Matrix & Metal Gear : Quand les Wachowski et Kojima Faillirent Réinventer le Jeu Vidéo
1999 : Le jour où Konami a enterré le jeu vidéo le plus ambitieux de l'histoire
A retenir :
- Les sœurs Wachowski ont approché Hideo Kojima en 1999 pour créer un jeu vidéo The Matrix - un projet qui aurait fusionné leurs visions cinématographique et ludique
- Konami a rejeté la collaboration en 15 minutes chrono, sans même étudier le concept, malgré la présence de Geoff Darrow (designer de Matrix)
- Kojima aurait secrètement travaillé sur des croquis et des idées pour ce jeu pendant des mois après le refus officiel
- Ce projet avorté révèle les tensions créatives entre studios japonais et visions hollywoodiennes à l'aube des années 2000
- Les jeux Matrix sortis finalement (2003-2005) n'ont jamais atteint le niveau d'ambition de cette collaboration rêvée
Imaginez un monde où Neo aurait pu croiser Solid Snake dans les couloirs numériques d'une simulation. Où les combats au ralenti de The Matrix se seraient mélangés aux mécaniques d'infiltration de Metal Gear Solid. Ce monde a failli exister. En 1999, alors que le premier Matrix venait de secouer le paysage cinématographique, les sœurs Wachowski avaient un rêve : étendre leur univers à travers un jeu vidéo révolutionnaire. Et pour cela, elles voulaient absolument Hideo Kojima, le génie derrière Metal Gear Solid.
La Rencontre Qui Aurait Tout Changé
Le scénario se déroule au siège de Konami à Tokyo. Les sœurs Lana et Lilly Wachowski, accompagnées de leur directeur artistique Geoff Darrow (co-créateur de l'univers visuel de Matrix), débarquent avec un projet en tête : un jeu qui ne serait pas une simple adaptation, mais une extension narrative de leur univers. Leur choix de Kojima n'était pas anodin : le créateur japonais venait tout juste de révolutionner le jeu vidéo avec Metal Gear Solid (1998), un titre qui mêlait cinéma, philosophie et gameplay innovant - exactement ce qu'elles recherchaient.
Pourtant, la réunion tourne au cauchemar. Kasumi Kitaue, alors haut responsable chez Konami, écoute à peine leur présentation avant de couper court : "Non. Ce n'est pas possible." Pas de discussion, pas de négociation. Un veto pur et simple. Dans son journal de production de Metal Gear Solid 2, Kojima évoquera plus tard cette rencontre avec une amertume palpable : "Ils avaient une vision incroyable... Dommage que la politique d'entreprise l'ait emporté."
Pourquoi un tel refus ? Plusieurs théories circulent. Certains évoquent la méfiance de Konami envers les projets "trop hollywoodiens". D'autres parlent de droits de propriété intellectuelle complexes. Mais la raison la plus probable reste la peur du risque : en 1999, un jeu vidéo à 20-30 millions de dollars de budget (le coût estimé pour un tel projet) était encore considéré comme une folie financière.
Kojima et Matrix : Une Obsession Secrète
Officiellement, le projet était mort. Officieusement, Kojima aurait continué à y travailler dans l'ombre. Selon des sources internes rapportées par Time Extension et Eurogamer, le créateur aurait produit des dizaines de croquis et de notes explorant comment intégrer les thèmes de Matrix (simulation, libre arbitre, réalité virtuelle) dans un gameplay. Certaines de ces idées ressurgiront plus tard dans Metal Gear Solid 2 (2001), notamment dans les séquences de "réalité augmentée" et les questionnements sur la nature de la conscience.
Un ancien employé de Konami (souhaitant rester anonyme) révèle : "Kojima était obsédé par Matrix. Il voyait dans cet univers une façon de pousser plus loin ce qu'il avait commencé avec MGS. Le problème, c'est que Konami voulait des jeux qui se vendent, pas des expériences artistiques à 50 millions de yens la minute." Cette tension entre vision créative et réalités économiques explique pourquoi le projet n'a jamais vu le jour.
Ce Que le Jeu Aurait Pu Être
Alors, à quoi aurait ressembler ce Matrix version Kojima ? Plusieurs indices permettent de le deviner :
1. Un mélange de genres inédit : Entre infiltration (comme MGS), combats tactiques (inspirés des chorégraphies du film) et séquences de "hacking" où le joueur manipulerait directement le code de la Matrice, à la manière des scènes de Tron.
2. Une narration non-linéaire : Kojima aurait probablement structuré le jeu comme une enquête où le joueur découvre progressivement les couches de la simulation, avec des choix moraux impactant la fin (une mécanique qu'il perfectionnera plus tard dans Death Stranding).
3. Des clins d'œil méta : Imaginez un niveau où le joueur doit "débrancher" des humains endormis dans des capsules... tout en jouant sur une PlayStation 2 branchée à son téléviseur. Le genre de touche ironique que Kojima adore.
4. Une bande-son révolutionnaire : Une collaboration entre Don Davis (compositeur de Matrix) et Harry Gregson-Williams (MGS) aurait pu donner naissance à une OST mêlant orchestrations épiques et ambiances électroniques, préfigurant ce que fera Hans Zimmer plus tard dans Inception.
Les Jeux Matrix Qui Ont (Mal) Remplacé le Rêve
À défaut du jeu Kojima, les fans ont finalement eu droit à deux titres officiels : Enter the Matrix (2003) et The Matrix: Path of Neo (2005). Des jeux... corrects, mais loin de l'ambition initiale. Enter the Matrix, développé par Shiny Entertainment, avait le mérite d'intégrer des scènes tournées spécialement pour le jeu avec les acteurs du film. Pourtant, son gameplay rigide et ses mécaniques datées en ont fait un titre rapidement oublié.
Path of Neo, lui, tentait de raconter l'histoire du premier film en jeu vidéo, avec un système de combat inspiré de Max Payne. Mais là encore, le résultat manquait de cette touche géniale que seul Kojima aurait pu apporter. Comme le résume JeuxVideo.com dans sa rétrospective : "Ces jeux étaient des produits dérivés. Celui des Wachowski et Kojima aurait été une œuvre à part entière."
Pourquoi Ce "What If" Fascinera Toujours
Vingt-cinq ans plus tard, cette collaboration avortée continue de hanter les esprits. Pourquoi ? Parce qu'elle représente la rencontre manquée entre deux médias en pleine mutation. En 1999, le jeu vidéo cherchait sa légitimité narrative, tandis que le cinéma explorait de nouvelles formes d'immersion. Un jeu Matrix signé Kojima aurait pu être le pont parfait entre ces deux mondes.
Aujourd'hui, alors que Kojima travaille sur OD (un projet d'horreur avec Jordan Peele) et Physint (un jeu d'infiltration encore mystérieux), on ne peut s'empêcher de voir des échos de ce vieux rêve. Les thèmes de la réalité simulée, chers à Matrix, sont toujours au cœur de ses créations. Peut-être que, d'une certaine manière, Kojima continue de développer son Matrix, mais sous d'autres formes.
Et puis il y a cette question lancinante : et si Konami avait dit oui ? Aurions-nous eu un jeu qui aurait influencé toute une génération, comme Half-Life ou The Last of Us ? Ou bien un projet trop ambitieux, condamné à devenir un cultissime échec commercial comme Shenmue ? Une chose est sûre : dans l'histoire du jeu vidéo, peu de "et si..." sont aussi poignants que celui-ci.
L'Héritage Invisible de Cette Rencontre
Paradoxalement, ce projet qui n'a jamais existé a quand même laissé des traces :
- Dans les jeux de Kojima : Les thèmes de la simulation (MGS2), de l'identité (Metal Gear Solid V) et de la réalité fragmentée (Death Stranding) doivent beaucoup à cette obsession pour Matrix.
- Dans l'industrie du jeu vidéo : Après cet échec, les collaborations entre cinéastes et développeurs se sont multipliées (voir David Cage avec Heavy Rain, ou Guillermo del Toro avec PT), comme si l'industrie avait retenu la leçon : le jeu vidéo peut être un média narratif à part entière.
- Dans la culture geek : Les fans continuent de créer des mods (comme Matrix Awakens dans Unreal Engine 5) ou des jeux indépendants (The Matrix Simulator) pour combler ce vide. Preuve que l'idée, elle, n'est jamais vraiment morte.
En 2024, alors que les frontières entre cinéma et jeu vidéo s'estompent (avec des titres comme Alan Wake 2 ou The Last of Us Part II), l'échec de cette collaboration semble presque anachronique. Pourtant, il rappelle une vérité cruciale : les chefs-d'œuvre naissent souvent de rencontres improbables - et parfois, il suffit d'un "non" pour en priver le monde.
Alors la prochaine fois que vous verrez Neo esquiver des balles à l'écran, ou que vous jouerez à un Metal Gear, souvenez-vous : il a existé un moment où ces deux univers auraient pu ne faire qu'un. Et qui sait ? Peut-être qu'un jour, dans une autre timeline, ils le feront.





