé tragique. Entre résilience et désespoir, le récit évite soigneusement les facilités du mélodrame pour offrir une plongée brutale dans la condition humaine. Comme l’écrit The Guardian : 〈C’est un film qui ne vous prend pas par la main, mais vous frappe en plein cœur, sans prévenir.〉
Pourtant, cette radicalité narrative a de quoi déstabiliser. Là où des films comme The Revenant (Alejandro G. Iñárritu) misent sur l’action pour tenir en haleine, Sueños de trenes choisit la lenteur comme arme. Les plans s’étirent, les dialogues se font rares, et les paysages du Pacific Northwest (tournés en partie dans l’Oregon) deviennent les vrais protagonistes. Une approche qui rappelle First Cow (Kelly Reichardt) ou The Thin Red Line (Terrence Malick), mais qui peut laisser certains spectateurs perdus, voire frustrés.
Des acteurs au sommet, mais un récit sans concession
Si le film est aussi marquant, c’est d’abord grâce à son casting exceptionnel. Joel Edgerton, dans le rôle de Grainier, livre une performance minimaliste et déchirante, où chaque regard en dit plus que des pages de dialogue. Face à lui, Felicity Jones (Gladys) incarne une fragilité lumineuse, presque surnaturelle, qui contraste avec la rudesse du monde qui l’entoure. Leur alchimie à l’écran est électrisante, notamment dans les scènes où leurs personnages tentent, malgré tout, de se raccrocher à l’humanité.
Autour d’eux, William H. Macy (un prédicateur ambigu) et Kerry Condon (une veuve au passé trouble) complètent ce quatuor d’acteurs où aucun faux pas n’est permis. Comme le souligne IndieWire : 〈Chaque interprétation est d’une justesse telle que le moindre geste semble chargé de sens.〉 Pourtant, cette précision même peut devenir un piège : certains critiques, comme ceux de The Hollywood Reporter, pointent une froideur calculée qui empêche toute forme d’identification facile.
Le vrai génie de Clint Bentley réside dans sa capacité à mêler beauté et violence sans jamais tomber dans le cliché. Les scènes de travail forestier, filmées avec un réalisme presque documentaire, côtoient des moments de grâce pure, comme lorsque Gladys danse sous la pluie, ou que Grainier observe, silencieux, un train disparaître dans la nuit. Ces contrastes rappellent The Power of the Dog (Jane Campion), où la masculinité toxique et la poésie des grands espaces s’entremêlent avec une même intensité.
Une photographie qui respire : quand la nature devient personnage
Impossible de parler de Sueños de trenes sans évoquer son esthétique visuelle, signée par le directeur de la photographie Eliot Rockett (connu pour son travail sur The Nightingale). Ici, chaque plan semble peint à la main, avec des teintes automnales qui oscillent entre l’orange brûlé et le vert profond. Les forêts du Pacific Northwest ne sont pas un simple décor : elles respirent, menacent, consolent. Les rails qui serpentent à travers les collines deviennent des métaphores du destin, tandis que les jeux de lumière naturelle (tournés en lumière disponible) donnent au film une texture presque tactile.
Cette approche rappelle The Assassination of Jesse James (Andrew Dominik), où les paysages servaient de miroir aux tourments intérieurs des personnages. Mais là où Dominik misait sur une beauté glacée, Bentley choisit une chaleur organique, comme si la caméra caressait les écorces et les visages avec la même tendresse. 〈On sent la boue, le vent, la sueur〉, note un critique de Variety, 〈comme si le film était tourné hier, dans un monde où le temps s’est arrêté.〉
Pourtant, cette immersion sensorielle a un prix : le rythme. Avec ses plans-séquences contemplatifs et ses silences éloquents, Sueños de trenes exige une attention soutenue. Certains y voient une œuvre hypnotique, d’autres un exercice de style prétentieux. Comme le résume un spectateur sur Reddit : 〈C’est le genre de film que tu adores ou que tu détestes, mais que tu n’oublies jamais.〉
"Le rêve du train" : quand la légende dépasse la réalité
Derrière l’histoire de Grainier se cache une légende urbaine qui a inspiré Denis Johnson : celle des fantômes des chemins de fer. Au début du XXe siècle, des rumeurs couraient sur des trains hantés traversant les forêts du Nord-Ouest, emportant avec eux les âmes des ouvriers morts lors de la construction des voies. Une croyance que Bentley intègre subtilement dans le film, notamment à travers une scène onirique où Grainier poursuit un convoi spectral dans la nuit.
Cette dimension surnaturelle discrète ajoute une couche de mystère au récit, sans jamais basculer dans le fantastique pur. 〈C’est comme si le film lui-même était hanté〉, confie Bentley dans une interview pour Film Comment. 〈Je voulais que le spectateur sente cette présence invisible, comme un souffle dans le cou.〉 Une approche qui rappelle Le Géant (George Stevens), où le réalisme côtoyait une forme de magie quotidienne.
Pour les amateurs de cinéma historique, cette attention aux détails est un régal. Les costumes, les outils, même les dialectes régionaux ont été reconstitués avec un souci du réalisme rare. Pourtant, Bentley évite soigneusement le folklore : 〈Je ne voulais pas faire un film sur le passé, mais un film qui parle à notre époque〉, explique-t-il. Et en effet, les thèmes de l’isolement, de la perte et de la reconstruction résonnent étrangement avec notre monde post-pandémique.
Pourquoi ce film divise-t-il autant ?
Avec un tel pedigree (roman culte, réalisateur prometteur, casting cinq étoiles), pourquoi Sueños de trenes ne fait-il pas l’unanimité ? La réponse tient en un mot : exigence. Dans un paysage cinématographique dominé par les algorithmes Netflix et les films conçus pour être regardés en scrollant sur son téléphone, Bentley ose un cinéma lent, silencieux, contemplatif.
Pour les défenseurs du film, comme le critique Mark Kermode, c’est une bouffée d’oxygène : 〈Enfin un film qui ne nous prend pas pour des abrutis !〉 À l’inverse, certains spectateurs reprochent au réalisateur un manque de clarté narrative. 〈Je ne sais même pas de quoi ça parlait〉, peut-on lire dans certains commentaires. Un débat qui rappelle celui autour de The Lighthouse (Robert Eggers) : génie incompris ou prétention inutile ?
Ce qui est sûr, c’est que Sueños de trenes ne laisse personne indifférent. Même ceux qui l’ont détesté reconnaissent sa beauté formelle, et ceux qui l’ont adoré avouent avoir dû le regarder deux fois pour en saisir toutes les subtilités. Comme le dit Felicity Jones dans une interview pour The New Yorker : 〈C’est un film qui demande du temps, comme une relation humaine. Il faut apprendre à le connaître.〉
Sueños de trenes est de ces rares films qui résistent à l’ère du zapping. Entre drame historique et méditation poétique, il ose une lenteur qui dérange, une beauté qui blesse, et des silences qui parlent plus fort que les mots. Si vous cherchez un divertissement facile, passez votre chemin. Mais si vous êtes prêt à vous laisser emporter par une expérience cinématographique aussi exigeante qu’envoûtante, alors embarquez dans ce train fantôme. Juste attention : le voyage laisse des traces.

