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« The Witcher 3 : Wild Hunt » - Comment le chef-d'œuvre de CD Projekt Red a redéfini les RPG modernes
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Il y a 2 jours

« The Witcher 3 : Wild Hunt » - Comment le chef-d'œuvre de CD Projekt Red a redéfini les RPG modernes

Sorti en 2015 après quatre ans de développement titanesque, The Witcher 3: Wild Hunt n’a pas seulement marqué l’histoire du jeu vidéo : il l’a révolutionnée. Entre une narration d’une profondeur rare, un monde ouvert d’une densité inégalée et des choix moraux aux conséquences tangibles, le titre polonais a élevé les standards du RPG moderne. Aujourd’hui encore, avec son Next-Gen Update et une communauté toujours active, le jeu de CD Projekt Red reste une référence absolue, étudiée dans les écoles de game design et célébrée par les joueurs comme par la critique.

A retenir :

  • Un monde ouvert vivant : Avec 136 km² de territoires explorables, The Witcher 3 a établi une nouvelle norme pour les environnements interactifs, où chaque village, chaque forêt et chaque ruine raconte une histoire.
  • Des choix qui comptent : Contrairement à la plupart des RPG, vos décisions influencent radicalement le dénouement des quêtes, avec 36 fins possibles pour la trame principale.
  • Gwent, le phénomène culturel : Ce mini-jeu de cartes, initialement conçu comme une distraction, est devenu un titre à part entière, avec des tournois officiels et une scène compétitive.
  • Une direction artistique intemporelle : Inspirée des peintures de Zdzisław Beksiński et des légendes slaves, l’esthétique sombre et poétique du jeu reste inégalée.
  • L’héritage d’un studio audacieux : CD Projekt Red a prouvé qu’un studio européen pouvait rivaliser avec les géants américains, en misant sur la qualité narrative et le respect des joueurs (pas de DRM, DLC gratuits).

Aux sources d’une légende : comment « The Witcher » est passé du livre au jeu culte

Tout commence en 1986, lorsque l’écrivain polonais Andrzej Sapkowski publie Le Sorceleur (Wiedźmin), une nouvelle mettant en scène Geralt de Riv, un chasseur de monstres génétiquement modifié dans un univers médiéval-fantastique inspiré du folklore slave. Le succès est immédiat, et la saga littéraire s’étend sur huit romans et recueils de nouvelles, vendus à plus de 15 millions d’exemplaires dans le monde. Pourtant, c’est en 2007 que le destin de la licence bascule : le studio polonais CD Projekt Red, alors peu connu, acquiert les droits pour en faire un jeu vidéo.

Le premier opus, The Witcher (2007), est un RPG ambitieux mais perfectible, utilisant une version modifiée du moteur Aurora Engine (celui de Neverwinter Nights). Malgré des bugs et un système de combat critiqué, le jeu séduit par son scénario adulte, ses choix moraux ambigus et son univers riche. La suite, The Witcher 2: Assassins of Kings (2011), affine la formule avec un moteur maison (REDengine), des graphismes révolutionnaires pour l’époque, et une narration encore plus cinématographique. Mais c’est avec The Witcher 3 que CD Projekt Red signe son chef-d’œuvre.

Le développement du troisième volet commence en 2011, avec une équipe de 1 500 personnes (dont 250 dédiées à la capture de mouvement) et un budget estimé à 81 millions de dollars – un record pour un jeu européen. Le studio prend un risque énorme : abandonner le système de combat tactique des précédents opus pour un système d’action en temps réel, tout en gardant la profondeur des dialogues et des quêtes. Le pari sera gagnant.


Un monde ouvert qui respire : l’art de l’immersion selon CD Projekt Red

Dès les premières minutes dans Blanchefleur (White Orchard), le joueur comprend que The Witcher 3 n’est pas un RPG comme les autres. Le monde n’est pas une simple carte à explorer : c’est un écosystème vivant, où les PNJ ont des routines, où les monstres chassent selon des cycles, et où les choix politiques des royaumes influencent les quêtes. Par exemple, aider le baron Sanglant à Crow’s Perch peut sauver des dizaines de vies… ou condamner un village entier à la famine.

Techniquement, le jeu repose sur la REDengine 3, optimisée pour :

  • Des cycles jour/nuit dynamiques affectant le gameplay (certains monstres n’apparaissent que la nuit).
  • Un système de météo procédurale (la pluie rend les traces de pas plus visibles, le brouillard cache les ennemis).
  • Une physique des vêtements réaliste (la cape de Geralt réagit au vent et aux mouvements).
  • Des animations faciales capturées avec 1 800 heures de motion capture, donnant une expressivité rare aux personnages.

Mais c’est dans les détails que le jeu excelle. Les développeurs ont intégré :

  • Un système de réputation : vos actions dans une région influencent la façon dont les PNJ vous traitent (un marchand peut refuser de vous parler si vous avez tué des innocents).
  • Des livres et codex écrits comme de vrais grimoires, avec des illustrations style enluminures médiévales.
  • Une bande-son adaptative composée par Marcin Przybyłowicz, où les thèmes évoluent selon les régions (ex. : la mélodie mélancolique de Skellige contraste avec les airs guerriers de Velen).

Pour Marcin Iwiński, cofondateur de CD Projekt Red, l’objectif était clair : 〈〈 Nous voulions que les joueurs ressentent le poids de leurs décisions, pas seulement dans les grands moments, mais dans chaque interaction. Si vous sauvez une sorcière dans un village, elle peut réapparaître plus tard pour vous aider… ou vous trahir. 〉〉


Geralt, un héros hors norme : pourquoi son personnage fascine autant

Geralt de Riv n’est pas un héros classique. C’est un mutant asocial, un 〈〈 sorceleur 〉〉 (witcher en VO) créé en laboratoire pour chasser les monstres, mais méprisé par les humains qu’il protège. Son charisme vient de son cynisme, de son sens de l’humour noir (〈〈 Le moindre des problèmes, c’est que je suis coincé dans une taverne avec un barde et un nain bourré. Le pire, c’est que le barde, c’est moi. 〉〉), et de sa moralité grise : il tue des monstres, mais questionne sans cesse la nature du mal.

Doublé en VO par Doug Cockle (dont la voix rauque est devenue iconique), Geralt incarne une complexité rare dans les jeux vidéo. Contrairement à un Kratos ou un Master Chief, il n’est pas invincible :

  • Il peut mourir en un coup face à certains ennemis (comme un Leshen).
  • Ses potions et bombes nécessitent une préparation minutieuse (un système de crafting poussé).
  • Ses relations avec les femmes (Yennefer, Triss, etc.) sont traitées avec une maturité rare, sans objectification.

Le jeu explore aussi son trauma : Geralt est un 〈〈 père 〉〉 malgré lui, lié à Ciri (sa 〈〈 fille adoptive 〉〉) par le 〈〈 Destin 〉〉. Leur relation, au cœur de l’intrigue, est l’une des plus émotionnellement chargées du jeu vidéo. Comme l’explique Sebastian Stępień, scénariste principal : 〈〈 Nous voulions éviter le cliché du héros solitaire. Geralt est un loup, mais il a un meute – même s’il le nie. 〉〉

Un détail marquant : Geralt ne parle presque jamais pendant les combats. Ses grognements et ses mouvements trahissent une fatigue accumulée après des décennies de chasse. Une touche de réalisme qui renforce l’immersion.


L’ombre de la Chasse Sauvage : quand le folklore slave inspire une épopée

The Witcher 3 puise dans les légendes slaves, nordiques et celtiques pour créer un bestiaire unique. La 〈〈 Chasse Sauvage 〉〉 (Wild Hunt en VO), groupe de cavaliers spectres menés par Eredin, est directement inspirée des mythes germaniques et polonais, où elle symbolise une malédiction éternelle. Autres créatures marquantes :

  • Le Leshen : esprit de la forêt slave, capable de contrôler les arbres et les loups.
  • Le Drowners : morts-vivants inspirés des 〈〈 utopce 〉〉 polonais, noyés maudits.
  • Le Griffin : mélange de lion et d’aigle, présent dans les bestiaires médiévaux.
  • Les Hags (Baba Yaga) : sorcières cannibales issues du folklore russe.

Le jeu va plus loin en intégrant des références historiques :

  • La ville de Novigrad s’inspire de Gdansk (Pologne) et de Amsterdam à l’âge d’or, avec ses canaux et son système politique corrompu.
  • Le royaume de Redania évoque la Pologne du XVIIe siècle, tandis que Nilfgaard rappelle l’Empire romain ou les Habbourg.
  • Les sorcières de The Witcher 3 sont basées sur les procès en sorcellerie européens, avec des brûlements publics et des chasses aux 〈〈 hérétiques 〉〉.

Pour renforcer l’authenticité, CD Projekt Red a collaboré avec des historiens et des linguistes pour créer des langues fictives cohérentes (comme l’ancien langage des sorceleurs). Même la monnaie, le couronne de Novigrad, suit une logique économique réaliste (inflation, change entre royaumes).

Un exemple frappant : la quête 〈〈 Blood and Wine 〉〉 (le DLC de 2016) introduit le duché de Toussaint, inspiré de la Provence médiévale et des contes de fées. Les vignobles, les tournois et l’architecture gothique contrastent avec le reste du jeu, prouvant la versatilité de l’univers.


L’héritage de « The Witcher 3 » : comment un jeu a changé l’industrie

The Witcher 3 n’a pas seulement été un succès critique (plus de 250 récompenses, dont Game of the Year 2015) : il a redéfini les attentes des joueurs. Voici ses impacts majeurs :

  • La fin des DLC abusifs : CD Projekt Red a offert 16 DLC gratuits (tenues, quêtes) et seulement deux extensions payantes (Hearts of Stone et Blood and Wine), chacune aussi longue qu’un jeu solo (20-30h). Une réponse ciblée aux pratiques de EA ou Ubisoft.
  • La preuve que les RPG européens peuvent rivaliser : Avant The Witcher 3, les blockbusters venaient surtout des États-Unis (Rockstar, Bethesda) ou du Japon (Square Enix). Le jeu polonais a brisé ce monopole.
  • L’essor des mondes ouverts narratifs : Des titres comme Horizon Zero Dawn (2017) ou Elden Ring (2022) ont cité The Witcher 3 comme une influence majeure pour son équilibre entre exploration et histoire.
  • Un modèle économique éthique : Pas de microtransactions, pas de DRM, des mises à jour gratuites pendant des années. Une philosophie qui a inspiré des studios comme Larian (Baldur’s Gate 3).

Le jeu a aussi eu un impact culturel :

  • La série Netflix The Witcher (2019), avec Henry Cavill dans le rôle de Geralt, a été commandée après le succès du jeu.
  • Le modding reste actif en 2024, avec des projets comme The Witcher 3 HD Reworked Project (textures 4K).
  • Des cours universitaires analysent son scénario comme une œuvre littéraire (ex. : 〈〈 Narrative Design in The Witcher 3 〉〉 à l’Université de Varsovie).

Pourtant, le jeu n’est pas parfait. Certains critiques pointent :

  • Un système de combat parfois répétitif (signe > esquive > attaque, surtout en difficulté normale).
  • Des bugs persistants à la sortie (corrigés depuis), comme des PNJ qui marchent dans le vide.
  • Une représentation des personnages non-blancs limitée (un point soulevé par des analyses sur la diversité dans les jeux).

Malgré cela, The Witcher 3 reste un étalon. Comme le résume Todd Howard (Bethesda) : 〈〈 Ils ont prouvé qu’un RPG pouvait être à la fois immense et intime. C’est ce vers quoi nous devons tous tendre. 〉〉

Neuf ans après sa sortie, The Witcher 3: Wild Hunt n’a pas pris une ride. Bien au contraire : avec son Next-Gen Update (2022), ses modders passionnés et une communauté toujours active (plus de 50 millions de joueurs en 2024), le jeu de CD Projekt Red continue de définir ce qu’un RPG moderne devrait être. Il a élevé les standards en matière de narration, de monde ouvert et de respect des joueurs, tout en prouvant qu’un studio européen pouvait rivaliser avec les géants de l’industrie.

Son héritage se mesure aussi dans les projets futurs : le remake du premier Witcher (annoncé en 2022), la suite de la série Netflix, et surtout, l’influence durable qu’il exerce sur des titres comme Cyberpunk 2077 (autre jeu de CD Projekt Red) ou Elden Ring. Dans un paysage vidéoludique souvent dominé par les live-service et les microtransactions, The Witcher 3 rappelle une vérité simple : la qualité narrative et le respect du joueur paient toujours.

Et si Geralt de Riv devait résumer lui-même son aventure, il dirait probablement, avec son ironie habituelle : 〈〈 Au final, j’ai juste tué quelques monstres, bu trop de bière, et perdu plus de parties de Gwent que je ne l’avouerai. Mais bon… au moins, j’ai sauvé le monde. Deux fois. 〉〉

L'Avis de la rédaction
Par Nakmen
The Witcher 3, c'est un peu comme si CD Projekt Red avait pris un livre de Sapkowski, l'avait mis dans un mixeur, et en avait sorti un jeu qui a changé la donne. Geralt, c'est le Kratos des années 90, mais avec un cœur. Un RPG qui a prouvé que les jeux européens peuvent rivaliser avec les géants américains. Et puis, il y a eu Netflix, les cours universitaires, et même des mods qui continuent de faire vivre ce monde ouvert. Bref, The Witcher 3, c'est un peu le Matrix des jeux vidéo : il a tout changé.
Article rédigé par SkimAI
Révisé et complété par Nakmen